Lionel Davoust – Contes hybrides

Petit livre ramené des Imaginales, Contes hybrides est un recueil de trois novellas, paru aux éditions 1115 en 2020. Je n’avais encore rien lu de l’auteur, que j’avais cependant écouté à Ouest Hurlant, lors d’une conférence sur l’Imaginaire de la ville. Et je le connaissais aussi de nom, parce qu’il est un écrivain prolifique, l’auteur notamment d’un essai Comment écrire de la fiction ? et parce qu’il participe à l’animation du podcast Procrastination, avec Mélanie Fazi et Estelle Faye. Bref, il était temps que je découvre les écrits de cet auteur. C’est désormais chose faite. Et ça ne va pas s’arrêter là.

Composition du recueil

3 novellas rééditées et assemblées dans ce recueil « hybride ».

Le sang du large

Un auteur est confronté à la page blanche, après l’énorme succès de sa saga. Un passage à vide qui l’affecte, mentalement, moralement, physiquement. Il s’isole alors sur une île déserte, dans l’espoir de retrouver l’inspiration… jusqu’à sa rencontre avec une sirène.

Première publication : Contes de villes et de fusées, une anthologie publiée aux Editions Astra (2010) sous la direction de Lucie Chenu.

Une écriture très poétique, aux touches lyriques parfois. L’auteur décrit une situation bien connue de beaucoup d’écrivains, et évoque quelque chose de bien plus ample qu’une simple panne d’inspiration. Ou comment cela affecte tout un équilibre, dès lors rompu.

J’ai beaucoup aimé ce croisement entre réalité et féérie, lié à la rencontre entre un humain et un être surnaturel. Un conte hybride, car mêlant deux strates de réalité et superposant un discours cartésien à un discours plus poétique, imaginaire. Ce conte offre une ambiance fantastique, provoquant du doute quant aux événements, à leur nature, leur véracité, et panique, angoisse. L’écriture m’a bercée, pleine d’images qui m’ont plu, avec une mélancolie que j’aime particulièrement trouver dans des écrits.

Au-delà de cela, il y a dans Le sang du large une réflexion sur les diktats liés à la création littéraire, à son rythme, à la visibilité des écrivains, à leur Art réduit à un marché commercial. Un discours métalittéraire qui amplifie l’aspect hybride du texte.

Point de sauvegarde

Une menace terroriste doit être éliminée par trois soldats mi humains-mi-cyborgs, envoyés sur place. A leur arrivée, rien ne se passe comme prévu.

Première publication : La guerre, anthologie d’une belligérance, aux éditions Hydromel (2011) sous la direction de Yael Assia et Merlin Jacquet.

Autre genre, autre style. De la SF militaire cette fois. J’ai beaucoup moins aimé cette novella, mais pas du fait de sa qualité. Il se trouve qu’elle concentre tout ce que je n’aime pas en SF : des concepts technologiques du futur qui me sont inconnus et pas expliqués, simplement posés là, comme s’il était sous-entendu que l’on sait de quoi on parle (mais pour ma part, non). L’écriture m’a moins plu, plus rude et factuelle, tournée vers l’action et un peu déshumanisée, à l’image des androïdes mercenaires. Cela m’a paru bourrin. Militaire, en somme.

De ce fait, j’ai peu accroché à ce récit. Heureusement – et c’est tout l’intérêt -, c’est court. Donc j’ai pu aller au bout sans problème (j’aurais en revanche abandonné un roman de ce style).

En revanche, le fond du texte est très réussi, et j’ai beaucoup aimé sa chute, que j’ai trouvée percutante, inattendue et absolument terrible. Là encore, l’auteur joue avec le concept de l’hybridation dans les personnages du récit. Des cyborgs pas vraiment cyborgs. Un esprit humain implanté dans une machine, ça donne quoi ? Un programme qu’on peut restarter à l’envi ou reste-t-il des parcelles de conscience, de mémoire et d’émotions humaines ?

Enfin, le texte aborde des questions très contemporaines : la préservation de territoires autochtones par des minorités face à des revendications internationales plus vastes et la dichotomie espace naturel-technologies avancées.

Bienvenue à Magicland

Magicland, c’est un parc animalier, dans lequel un troll – un peu dans son monde – ne vit que pour soigner, s’occuper et bichonner les licornes du parc. Dépité de voir que ses congénères trolls sont d’une bêtise à casser du sucre, il est suivi par un psychologue pour apprendre à gérer ses émotions, ses frustrations et son agressivité.

