Splendide livre objet, Les brumes affamées est un roman de Dawn Kurtagich paru aux éditions du chat noir début 2021. J’ai eu le plaisir de voir arriver ce livre accompagné d’un marque-pages dédicacé, parce que j’avais précommandé le roman 🙂 J’ai lu ce texte très particulier dans le cadre du Blossom Spring Challenge (catégorie Mauvaises herbes : littérature « mauvais genres », ici imaginaire).
Synopsis
« De nos jours. Zoey, obsédée depuis toujours par les ruines de Mill House qui semblent avoir un lien avec l’amnésie de son père, fugue avec son meilleur ami pour y mener l’enquête. Sur place, des événements étranges les font douter. Sont-ils seuls ? En danger ? D’autant plus que personne ne sait qu’ils sont ici…
1851. Roan emménage à Mill House pour y vivre avec son nouveau tuteur après le décès de son père. Elle y fait la rencontre d’autres orphelins. Mais quand elle comprend qu’elle est liée à un ancien secret, elle décide de s’échapper avant qu’il ne soit trop tard… Avant que les brumes ne se referment complètement autour du manoir.
1583. Hermione, jeune mariée, accompagne son époux dans les terres sauvages du nord du Pays de Galles où il a prévu de construire une maison et un moulin à eau. Mais bientôt, des rumeurs concernant des rituels démoniaques se propagent…
3 femmes, 3 époques différentes, toutes liées par un Pacte Impie. Un pacte signé par un homme qui, plus de mille ans plus tard, est peut-être encore là… »
Les brumes affamées : un roman brumeux
Brumeux car on est plongé dans la tempête, les pluies, les nuages. Il ne me semble pas avoir vu un seul rayon de soleil sur cette montagne. Celle-ci est par ailleurs dangereusement vivante : elle bouge, respire, agit, avale. C’est le personnage principal de ce roman, comme en atteste l’épigraphe qui ouvre le roman : « ceci n’est pas un livre, c’est le rugissement de la montagne ». L’écriture reflète très bien l’aspect mouvant de la montagne et de la nature environnante, toute puissante (« La montagne est piégeuse » / « La montagne se fait silencieuse » / « De gros nuages noirs répandent toute leur eau sur elle » / « La montagne ne fait pas de cadeau dans le noir » / « L’obscurité consent à reculer »… ). En cela, il faut souligner la qualité de la traduction, qui a très bien su rendre l’ambiance.
L’intrigue également est brumeuse. Le texte est divisé en 6 parties. La première est très longue et il ne se passe pas grand chose (11 chapitres, 135 pages, soit un peu moins d’un tiers du roman). Je me suis demandée où cela allait me mener. L’intrigue mêle plusieurs fils, plusieurs époques, plusieurs voix. J’ai trouvé le récit d’Hermione vraiment léger (quelques pages, de manière très ponctuelle) et celui de Zoey ne m’a pas captivée (avec sa caméra sur l’épaule, ça m’a fait penser à un remake de Projet Blair Witch). Le texte est donc essentiellement centré sur Roan, mais je me suis quand même un peu égarée dans cette intrigue parfois. C’est fait exprès, évidemment. Et c’est réussi.
Les brumes affamées est enfin un huis-clos, quelle que soit la trame suivie. Huis-clos dans Mill House, ce manoir dans laquelle Hermione, Roan et Zoey évoluent. Huis-clos sur cette Montagne, les personnages enfermés dans cet environnement hostile, cette Montagne. Elle est partout (comme en attestent les titres des parties : « Par-dessus la montagne », « Là-haut, sur la montagne »…). Les personnages sont aussi enfermés dans leurs pensées qu’ils ressassent (un Mari un peu fou, une enfance volée, des dons de sorcellerie étranges, des liens familiaux ténus…).
Une réécriture du mythe de Faust
Les brumes affamées revisite le mythe de Faust, en se basant sur la pièce La tragique Histoire du docteur Faust par Christopher Marlowe (1592). C’est d’ailleurs un pacte entre un moine, en quête de connaissance et de savoir, et le Diable qui ouvre le récit, en 977. La suite du récit et l’évolution des personnages suivent cette pièce de théâtre.
Le Diable est ainsi au cœur de ce récit horrifique, illustré par le texte (épigraphes en début de parties, pages noires, illustrations…). C’est un texte original et une ambiance pesante. Toutefois, ça m’a un peu laissée de marbre. Peut-être parce que cet aspect horrifique m’a semblé trop marqué. Trop de cornes, de profanations, d’occultisme, d’exorcismes, de sang, de rituels, de personnages très typés (la sorcière, l’exorciste fou de Dieu…).
Néanmoins, ce texte est plus qu’un livre, c’est un objet magnifique. Rempli d’illustrations, de polices différentes, de tailles différentes, intégrant SMS, manuscrits, montages vidéos et pages colorées, c’est un roman visuel. J’ai été très faible : j’ai succombé à cette tentation, à l’attrait de l’image, des dessins, de cette parole du Diable dessinée sur le papier. La maquette du livre accompagne finalement très bien le texte, et transforme une assez bonne lecture en une expérience assez singulière, qui marque.
Les Brumes affamées de Dawn Kurtagich est un roman vraiment surprenant. Je me suis un peu ennuyée parfois, j’ai aussi trouvé le texte un peu déséquilibré dans sa construction et l’alternance des voix. Je n’ai pas tout aimé, mais de manière certaine cette lecture va me rester en tête. Une seconde lecture ne serait pas de trop, pour vraiment appréhender ce qui est en jeu ici. C’est une œuvre à découvrir, pour son concept original et son ambiance très bien rendue.
Les lenteurs que tu évoques m’effraient un peu, mais je sais que l’auteure est douée pour installer des ambiances à la limite de l’horreur, donc j’imagine que c’est à double tranchant : soit on rentre dedans et on se ronge les sangs à chaque ligne, soit on s’ennuie un peu… J’espère faire partie de la première catégorie lol. D’ailleurs, The Dead House a reçu le même genre de reproches, et pourtant ça ne m’avait pas gênée. Bref, j’ai bon espoir ! ^^
Oui, c’est ça. C’est une question de ressenti, je pense. Cependant, je suis vraiment une mauviette, mais je ne me suis pas rongée les sangs, donc le côté horrifique ne m’a pas transportée. Cependant, c’est une œuvre que je te conseille ! je n’ai pas lu ses autres romans, mais si tu as aimé, nul doute que les brumes affamées feront mouche !
J’avoue que la couverture me fait baver d’envie mais le pitch un peu moins. Les longueurs que tu pointes me freinent également même si je suis curieuse de découvrir l’ambiance qui se dégage de l’ensemble.
Après, passé le premier tiers, ça décolle. Mais ces lenteurs peuvent aussi être un ressenti très personnel. En fait, c’est une œuvre tellement particulière que je n’ai aucune idée de sa réception par les uns et les autres. A découvrir, ça c’est certain !