Trente ans après tout le monde, je plonge enfin dans ce roman d’Emilie Querbalec paru chez Albin Michel Imaginaire. Quitter les monts d’automne est un roman de SF, qui nous emmène dans une histoire étalée sur plusieurs siècles, et dans un univers japonisant. Une lecture déroutante, surprenante, très différente de ce que j’ai l’habitude de lire. 10ème lecture pour le Printemps de l’Imaginaire Francophone (Menu Rêvasser, Entre rêve et réalité) et 13ème pour le ABC Challenge de l’imaginaire (Lettre Q).
Synopsis
« Recueillie par sa grand-mère après la mort de ses parents, la jeune Kaori vit dans les monts d’Automne où elle se destine à être conteuse. Sur Tasai, comme partout dans les mondes du Flux, l’écriture est interdite. Seule la tradition du « Dit » fait vivre la mémoire de l’humanité.
Mais le Dit se refuse à Kaori et la jeune fille se voit dirigée vers une carrière de danseuse. Lorsque sa grand-mère meurt, Kaori hérite d’un rouleau de calligraphie, objet tabou par excellence, dont la seule détention pourrait lui valoir une condamnation à mort.
Pour percer les secrets de cet objet, mais aussi le mystère qui entoure la disparition de ses parents, elle devra quitter les monts d’Automne et rejoindre la capitale. Sa quête de vérité la mènera encore plus loin, très loin de chez elle ».
Un début de roman comme un souvenir lointain
Un récit de mémoire
Emilie Querbalec m’a envoûtée dès ses premières phrases, avec sa plume délicate mais précise. Elle n’a pas besoin de s’étaler pour dessiner un paysage, faire ressentir une atmosphère. Ses mots sont fort bien choisis, et sa poésie à la fois simple mais belle, efficace.
C’est Kaori qui raconte, bien après le déroulement des événements. Dès le début, on est sur un récit du souvenir et de la mémoire. Des événements racontés avec le recul de celle qui raconte, analyse après coup ce qu’elle a vécu; des trous de mémoire, aussi, des approximations dans les souvenirs. Pour le coup, j’ai adhéré à la narration à la 1ère personne parce que j’ai bien senti la distance entre narrant et narré. Et ça prend tout son sens ici.
Quelque part dans un Japon rêvé
L’univers japonisant, entre un Japon traditionnel et un Japon imaginaire, m’a séduite. J’ai aimé ces quelques touches de couleurs, de sensations, qui m’ont fait ressentir cette ambiance particulière. Le tout est remarquablement documenté, on sent là la culture de l’autrice qui y est née ainsi que ses inspirations. Elle cite notamment le Dit de Genji, œuvre japonaise du XIème siècle, une somme de 54 livres décrivant avec un point de vue interne la vie de Cour dans tous ses détails et tous ses personnages (dont Kaoru, fils de Genji… petit clin d’œil ? Après recherches, j’ai appris que Kaori et Kaoru signifiaient « parfum », « fragrance » : je trouve que c’était une jolie métaphore de la trace, comme une bribe de souvenir qui traîne… –> je pense que je surinterprète mais c’est pas grave, ça m’amuse beaucoup ^^).
Avec Kaori, j’ai eu l’impression de suivre les pas de Sayuri, et il n’a pas fallu grand chose pour que la musique de John Williams résonne à mes oreilles. La première partie de Quitter les monts d’automne m’a vraiment fait penser au roman d’Arthur Golden, Geisha. On y retrouve une petite fille orpheline, qui apprend la vie, grandit, s’essaie aux arts de la danse, jalouse un peu son aînée… Le roman d’Emilie Querbalec commence comme un roman d’initiation.
Un long voyage commence
Une porte se ferme…
Le roman est divisé en plusieurs parties, autant de phases dans la vie de Kaori; des périodes bien définies, correspondant à une époque, un lieu, une ambiance.
Dès le début du roman, l’on sait que le monde est beaucoup plus vaste que ce qui est montré. On se doute, avec le mystère autour du rouleau écrit, du Dit et du Flux, que les événements vont prendre une ampleur bien plus vaste que le focus très recentré du début du roman.
