Lavie Tidhar – Neom

Neom est un roman de Lavie Tidhar, qui se situe dans la continuité de Central Station. Les deux œuvres se déroulent dans le même univers, mais peuvent se lire indépendamment. Toutefois, je trouve qu’avoir lu Central Station d’abord permet de capter les références qui y sont faites. J’avais beaucoup apprécié Central Station pour sa poésie mélancolique et ses petits tableaux furtifs d’humanité. C’est donc avec empressement que j’ai lu Neom, que j’ai reçu comme service presse des éditions Mnemos. Qu’Estelle Hamelin et la maison en soient chaleureusement remerciées ici ! 🙂

4e de couverture

Bienvenue à Neom. Cité futuriste et luxuriante pour les riches et les puissants, plaque tournante entre la Terre et les étoiles, elle abrite aussi ceux que le progrès a laissés derrière.

Entre ses avenues vitrées, ses marchés aux fleurs et ses ruines technologiques se croisent humains, robots et mémoires oubliées.

Mariam, travailleuse invisible, rêve encore de beauté et d’humanité dans cette ville vendue à l’idée du progrès. Saleh, jeune survivant du désert, transporte dans son sac un artefact oublié, témoin d’une guerre qui ne finit jamais. Et un robot sans nom, rouillé, fatigué, chemine avec une rose à la recherche d’un amour perdu – ou d’un sens à son existence.

Dans ce monde où les robots pleurent, où les enfants veulent fuir vers les étoiles et où les chacals parlent encore des vieilles guerres, le passé ressurgit, l’espoir persiste, et une simple fleur peut changer le destin.

Avec Neom, Lavie Tidhar tisse une fresque intime et visionnaire, prolongeant l’univers de Central Station, et nous offre un regard émouvant sur un avenir où même les machines rêvent encore.

Dans la continuité de Central Station

Un incipit réussi

Dès les premiers mots, je retrouve la patte de Lavie Tidhar. Sa délicatesse dans le choix des mots, la fluidité du langage, la musicalité de ses phrases. L’incipit me donne la sensation d’un début de conte, et dès lors, l’imagination coule à flots.

« Au-delà de Central Station, l’immense spatioport qui relie la Terre aux mondes grouillants de vie du système solaire, il y a une ville. Elle s’étend par-delà le golfe d’Aqaba et le détroit de Tiran, dans la vieille province désertique saoudienne autrefois connue sous le nom de Tabouk. Les fondateurs de la cité l’ont baptisée Neom. »

Il faut dire que le désert évoque chez moi pas mal de choses. Ce n’était pas mon sujet de mémoire pour rien. Le désert, sous toutes les formes qu’il se présente, me fascine. Objet aride, hostile, en apparence uniforme…, il peut revêtir plusieurs visages, scintiller de mille couleurs, abriter des espèces inconnues et rares. Et surtout le temps ne s’y écoule pas de la même façon ; on y perd ses repères, et hop, l’onirisme n’est pas loin. Me voilà donc pleinement à l’écoute de ce que le roman est prêt à offrir.

Petits tableaux vivants

L’ensemble du roman est à l’image de ces premières lignes. On retrouve dans Neom tout l’intérêt porté aux personnages qui peuplent ces lieux. Des petits tableaux représentant, en quelques mots bien choisis, quelques traits, comme une esquisse, une peinture sur le vif d’une humanité dans son quotidien. Ici une fleuriste, là un antiquaire, là un bédoin dans une caravane, là encore une mécanicienne de talent… Le regard porté sur ces petits tableaux, qui s’imbriquent ensuite les uns dans les autres, est toujours bienveillant, chaleureux, plein de foi. Mais il y a toujours quelque chose de doucement triste, dans ces lignes. Une nostalgie d’un temps perdu ou jamais advenu, une mélancolie dans les personnages qui rêvent d’un ailleurs, de ce qui aurait pu arriver si, de ce qu’ils n’ont pas fait ou ne feront jamais. C’est très touchant.

Ce que j’ai particulièrement apprécié dans Neom, c’est que l’humanité dépasse ses frontières. En effet, on suit également plusieurs robots, de plusieurs générations, conçus pour des usages très spécifiques, dont la destruction. Or, ces robots questionnent ce qu’est l’humanité même. Ces robots rêvent, se souviennent, veulent changer en dépit de leur programmation, partagent des sentiments se rapprochant de l’amitié, ou même de l’amour… Dès lors, qu’est-ce qui différencie un robot d’un humain ? Alors quand ce sont ces robots qui font l’histoire que vous lisez, et que ce sont eux qui vous apportent, finalement, le plus d’émotions, je trouve que le pari de l’auteur est largement réussi.

Mais un goût de trop peu

Mais voilà, vous me connaissez, je suis pénible. Il est rare que j’aime pleinement et entièrement une œuvre. Il y a toujours quelque chose qui me chiffonne. Et ici, cela n’a pas raté. Je suis restée sur ma faim. Comme un goût de trop peu.

Le parti-pris du style

C’est d’une part le choix narratif qui veut cela. Je sais que plusieurs lecteurices n’ont pas accroché à Central Station pour ça. On n’est pas dans l’avalanche d’actions. Moi, ça me plaît. En tout cas, cela m’avait plu dans Central Station, qui était en plus un fix up, donc particulièrement approprié pour ces choix.

