Flore Vesco – L’estrange malaventure de Mirella

Enfin je découvre cette autrice ! Qualité de la plume, réécriture de contes, livres jeunesse de toute beauté : c’est ce que j’avais retenu des chroniques sur ses livres. J’ai donc lu L’Estrange Malaventure de Mirella, paru à l’école des loisirs. C’est une réécriture du conte du joueur de flûte de Hamelin. J’avais déjà lu Le musicien par Annabelle Blangier, sur le même conte. On a là deux romans de très grande qualité, tout à fait distincts. La première édition de l’Estrange Malaventure de Mirella est parue en 2019, et le roman a été multiprimé. J’ai lu la réédition de 2021, dans la collection poche de l’Ecole des loisirs.

Synopsis

Moyen-Âge. Les rats ont envahi la paisible bourgade d’Hamelin.

Vous croyez connaître cette histoire ? Vous savez qu’un joueur de flûte va arriver, noyer les rats en musique, puis les enfants d’Hamelin ?

Oubliez ces sornettes. La véritable histoire est bien pire, et c’est grâce à Mirella, une jeune fille de quinze ans, qu’on l’a enfin compris. Cette crève-la-faim a un don ignoré de tous : elle voit ce que personne d’autre ne voit. Par exemple, elle a repéré cet homme en noir qui murmure à l’oreille de ceux qui vont mourir de la peste… Et ça lui donne une sacrée longueur d’avance. Y compris sur le plus célèbre dératiseur de tous les temps.

La peinture d’une bourgade médiévale

La plume de Flore Vesco est délicieuse. Il y a dans L’Estrange Malaventure de Mirella un énorme travail sur la langue médiévale : un vocabulaire d’époque (avec un glossaire en fin d’ouvrage), et des tournures assez proches de l’ancien français (sans évidemment que ce soit de l’ancien français, qui ne serait pas du tout lisible). J’ai beaucoup aimé ce soin apporté à la langue française. C’est joli mais surtout l’autrice a parfaitement dosé les artifices de langage pour garantir une parfaite fluidité de lecture.

La description de Hamelin, petite bourgade médiévale fortifiée est aussi remarquable. On s’y croirait : boue, pestilence, rues étroites et mal famées : pas étonnant que les rats s’y plaisent ! J’ai vraiment aimé la représentation très vraisemblable de cette ville médiévale. La vraisemblance se retrouve également dans les rapports entre les personnages de la ville : chacun à sa place, Mirella étant en bas de l’échelle. Et ce n’est pas joyeux du tout. Flore Vesco oscille entre cynisme et humour pour faire passer la pilule. J’ai beaucoup aimé le ton employé.

La couverture de la première édition donne une idée de l’architecture de la ville d’Hamelin.

« Profitons-en pour observer la ville. Hamelin ressemblait à une marmite. C’était une vaste cité ronde, entourée d’une courtine et remplie à ras bord d’une populace bouillonnante. Les rues étroites et méandreuses, où il y avait à chaque coude grand embarras de charrois, débordaient d’ateliers et d’échoppes.

Il y régnait une merveilleuse cacophonie.

Devant leur huis, drapiers, pâtissiers, tisserands, verriers et chausseurs interpellaient les passants. Leurs balivernes étaient couvertes par les braillements des vendeurs à la criée, des ramasseurs de chiens, des marchants de peau de chat. S’y ajoutaient les jactances des vilains, vilaines et vilainiots, qui dès la pique du jour quittaient leur triste tanière pour confabuler au plein air ».

Une réécriture très convaincante

Qui s’inspire fortement du conte originel…

J’avais beaucoup aimé Le musicien d’Annabelle Blangier, qui avait réécrit le conte originel en l’axant sur un drame personnel et familial, avec une touche de fantastique. Ici, on reste plus proche du conte des frères Grimm, en tout cas dans les deux premiers tiers du roman. Celui-ci est d’ailleurs un peu long à démarrer, Flore Vesco prenant bien le temps de représenter les lieux, les personnages, et créant un suspense diffus autour de l’apparition des rats.

J’ai particulièrement aimé la personnification de la Peste en émissaire de la Mort, qui effectue une danse macabre avec Mirella. C’est un aspect d’ailleurs qui m’a énormément plu : il y a dans l’Estrange Malaventure de Mirella une petite musique de fond insistante, qui résonne, et qui fait écho au conte, forcément. C’est une danse, alors nous en avons ici l’aspect léger, festif et rigolo, mais c’est une danse macabre, donc la noirceur n’est jamais très loin : c’est à l’image de l’écriture, tantôt criante d’une vérité dérangeante, tantôt légère et rigolote.