Dès que Kaori quitte sa province, le voyage commence réellement. La ville, d’abord, véritable épreuve pour la campagnarde provinciale; lieu de tous les dangers (attention, il y a une scène très dure au détour des pérégrinations urbaines de Kaori : vous pouvez la zapper, car elle n’a pas d’impact sur la suite). J’ai néanmoins aimé la confrontation de la ville réelle à la ville fantasmée. A Pavané, rien de clinquant, pas de waouh; à peine quelques lampions qui éclairent la côte quand Kaori imaginait une magie lumineuse. La manière dont Emilie Querbalec déconstruit les rêves de Kaori et notre propre imaginaire m’a plu.
Puis le roman ouvre des portes, élargit des horizons. On fait alors des sauts dans le temps et dans l’espace, pour décoller complètement, dans tous les sens du terme. Mais c’est paradoxalement là que ça a commencé à être compliqué pour moi. Car je me suis rappelé avec nostalgie les moments de jeunesse de Kaori. J’ai senti le vent tourner, l’enfance s’éloigner. En y réfléchissant après coup, je me suis dit que c’est exactement ce que devait ressentir ce personnage. D’ailleurs, le titre révèle toute la portée du roman : il sonne comme un départ, un adieu. Et ce verbe à l’infinitif n’est pas une invitation : il est un fait, devant lequel Kaori et le lecteur sont placés. Irrémédiablement, il faut avancer, s’élever vers les cieux, partir, et fermer la porte de Tasai. Quitter les monts d’automne. Et ses parfums de l’enfance (parfums –> Kaori —> je file la surinterprétation jusqu’au bout ^^).
… vers un ailleurs
Commence alors un long voyage dans l’espace et les tubes, et pour le lecteur un nouvel environnement peuplé de machines, d’IA et de trucs techniques beaucoup moins sexy que l’environnement poétique japonisant (enfin, selon moi). A l’instar des personnages qui vont dormir de manière prolongée, je me suis plongée dans un état de dormance similaire.
J’ai conscience que pour un roman de SF, cela est tout à fait abordable. Il faut juste se laisser séduire par une certaine ambiance, atmosphère, un champ lexical, qui sonnent SF. Mais moi ça ne me passionne pas et du coup j’ai survolé assez nettement toute cette partie, entre les multiples dodos des personnages. Je n’ai donc pas grand chose à dire sur ce qui relève du space opera, sinon qu’il offre quelques petites excursions de fantasy (je pense notamment aux Sylphes par exemple), et qu’ici, nulle fragrance (héhé). Cet univers fermé m’a semblé impersonnel, neutre.
Le chemin, et non la destination
En fait, en y réfléchissant depuis, je pense que ce qui m’a bloquée à ce moment, c’était de ne pas comprendre où les personnages se rendaient. La raison, on la connait à peu près, mais partir où, voir qui, et partir vers quand : on n’a pas de réponse avant le dernier tiers. A un moment, j’ai fini par comprendre que ce qui comptait, ce n’était pas tant la destination, que le chemin pour y arriver.
Le roman nous entraîne avec lui, à son propre rythme, vers cet ailleurs inconnu. Et l’écriture mute aussi, au fur et à mesure du voyage. Il n’y a pas que les personnages qui évoluent, la plume également. Alors que le début du roman était assez contemplatif, très axé sur de la narration pure, ces parties de voyage dans l’espace vers « Pétaouchnok sur Galaxie » sont beaucoup plus dialoguées.
Finalement, Quitter les monts d’automne est un roman qui change de visage, de couleur et de tonalité, au fur et à mesure qu’il s’éloigne de notre réalité et de notre temporalité. En cela, je trouve que c’est assez génial, j’ai vraiment apprécié la mue formelle du texte.
Sur la route de la mémoire
Et ce chemin nous mène au tiers final, où l’on saisit toute la portée du roman et du voyage. Par le biais de Kaori perdue dans les méandres de sa mémoire, le roman offre une très belle réflexion sur le lien entre mémoire, écrit et parole. Déjà plus tôt, l’autrice avait glissé ici et là des indices sur la nature même du Dit.