Première publication : Trolls et licornes, anthologie publiée aux éditions Mnémos (2015) sous la direction de Jean-Claude Dunyach.

Bienvenue à Magicland est résolument fantasy, et clôt le recueil avec un petit côté rigolo bienvenu avec ses dialogues à la Audiard. Mais j’ai toujours eu un petit signal d’alarme dans la tête me faisant pressentir qu’on n’allait pas se marrer très longtemps. Bingo : la fin est dramatique, et on ne rit plus du tout.

Mélange de créatures fantasy et humains (en fait, les humains n’existent pas; enfin leur nature est fondue dans les Trolls) et mélange tragi-comique : là encore des croisements donnant lieu à un récit particulier.

Un recueil hybride de contes hybrides

Des contes…

Chaque novella concentre les éléments du conte littéraire :

  • Le récit est ancré dans un imaginaire bien défini avec ses créatures tout aussi imaginaires;
  • Ces créatures sont jugées comme « normales » dans le récit;
  • Temps et lieux sont indéfinis;
  • L’action se focalise sur un/plusieurs personnages, sur lesquels l’environnement décrit agit et influe;
  • Le récit est court, percutant, se terminant par une chute;
  • Cette chute a plusieurs visées. Le sang du large est plutôt un conte fantastique qui m’a émerveillée. Point de sauvegarde m’a questionnée sur ce qui définit le genre humain et ses frontières avec la machine; j’y ai vu une sorte de conte moral. Bienvenue à Magicland m’a laissée comme un sentiment… hybride : entre amusement et amertume piquante.
  • Enfin, le texte Bienvenue à Magicland pourrait aisément être lu à voix haute, tant il est oral et expressif. Il rejoint alors le conte dans ce qu’il était à ses origines : un récit oral.

… hybrides ?

Le recueil est résolument hybride, pour plusieurs raisons. D’abord, par les créatures surnaturelles convoquées, très diverses. Ensuite, l’écriture des novellas est très différente. Ces trois novellas regroupées ensemble offrent un recueil qui semble hétéroclite, aux styles très différents.

Enfin, chaque novella est introduite par un dessin, rond et de taille similaire. Seul change le contenu de cette sphère. Sans savoir avec précision ce que représente chaque dessin, j’ai trouvé qu’il donnait malgré tout des indices sur chaque texte. Cette alliance texte-dessin renforce l’idée d’hybridation, de même que les dessins eux-mêmes : une même forme extérieure, mais avec des sens différents à l’intérieur. J’ai trouvé que ces dessins étaient une transposition imagée des novellas et de leur regroupement dans ce recueil.

Malgré tout, ce mélange des genres et des styles n’a qu’un seul but : offrir une perception du réel décalée. C’est là que l’unité de Contes hybrides se révèle. En cela, les trois textes fonctionnent parfaitement ensemble, d’autant que leur narration est similaire. Chaque personnage raconte sa propre histoire. Point de vue interne et présent d’énonciation permettent de vivre le récit en même temps que les personnages, tout en ayant accès à leurs pensées directes. L’immersion est ainsi accrue.

En pratique

Lionel Davoust, Contes hybrides

Editions 1115, 2019

Photo de couverture : Victor Yale

Site de Lionel Davoust

Autres avis : très bonne lecture pour Une bulle de fantasy qui a beaucoup aimé la novella SF; analyse plus littéraire chez Marc; un beau voyage pour Celindanaë; « très joli petit ouvrage » pour Bob; un recueil qui a plu à FeydRautha, notamment pour ses trois tons dont j’ai beaucoup aimé l’interprétation.

 

Contes hybrides est un recueil de 3 novellas de Lionel Davoust. Trois registres, styles, ambiances et genres différents. Un recueil hybride, oui, mais comportant une certaine unité. A la fois dans le rapprochement avec le conte littéraire, mais aussi dans la narration et le pas de côté par rapport à la réalité, pour la voir autrement et infuser dans celle-ci une petite dose de surnaturel/magie/merveilleux bien nécessaire. Ma préférence va au premier texte, Le sang du large, qui offre en plus une dimension métalittéraire que j’apprécie. Une manière d’hybrider encore plus le propos. Bref, bonne découverte en ce qui me concerne, à poursuivre.

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