Là où réside l’hiver est un roman de Laetitia Arnould. Ce magnifique livre objet est le fruit d’un projet Ulule mené par l’éditeur, Twinkle Editions. Un sublime relié, avec signet, illustrations de l’autrice même, avec plein de petits goodies comme on les aime. J’avais déjà découvert cette autrice dans son roman Ronces blanches, roses rouges, une réécriture de conte qui ne m’avait pas totalement convaincue. Mais je suis l’autrice depuis, car j’étais persuadée que sa grande sensibilité et sa plume fine parviendraient à m’emmener loin au bout du monde. C’est chose faite avec Là où réside l’hiver, très belle ode à l’hiver au message très pertinent. Cette lecture s’inscrit dans deux challenges : le ABC de l’imaginaire (Lettre A) et le Cold Winter Challenge (menu Marcher dans la neige, pôle nord : froid, hiver).
Synopsis
« À dix-sept ans, Edda Nightingale est une jeune fille solitaire et hypersensible. Orpheline, elle vit avec sa belle-mère et la fille de cette dernière. Même mise à l’écart, elle veille chaque jour sur le manoir de son enfance et les bois de Moonland.
Garant des glaciers, Jack Frost est la quintessence de l’hiver. Pourtant, qui connaît encore son nom ? Invisible pour les hommes et délaissé des fantômes, Jack œuvre sans relâche : il roussit les feuilles, souffle le givre et fait danser les flocons…
Est-ce le vent du nord, un étang gelé ou une aurore boréale qui va mettre Edda et Jack sur le même chemin ? Si la première découvrira un univers de conte, le second devra côtoyer les humains, ces Éphémères qui l’ont laissé pour compte…
Quand les rêves de neige disparaissent et que la Terre surchauffe, Edda et Jack devront s’apprivoiser et s’allier aux Veilleurs de l’Hiver pour que demeure l’équilibre des saisons… »
Une ode à l’hiver
Poésie chantée
En parlant d’ode, je fais plutôt référence aux poèmes chantés grecs, plutôt qu’à la forme poétique et lyrique codée. J’ai eu ce ressenti de chant et de poème mêlés dès le prologue. En effet, celui-ci offre une très belle prose poétique, tout en finesse et en délicatesse. Ce prologue s’intitule d’ailleurs « La ba(l)lade du clair de Lune ». Anaphores, rythme mélodique, balancement des phrases comme si elles se mouvaient au gré du vent… Dès les premiers mots de ce roman, Laetitia Arnould donne le ton.
Il est là, survolant les crêtes cotonneuses pour diriger les vents hyperboréens, souffler le givre et chorégraphier la valse des flocons […]
Il sait qu’il a la nuit entière pour pouvoir suivre son cheminement dans l’univers. Il a l’éternité pour le faire, même […]
Qui est-il, sinon cet immortel au tempérament changeant ? Qui est-il, sinon cet homme-enfant figé dans l’hiver du temps ?
Il est le dépositaire des secrets de la vie sauvage, le gardien des glaciers et du givre qui brille sous les étoiles. Il est le froid, il est la nuit. Il est chaque note de musique que la saison émet sous ses doigts et qui s’envole, dans une nuée d’ondes, vers des ailleurs méconnus.
Il est là lorsque l’automne se meurt […]
Il est le garant des neiges éternelles.
Il est l’Hiver.
Il est Jack Frost ».
L’alternance des points de vue internes dans le roman (Jack et Edda) contribue aussi au rythme mélodique global du roman. C’est entraînant, cela berce le lecteur, d’autant que les chapitres ne sont ni trop courts, ni trop longs. Le dosage est parfait, permettant une immersion totale dans les pensées de chacun des personnages.
L’Hiver, personnage principal
Laetitia Arnould est une amoureuse de l’Hiver, et cela se ressent.
D’une part, par la figure allégorique de l’Hiver en la personne de Jack Frost. L’autrice personnifie cette saison, avec un Jack Frost consistant doté d’un passé difficile et de failles. Son visage est davantage celui d’un humain, doté de travers tout aussi humains (une légère arrogance doublée de l’insouciance de la jeunesse). Il possède aussi un petit humour pince sans rire qui le rend attachant. Cette figure quasi humaine nous permet de nous attacher à la saison qu’il personnifie.
Et à travers lui, c’est l’amour de l’Hiver de Laetitia Arnould que l’on ressent. Serait-ce l’autrice que l’on devine derrière le visage d’Edda ? 🙂 Il y a dans ce personnage une très grande sensibilité, notamment, qui lui permet de remarquer les petits détails de la saison. De capter les infimes changements dans l’air, par l’attention qu’elle porte à son environnement. Ou encore, de savoir apprécier ce qui est.
Ainsi, les personnages et la finesse de plume de l’autrice parviennent à nous émerveiller devant ces paysages enchanteurs et presque oubliés. Laetitia Arnould nous prend par la main, et nous entraîne avec elle les pieds et la tête dans la neige. Une fois le livre ouvert, on quitte la Terre pour rejoindre un rêve qu’on ne veut pas quitter.
Un mélange folklore et problématiques contemporaines réussi
« Un folklore et un imaginaire intemporels »
En discutant avec elle sur les réseaux, Laetitia m’a dit quelque chose qui m’a frappé : « l’imaginaire et le folklore populaire sont une source d’inspiration infinie et intemporelle ».