Un sous-calibrage ?

En revanche, Neom est un roman. Or, je trouve que ce format se prête moins au style et aux choix qui sont ici un peu les mêmes que dans Central Station. Neom aurait été une novella, parfait : le scénario tient de toute façon en trois lignes, je n’aurais pas eu ce sentiment de manque d’approfondissement.

Mais Neom est un roman, très court qui plus est. 182 pages découpées en 27 chapitres, et pas mal de pages gauches blanches, et une taille de police énorme. Donc on est sur du 120 pages livre de poche, en somme. En taille, on se rapproche de la novella, mais il n’y a pas du tout le côté percutant et dynamique de la novella.

D’autre part, le roman lance pas mal de perches : des mentions de lieux, inexplorés, de personnages, inconnus, de faits, également méconnus ; mais tous ayant leur place dans cet univers. Des perches que j’aurais bien aimé voir développées. Dans un roman, on a le temps et la place de le faire. Mais l’auteur n’a pas opté pour ces choix ici. Alors peut-être que cela est fait exprès ? Pour amener le lectorat à développer son imaginaire, peut-être. Ne pas trop en dire pour laisser les lecteurices dessiner eux-mêmes les contours et la suite de ces histoires. Peut-être que la poésie et surtout la mélancolie se développent davantage dans ces non-dits.

Une peur de plonger ?

Toujours est-il que j’ai eu une sensation de trop peu. Le sentiment qu’on aurait pu résider là plus longtemps, approfondir davantage, sans prendre non plus le risque d’alourdir le propos ou d’ôter la poésie subtile qui s’en dégage. De ce fait, si j’ai aimé le style, l’histoire racontée et les émotions qui se dégagent de Neom, je regrette malgré tout n’être toujours restée qu’en surface des choses. Je n’ai fait que les effleurer, doucement, avec précaution et tact. Mais trop de tact, justement : selon moi, il y a là presque une peur, celle de casser la magie des choses en les abordant plus longuement. De ce fait, si j’ai beaucoup aimé ce roman, je regrette un peu ce parti-pris, qui cette fois me laisse sur le côté.

Qualité/prix de l’objet livre : bof

Je parlais enfin de la taille du roman. Je remercie encore une fois les éditions Mnemos pour l’envoi du service presse, car très honnêtement, pour 19 €, je ne l’aurais pas acheté en papier. Cela me paraît excessif pour un ouvrage gonflé aux pages blanches et écrit si gros. D’autant que comme d’habitude, une relecture supplémentaire aurait pu être menée pour supprimer les coquilles restantes (surtout des mots manquants et des mots en trop), surtout en fin de roman. Bon, par rapport à ce que j’ai pu lire, je dois reconnaître que le texte est très propre. Mais la fin d’une œuvre demeure toujours plus ancrée dans l’esprit que le reste, et façonne la dernière impression de ce qu’on vient de lire… ça casse un peu la magie du propos, pour certain.es, et c’est dommage.

En bref

Agréable lecture, Neom. Séduite par la plume de Lavie Tidhar, ses imaginaires, son tact et sa poésie, sa grande foi en l’humain. Aussi séduite par la vision qu’il a de l’humanité, plus étendue, plus souple. En revanche, je regrette un peu qu’on ne soit resté qu’en surface des choses. J’avais espéré, avec le format romanesque, une plongée plus franche et allant au cœur de ces histoires et de ces vies effleurées. Evidemment, ces portes à peine entrouvertes laissent en moi une marge d’imagination énorme que je me plais à étoffer. Mais je n’ai pas le talent de Lavie Tidhar pour cela… Aussi aurais-je aimé qu’il me guide plus avant dans son imaginaire…

En pratique

Lavie Tidhar, Neom
Editions Mnemos, 2025
VO : Neom, 2022
Traduction : Julien Bétan
Couverture : Elizabeth Story

7 commentaires sur “Lavie Tidhar – Neom

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  1. Je n’avais pas réalisé que c’était plus une novella qu’un roman. Pas sûre que ça fonctionne chez moi pour le coup, le goût de trop peu.

    1. Ben c’est tellement peu épais et écrit gros, que oui, on est plus de la novella je pense. C’est pas tant ce format qui fait que c’est un goût de trop peu, c’est plus l’angle contemplatif choisi, avec ces portes juste ouvertes mais pas forcément passées. Cela dit, c’est vraiment propre à chacun, tu as lu la chronique du Nocher des livres ? J’aime bien son interprétation des blancs et de ces explorations à peine entamées. D’autres bouquins devraient continuer de naviguer dans cet univers, alors bout à bout, on devrait avoir un beau patchwork. Peut-être que lire toutes les œuvres de cet univers une fois écrites et parues et d’un coup sera plus satisfaisant pour des lectrices comme nous, tiens… !

  2. Merci pour cet avis!
    Comme j’avais moyennement apprécié Central station, j’attendrai de le trouver en « seconde main » ou en bibliothèque…
    (s) ta d loi du cine, « squatter » chez dasola

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