Un papillon en hiver est un roman de Laetitia Meyrat, paru aux Editions du chat noir. Présenté comme une réécriture du conte de Raiponce, ce roman aux tonalités hivernales trouverait parfaitement sa place dans un challenge hivernal (à bon entendeur 😉 ). Toutefois, je l’ai lu récemment et j’ai beaucoup apprécié ma lecture. Un peu réservée sur l’aspect réécriture mais très enthousiaste sur le roman en tant que tel, pour sa plume et son propos.
Synopsis
« À l’aube de sa majorité, les rêves de Raiponce s’essoufflent. Soit parce qu’ils ne trouvent aucun écho, soit parce qu’ils lui sont dictés par sa mère et son frère, la seule famille qui lui reste.
Mais le jour de son anniversaire, Raiponce fait la rencontre de Thécéa, un sosie immatériel, solaire. Leurs deux âmes se lient l’une à l’autre dans l’instant et le double féérique de Raiponce lui promet une solution à tous ses problèmes.
Cette entente va bousculer le quotidien de la jeune fille, au point de soulever peu à peu l’inquiétude de ses proches. Mais comment sauver une personne qui ne se sait pas en danger ?
Car auprès de sa fée, Raiponce court bel et bien un risque, celui que Thécéa réalise son véritable objectif : l’enfermer dans sa tour ».
Un papillon en hiver : une réécriture de Raiponce ?
Le conte des Grimm
Raiponce (Rapunzel) est un conte des frères Grimm, paru en 1812. Il raconte l’histoire de cette petite fille emprisonnée par une sorcière dans une tour, dans laquelle il n’y a ni fenêtre, ni porte.
Un jour, un prince entend Raiponce chanter, et grimpe jusqu’à elle, grâce à sa longue chevelure. Il lui déclare alors son amour…
Quand elle apprend cela, la vilaine sorcière coupe les cheveux de Raiponce, et tend un piège au prince. Quand il revient et commence à grimper sur la natte de cheveux, elle coupe celle-ci… Le prince tombe dans un buisson de roses, et devient aveugle.
Il erre pendant des années, avant de retrouver sa bien-aimée en reconnaissant sa voix. Pleurant toutes les larmes de son corps, Raiponce guérit ainsi par miracle le prince qui recouvre la vue. Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants.
Un texte qui se détache du conte
On retrouve dans Un papillon en hiver certains éléments du conte (le prénom de Raiponce, ses cheveux qui poussent vite, la Tour), mais c’est à peu près tout.
Rapidement, le roman s’écarte du conte d’origine. D’abord, nulle sorcière, nul prince charmant; bref, une absence des archétypes du conte. Ensuite, il n’y a pas la force symbolique attachée à certains éléments. Je pense notamment aux cheveux (qui certes repoussent dans ce roman, mais n’apportent pas vraiment de sens dans le récit) et à la Tour (qui n’est pas physique mais mentale, et dans laquelle Thécéa s’enferme seule, et non forcée par une sorcière).
D’autre part, Un papillon en hiver fait référence à d’autres contes, comme Blanche-Neige ou encore Hansel et Gretel. On a aussi une sirène… J’ai bien aimé d’ailleurs ces croisements, d’autant qu’ils sont parfois traités de manière cocasse (je pense aux sirènes qui chantent comme des casseroles).
Enfin, il n’y a pas dans Un papillon en hiver cette espèce d’intemporalité propre au conte. Je n’ai pas ressenti le far far away et long long ago car les dialogues des personnages sont plutôt ancrés dans notre époque contemporaine. En cela, ils cassent un peu l’illusion. Mais c’est aussi compréhensible, le roman étant davantage destiné à un public Young Adult.
Cela dit, l’intérêt pour moi du roman ne réside pas dans ses liens avec le conte. Il est plutôt dans ses propos, sa profondeur et ses thématiques abordées avec beaucoup de finesse et d’émotion.
Un gouffre et une prison
TCA
Un papillon en hiver évoque de manière métaphorique un des Troubles des Conduites Alimentaires (TCA), personnifié en la figure de Thécéa, le doppelgänger de Raiponce. En cela, on est vraiment dans un conte, quand le personnage est davantage un concept qu’une identité propre.