C’est surtout le « intemporel » qui m’a fait réagir. Car on le voit vraiment bien dans ce roman. Une première lecture de ce roman vous offre ce que j’ai décrit plus haut : une merveilleuse promenade enneigée aux côtés d’une figure allégorique issue d’un folklore anglo-saxon (dont on trouve d’ailleurs une déclinaison sous d’autres noms dans d’autres folklores, je pense notamment à Ded Moroz en Russie). Ce folklore est effectivement un terreau riche qui permet les réécritures, les reprises, les déclinaisons.
Cependant, une seconde lecture, tout aussi intéressante, propose une confrontation directe de ce folklore à des problématiques très actuelles. Car l’Hiver se meurt. Combien sommes-nous à avoir oublié la neige ? Les saisons disparaissent aussi, peu à peu. A travers un imaginaire folklorique, l’autrice parvient à traiter des enjeux climatiques d’une manière détournée, et particulièrement fine et efficace. Le message est fort, car le bouleversement climatique ici est associé à une mort programmée du folklore et de l’imaginaire.
Et le roman entre dans une autre dimension
Fort habile ! Il y a dans le roman une problématique actuelle, avec un message porté de manière très fine et subtile, sans être non plus accusateur. Si je suis moins convaincue par contre par l’intrigue centrée autour de la marâtre d’Edda, Mrs Glasting, qui m’a parue un peu trop évidente et classique, j’ai particulièrement apprécié la fin du récit. Car le roman ne se termine pas « bien ». En fait, il ne se termine pas vraiment tout court : il fait prendre conscience aux personnages et au lecteur du problème en place, et laisse les portes ouvertes avec tous les outils en main pour y remédier. Ce faisant, le roman laisse au lecteur la possibilité de faire revenir la neige; en quelque sorte, d’être le propre héros d’une prochaine histoire à raconter.
Mais si le roman se veut optimiste malgré les dégâts déjà engendrés, je n’ai pas pu m’empêcher d’éprouver une certaine amertume, certainement parce qu’on la ressent aussi, à travers les personnages d’abord, et certains événements très forts de l’intrigue ensuite. Nul n’est épargné dans ce roman. Je l’ai éprouvée d’autant plus fort que ce roman est comme une parenthèse, un rêve dans la réalité. Et j’y retournerais bien volontiers, là où réside l’Hiver.
En pratique
Laetitia Arnould, Là où réside l’hiver
Twinkle Editions, décembre 2021
Couverture et illustrations : Laetitia Arnould
Là où réside l’hiver est un roman de Laetitia Arnould, édité chez Twinkle Editions. Je comprends pourquoi cet roman a fait l’objet d’un projet Ulule; il lui fallait un écrin de cette beauté pour accompagner la lecture. Le livre objet est splendide, et l’immersion dans ce rêve de neige commence dès la couverture… J’ai adoré cette lecture, douce et glaçante comme la neige. Ce roman offre deux niveaux de lecture imbriqués, et le propos est traité avec beaucoup de pertinence. Voici donc un roman touchant, à la sensibilité exacerbée, nous invitant, par le biais d’une ballade folklorique et poétique, à ne faire qu’un avec la Nature qui nous entoure. Une très belle réussite !
J’avais été freiné par le coût de la campagne Ulule mais quo sait peut-être le lirais-je un jour. Tu donnes envie en tout cas
Il me semble que l’éditeur a de nouveau du stock, et que les précommandes pourront bientôt se faire (autour du 14/02). Mais je comprends ton frein, effectivement il n’est pas donné…. Le format ebook à mon avis c’est comme pour Prosperine, on perdrait beaucoup en mise en page, qui est fort chouette.
30€ un roman de moins de 500 pages, même si c’est un beau livre, je peux pas. Je trouve ça trop cher… A voir si je le trouve un jour d’occasion. Je note de ne pas le lire en numérique.
Oui je comprends, c’est un budget à sortir, en effet… c’est l’effet relié qui veut ça je pense, avec les finitions et tout et tout. Je te conseille effectivement de le guetter en occasion, parce qu’en ebook à mon avis ce sera une grosse perte (à voir après ce qui resterait de la mise en page en version numérique; on en avait parlé pour Prosperine, où on perdait toute la mise en page rigolote, c’est dommage..)
Je connais des auteurs qui proposent leur livre en relié avec de magnifiques finitions et plus de pages, en financement Ulule et à un prix plus abordable. Ce qui fait que je ne comprends pas pourquoi celui-ci est si cher…
Dans la répartition des coûts de la campagne, 30 % vont à l’imprimeur et il y a une grosse partie pour l’envoi aussi. Peut-être que le grammage du papier avec toutes les illustrations, combiné à la hausse du prix du papier, ça donne un coût de matières premières assez important qui se retrouve dans le prix final. Après, j’imagine que ça dépend aussi des techniques de fabrication, si c’est du vrai relié ou pas. Et il y a la part éditeur et promotion, peut-être moins importante quand c’est un ulule d’un auteur ? Bref, je ne sais pas trop d’où vient le coût exact, peut-être une conjonction de tout ça; mais je pense que la crise du papier va forcément impacter le fix final des bouquins, sinon ça voudra dire que les acteurs de la chaîne seront moins rémunérés :-/
Quoi que ça ne rivalisera pas avec les intégrales à 75€ d’une autre ME!
ouch, là ça fait une sacrée somme à sortir effectivement… Pour les passionnés !
Je te rejoins sur ton avis ! 🙂
Une chouette lecture, une belle reprise du folklore féerique hivernal mêlé à une problématique contemporaine, un bel objet, bref, j’ai bien aimé !