Alexandra Christo – Le royaume assassiné

J’ai lu Le royaume assassiné dans une période où j’avais envie de légèreté et pas d’un effort intellectuel soutenu. Sur ce point, je peux dire que ce livre tient parfaitement ses promesses, et c’est là la qualité principale (et unique, en fait) que je retiens de ce livre. Pour le reste, c’est un ratage complet. Je préfère prévenir, cette chronique contient des spoilers. Le roman original, To Kill a kingdom, est paru en 2018. La version française est parue chez De Saxus en novembre 2020.

Synopsis

«  Une sirène meurtrière et un prince aventurier vont devoir s’allier malgré eux.
Une réinterprétation très sombre de La Petite Sirène.

Lira est la sirène la plus dangereuse de l’océan. Elle a déjà pris le cœur de dix-sept princes qui sont tombés sous son charme. Mais un jour, tout bascule lorsqu’elle tue l’une de ses semblables. Pour la punir, sa mère la Reine des Mers transforme Lira en ce qu’elle déteste le plus : une humaine. Elle lui donne alors jusqu’au solstice d’hiver pour lui apporter le cœur du Prince Elian, ou bien elle restera sous cette forme pour l’éternité.

De son côté, le Prince considère l’océan comme sa vraie demeure, même s’il est l’héritier du plus grand des royaumes. Chasser les sirènes est sa raison d’être. Mais lorsqu’il sauve une jeune femme qui se noie, il est loin de se douter de sa vraie nature… Pour le remercier, elle lui promet de l’aider à trouver le moyen de détruire toutes les sirènes, mais peut-il vraiment lui faire confiance ? »

« Une réinterprétation très sombre de la petite sirène »

Une réinterprétation, vraiment ?

Soit on n’a pas lu le même conte, soit on part du principe qu’à partir du moment où il y une sirène humanisée et un prince, ça rentre dans les cases de la réinterprétation.

OK, une réécriture s’éloigne du conte (dans son époque, son cadre ou son point de vue, par exemple), mais à mon sens, Le royaume assassiné s’inspire plutôt de quelques motifs du conte, pour s’en éloigner drastiquement. Le schéma narratif est radicalement différent. Pour moi, c’est une autre histoire, à part entière.

Réinterpréter signifie donner une nouvelle explication/un autre angle de vue sur quelque chose. Or il n’y a pas, dans Le royaume assassiné, cette démarche de mise en lumière d’aspects du conte originel, ou un autre sens donné aux actions etc. En fait, c’est simple : c’est vide de toute réflexion. D’autre part, le conte porte à la fin un message, des valeurs, et l’histoire amène à cette conclusion. Le royaume assassiné n’a pas non plus cette portée.

« Très sombre »… hum hum.

Pas juste sombre, non : « TRES sombre ». Ca ne rigole pas. Bon, en vrai, je me suis esclaffée une bonne partie du livre (l’autre partie m’a fait soupirer de dépit). Le texte se termine sur un flamboyant happy end. L’aspect sombre ne provient donc que de la Reine des mers, terrrrrible bonne femme, un croisement entre Davy Jones (Pirate des caraïbes pour ceux qui ne connaissent pas) et la marâtre de Cendrillon. Avec le « hiiiiiinhinhinhin » de la méchante, évidemment. Bref, quelque chose d’assez drôle en fait. En plus elle se fait terrasser par les gentils. On n’a pas du tout la même vision du sombre, manifestement.

Les personnages

Lira, la sirène de ce livre, est une adolescente en crise et en rébellion contre sa mère, la Reine des mers (qui est vraiment très très méchante, vous l’aurez compris). Elle m’a particulièrement tapé sur les nerfs cette gamine condescendante et insupportable. Mais bon, c’est quand même elle la gentille.

Le prince, Elian, c’est Joker (mais un Joker gentil aussi). La face pile c’est le futur roi du royaume qui s’ennuie à la cour, qui refuse de se marier, malgré une tripotée de prétendantes qui se pâment à sa vue (mais lui est bigleux, il ne rêve que de son navire, et yohoho, une bouteille de rhum). Et Face, le pirate au sourire charmeur et arrogant. Particulièrement ridicule, ce prince m’a fait tantôt pester, tantôt rire par ses clichés de bellâtre séduisant (on dirait Gilderoy Lockhart par moments, ça se trouve Elian aussi a été élu sourire de l’année par Sirène magazine). Il est même adulé par son fanclub, un tas de pirates idiots mais invincibles guerriers qui le suivent les yeux fermés, à la vie à la mort. Parce que c’est un gentil.

Tout tourne autour d’Elian et de Lira. Pas de seconde femme ici comme dans La petite sirène (ça aurait été beaucoup trop compliqué à suivre !). Ces deux-là sont figés dans un schéma classique « enemies to lovers » (je te hais, tu es un mufle/tu es une insupportable enfant pourrie gâtée, j’essaie de te résister, mais ah ton charme me subjugue, non non je résiste, ah c’est trop dur, ah je t’ai toujours aimé(e) mais ma tête refusait de l’accepter et hop, bisou, papillons dans le ventre et feu d’artifice). Ca marchait à l’époque de Hartley cœur à vif, mais maintenant, pfff, il faut changer de disque.