Enfin, il faut mentionner la table des matières, qui offre un joli jeu littéraire aussi. Les chapitres à eux seuls racontent l’histoire de Mirella, c’est très bien pensé, et l’on voit que Flore Vesco a soigné tous les détails.

… Mais qui offre un retournement surprenant

Il y a en effet un double renversement dans ce roman que j’ai beaucoup apprécié :

  • La figure du joueur de flûte qui devient joueuse de flûte; on pourra se dire que c’est dans l’air du temps, et chacun en pensera dans son coin ce qu’il en veut. En attendant, j’ai trouvé que c’était très opportun, car il y a dans la figure du joueur de flûte quelque chose qui découle de la sorcellerie. Or, la sorcellerie a majoritairement été associée à la figure féminine au Moyen-Age, donc Mirella apporte du sens supplémentaire au conte.
  • La fin : je ne la raconterai évidemment pas, mais elle dévie par rapport au conte et dans une direction qui m’a beaucoup plu. L’Estrange Malaventure de Mirella est un roman plutôt jeunesse mais il offre aussi une lecture à destination des adultes. D’ailleurs, il me semble, à bien y réfléchir, que cette réécriture est davantage destinée aux adultes, priés de prendre conscience de leurs actes, de leur positionnement, de leurs responsabilités. Ce roman est une jolie fable sur l’innocence enfantine, à préserver.

Enfin, on trouve énormément d’ingrédients romanesques dans ce livre, à petite dose, comme saupoudrés, qui apportent du plaisir supplémentaire, un petit sourire, au détour de cette histoire assez sombre : un zeste de romance, un soupçon de fantastique, une pincée d’imagination avec quelques portes laissées ouvertes, un personnage principal très attachant, des secondaires parfaitement brossés qui offrent une vraie scène de genre… Flore Vesco nous offre là un vrai petit bijou, beaucoup plus dense que le conte d’origine, forcément.

En pratique…

Flore Vesco, L’Estrange Malaventure de Mirella

Première édition : 2019, Ecole des loisirs / Seconde édition : 2021, Ecole des loisirs, collection Medium + Poche

Couverture de la seconde édition : Mayalen Goust

Lien vers le catalogue éditeur : ici

Le site web de Flore Vesco : ici

Une autre chronique du livre chez Sometimes a book (qui m’a incitée à le lire, et je l’en remercie ici beaucoup !). Et puis j’ai beaucoup aimé le retour de Nina Gorlier, qui l’a lu tout récemment et qui a été émerveillée comme moi par cette réécriture !

En somme, ma lecture de l’Estrange Malaventure de Mirella m’a offert un moment d’émerveillement, malgré la noirceur du conte. C’est un roman que je recommande chaudement, tant pour sa revisite habile du conte que pour la qualité de son écriture. Et évidemment maintenant, je vais courir lire le roman suivant de Dame Vesco, D’or et d’oreillers, qui revisite, lui, le conte de La princesse au petit pois.

10 commentaires sur “Flore Vesco – L’estrange malaventure de Mirella

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    1. Je te la recommande ! Mirella est un petit bonbon doux et acidulé en même temps (il me fait penser aux bonbons arlequin ^^) qui se lit très facilement. Tu peux l’intercaler entre deux grosses lectures pour souffler, et ce sera un intermède fort agréable 🙂 Je lirai d’or et d’oreillers dès mercredi, il inaugure ma première participation au PAC !

        1. Bon alors je viens de finir d’or et d’oreillers ^^ j’espère que ta vendeuse ne t’a pas fait faux bond, parce que c’est indéniablement un livre qu’il faut absolument que tu lises 😀 il est très bon. j’ai pleiiiin de choses à dire dessus !!

  1. Oh tu me mets l’eau à la bouche 😀 ! J’ai un peu peur par rapport aux phrases qui pourraient rappeler le vieux français, car c’est le genre de choses qui me coupe dans ma lecture, mais le reste a l’air parfait… 😀
    Il ne me reste plus qu’à me lancer 🙂 !

    1. C’est fait de manière assez intelligente, sans que ça soit « trop ». Ca reste fluide et lisible, après je suis peu objective, car j’aime énormément le travail qu’on écrivain peut réaliser sur la langue. Donc forcément j’ai adoré ^^ Mais à mon sens, ça reste soft tout en donnant une couleur médiévale intéressante.
      Mais oui, à mon avis il mérite d’être lu et connu, et le suivant, d’or et d’oreillers… aussi ! Une autrice à suivre, je t’encourage à la découvrir 🙂

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