Elle embraye alors sur une discussion autour du langage, sa portée et son origine. Et j’ai trouvé ça tellement génial, car quel meilleur moyen que le livre pour réfléchir sur la portée de l’écrit ? Rien que la façon d’écrire, le choix d’une langue, de signes, et même la personne qui écrit, est porteuse de sens, d’un message. On comprend alors, dans le roman, la raison de son interdiction des siècles plus tôt, le lien entre oralité et mémoire, entre mémoire et civilisation, et entre mémoire et fabrication de l’avenir…
J’ai enfin aimé le parallèle entre le chemin personnel de Kaori dans sa propre mémoire, et celle collective de toute une civilisation; une belle manière d’intégrer la petite histoire dans la grande.
En pratique
Emilie Querbalec, Quitter les monts d’automne
Albin Michel Imaginaire, 2020
Couverture : Manchu
Autres avis : un space op’ qui a perdu Dup en route, sur Bookenstock; gros coup de cœur pour Lullaby; Tigger Lilly a eu le même ressenti quant aux longueurs du milieu du texte; une bonne surprise pour Le nocher des livres; Anne-Laure a été transportée par les talents de conteuse de l’autrice; Yuyine aussi a été envoûtée et nous offre une chronique d’ailleurs pleine de poésie.
Quitter les monts d’automne est un roman SF d’Emilie Querbalec. Ce roman est vraiment surprenant à plus d’un titre. Finalement, que j’aie aimé ou pas… je m’en fiche un peu, et d’ailleurs ce n’est pas ça l’important. Je retiendrai surtout que l’autrice a su m’envoûter, me bousculer, aussi. Quitter les monts d’automne est une lecture que j’ai digérée lentement, questionnée, réfléchie. A la fin de ma lecture, j’étais mitigée… Et puis en y repensant, en laissant les choses infuser, le roman a révélé beaucoup plus de saveurs que précédemment. Je ne pense pas les avoir toutes saisies, mais qu’importe ? Je pourrai toujours y revenir, un jour.
Je suis content de voir que, malgré certaines réserves (dont je partage quelques-unes), tu as pu profiter de cette lecture qui a été effectivement une belle surprise pour moi. Attendons le prochain roman annoncé pour très bientôt !
Oui, c’est vrai que j’ai eu des réserves, mais c’est rigolo pas mal se sont estompées après ma lecture, en y repensant…
J’ai hâte aussi de découvrir le prochain titre de l’autrice !
Tu le vends super bien ! Ca me tente beaucoup du coup 🙂
il vaut un très beau détour, c’est un roman qui a beaucoup de belles choses à offrir. Je t’encourage à le découvrir, avant la sortie de son prochain titre à l’automne 😉
Je suis contente que Quitter les monts d’Automne t’ait plu ! Même si tu as eu un ressenti plus mitigée, on sent dans ta chronique que cette lecture t’a tout de même marquée, d’une certaine façon. Et c’est vrai que la plume d’Emilie Querbalec, surtout dans toute la partie japonisante, envoûte et fait appel à nos sens !
(je n’avais pas fait le rapprochement avec les parfums et saveurs, mais ça colle tout à fait !)
Belle chronique ^^
Je suis plus mitigée que toi, mais il est vrai que ce roman a quelque chose. Une autrice dont je vais continuer à surveiller les écrits.
Merci ! Oui c’était un roman très perturbant !
Mais effectivement, il a bonifié dans mon esprit après ma lecture.
Je suis contente de l’avoir enfin lu car j’attends son prochain. Comme toi je suivrai désormais cette autrice de près.
C’est un roman qui surprend, envoute, emporte et interroge. Une formidable lecture pour moi (merci pour le lien et le compliment d’ailleurs) même si, moi aussi, j’ai eu quelques zones de flou à ingérer.
C’est rigolo, moi j’étais contente de voir arriver la partie très SF 🤣
Pas complètement convaincue non plus mais je suis un peu difficile en ce moment, ceci dit je vais suivre ses prochaines publications, y’a quelque chose d’intéressant.
Je me doute 🙂 Selon nos habitudes de lecture, on aime différentes parties. C’est intéressant aussi, parce que du coup, tout le monde y trouve un peu son compte selon ses préférences.
Je suis intéressée par son prochain roman à paraître, Les Chants de Nüying.