Le récit commence assez joyeusement malgré quelques zones d’ombre qui ne feront que grossir avec la maladie de Raiponce. Quelques indices sont semés par l’autrice dès le départ. Mais à un moment, on se rend compte que la catastrophe est là et que le retour en arrière est impossible. Et c’est assez effrayant d’être comme les proches de Raiponce : on se demande comment on a pu en arriver là, comment on a pu ne pas voir les signes. Ce roman est véritablement une plongée dans une prison mentale, un gouffre de solitude et un cercle vicieux qui ronge.
En cela, la Tour prend un visage là aussi métaphorique, car elle n’est pas matérielle mais mentale. Le roman offre alors deux regards, deux façons de vivre la maladie. D’abord, le dialogue très dur entre Raiponce et son double d’un côté, auquel on assiste dans le secret auprès de Raiponce. Puis le fossé qui se creuse entre elle et son entourage.
Un texte témoignage ?
L’autrice a su rendre compte de la manière dont est vécue la maladie, à la fois par la personne qui en souffre mais aussi par son entourage. Laetitia Meyrat ne porte aucun jugement, mais donne en revanche des clefs (et cette histoire de clef a tout son sens dans ce roman) pour comprendre tout ce qui est en jeu. Elle aborde cette maladie avec tact. La plume est délicate mais ne masque rien et n’hésite pas à dire les choses ni à les montrer dans toute leur violence. J’ai trouvé que l’autrice avait trouvé le bon ton pour évoquer cette maladie, d’autant que le roman s’adresse à un public jeune, peut-être encore plus fragile vis à vis de ces troubles alimentaires.
Il va sans dire que c’est glaçant. Que l’autrice ait su si bien évoquer et mettre en scène cette maladie, avec autant d’empathie et d’amour pour tous ses personnages, malgré leurs erreurs, leurs paroles… me fait penser que nous avons là un texte très personnel. Cela a rendu la lecture encore plus intense et difficile. C’est un roman très juste, très beau, mais très dur. A vrai dire, je ne m’attendais pas à cela. Ca a été une vraie et fort bonne surprise, malgré la gravité du propos.
Un second récit : le passé
Je parlais de zones d’ombre plus haut. Malgré un début assez rafraîchissant et parfois enjoué, le récit est planté dans un décor hostile. La famille de Raiponce semble exilée quelque part, loin d’une forêt maudite, dans un hiver piquant et son passé est trouble. Un papillon en hiver va dévoiler peu à peu toutes ces zones d’ombre, qui vont grossir avant d’éclater. Cela va nous permettre de comprendre comment Thécéa, la maladie de Raiponce, a pu prendre racine, et pourquoi elle se déclare maintenant.
Si cela fait sens, j’ai moins apprécié ces liens avec le passé des personnages. J’ai trouvé que l’imbrication des deux trames, passé et présent, n’était pas toujours très fluide, ni forcément pertinente. Le passé de Raiponce m’a semblé exagérément ravagé. Selon moi, il n’y avait pas besoin d’une telle outrance dans la violence vécue pour expliquer le comportement actuel de Raiponce. J’ai trouvé qu’on perdait alors la finesse présente jusque là. D’ailleurs ce final m’a semblé expéditif, avec un antagoniste qui arrive un peu comme un cheveu sur la soupe. Je n’ai pas aimé ce dénouement qui m’a laissé perplexe.
C’est dommage, mais cela n’enlève rien à la pertinence du roman, à sa force, ni à la manière dont il aborde les TCA.
En pratique
Laetitia Meyrat, Un papillon en hiver
Editions du chat noir, Collection Cheshire, Février 2022
Couverture : Tommy TC
Un papillon en hiver est le premier roman de Laetitia Meyrat. Il s’inspire du conte de Raiponce pour proposer quelque chose de plus grave, réaliste et psychologique. L’autrice propose un récit à tendance universelle, entre réalité et imaginaire. Le positionnement selon moi parfait pour aborder le sujet des troubles alimentaires, et leurs conséquences psychologiques. Je n’ai pas forcément accroché à l’ensemble du récit, notamment ses liens avec le passé des personnages. Toutefois, j’ai beaucoup apprécié ma lecture pour la force du propos traité avec tact et l’émotion qui s’en dégage. Un papillon en hiver est un texte très fort et marquant.