L’intrigue du royaume assassiné

Facilités scénaristiques 1 – 0 Crédibilité du récit

Prenons Lira. Vous avez compris dès le résumé que c’est la noyée repêchée par le Prince. La Miss Teigne est une sirène donc, qui une fois humaine met 5 minutes montre en main à devenir une pirate aguerrie, avec un joli jeu de jambes et les fringues qui vont avec (Keira Knightley n’a qu’à bien se tenir). Elle n’est par ailleurs jamais sortie de la mer de sa vie, mais étrangement elle parle la langue des humains (avec un sacré accent que personne ne semble capter d’ailleurs). Et encore plus étrangement, personne ne comprend non plus que c’est une sirène, malgré sa pratique du Psàriin, la langue des sirènes. Ils sont quand même tous sacrément bêtes, sur ce rafiot.

Une intrigue linéaire

L’intrigue est d’une linéarité sans pareil. Un point A vers un point B, ligne directe. « Tout se déroulait sans accrocs », qu’il dit Elian en plein milieu du récit. Tout est bien huilé, fastoche. Pas de risque de se perdre dans un labyrinthe avec de multiples fils narratifs. Ah, ça, ce n’est pas compliqué à suivre, c’est sûr.

D’autant qu’il ne se passe pas non plus 100 actions à la minute. Beaucoup de dialogues. C’est un peu comme les feux de l’amour : vous pouvez rater quelques épisodes, vous comprendrez quand même. Les chapitres au mieux totalisent 10 pages chacun, donc pas de risque non plus de louper une réflexion philosophique essentielle (de toute façon, il n’y en a pas). On comprend aisément, avec des chapitres aussi minces, pourquoi il n’y a pas d’épaisseur dans le texte. Ce n’est pas l’alternance des deux voix qui y changera quelque chose : on a à peine le temps de dire ouf, que le chapitre est fini et qu’on passe au suivant. C’est dynamique, ah oui, ça on ne peut pas le nier.

Or il me semble malgré tout qu’un conte comporte un certain nombre de séquences et d’actions qui apportent rebondissements, détours etc. pour ne pas tomber dans les profondeurs de l’ennui. Encore une fois, on pourrait se dire justement qu’une réinterprétation serait l’occasion d’apporter un peu plus de surprise, de complexité, d’épaisseur. Bon, ici on est clairement dans l’amincissement à l’extrême de la trame narrative. C’est assez difficile d’imaginer un conte encore plus réduit qu’il ne l’est déjà, mais Alexandra Christo nous montre qu’everything is possible.

L’écriture

On dirait un premier jet : on trouve dans ce texte pas mal de coquilles, des oublis de mots, et surtout des lourdeurs énormes, des formulations malheureuses. Je dirais que la traduction n’est pas la meilleure que j’ai lue, mais comme je n’ai pas lu la VO, je ne peux pas savoir d’où vient le problème d’origine. Mais il y a des adjectifs et des adverbes qui sont placés dans la phrase française à l’endroit où ils le seraient en anglais : on dirait de la traduction mot à mot. Dans tous les cas, que ce soit la traduction ou l’écriture en VO, ce n’est pas un régal à lire, et il y a un problème d’écriture flagrant.

Il y a quelque chose de pas mal à faire avant de signer le bon à imprimer : c’est de relire le texte. Ça peut être utile, parfois… Quand les phrases ne veulent rien dire, si on manie à peu près correctement la langue française, on s’aperçoit tout de suite que certaines phrases piquent les yeux.

Pour couronner le tout, on est sur un langage assez simpliste, sans aucun effort de vocabulaire, d’effet de style, de travail poétique. En d’autres termes et de manière plus succincte : c’est pauvre.

L’emballage du royaume assassiné

Alors oui, la couverture est belle. Mais enfin, c’est quasi la même que la VO à trois tentacules près, donc ce n’est pas non plus la surprise du siècle, pas de quoi faire une action de communication en mode rouleau compresseur sur les RS pendant trois semaines (ah, j’entends dans l’oreillette que c’est exactement ce que fait De Saxus). Par ailleurs, le livre comporte des illustrations. Oui, c’est vrai, c’est joli. Mais c’est de l’emballage, du marketing, parce que le contenu lui, est médiocre. Rappel utile : une couverture ne fait pas un livre.

Conclusion et réflexions

Je savais déjà que je n’allais pas lire un roman ébouriffant avec Le royaume assassiné. La ribambelle d’avis dithyrambiques non étayés sur Instagram m’avait déjà fait comprendre que ce livre ne révolutionnait pas le genre romanesque. Je n’en attendais donc absolument rien si ce n’est un divertissement pour mon cerveau cramé. Je peux dire que j’ai été exaucée. Peut-être ce livre contient-il du bon, à côté duquel je serais passée, car après tout, ce livre a véritablement été apprécié par d’autres. Oui, j’entends. Simplement, tous les défauts que j’ai pointés ne sont pas des aspects subjectifs. Si le texte contenait effectivement quelques petits choses sympas, elles ne suffiraient pas selon moi à en faire un bon texte.

Des critiques excusent ces aspects en pointant du doigt la catégorie Young Adult du roman. Excuse non entendable. Ce n’est pas parce que le public cible est jeune qu’on peut se contenter de lui offrir une intrigue à deux balles aussi élaborée que Martine à la mer (j’aime beaucoup Martine, hein) et un texte objectivement très mal écrit. Il y a des moments où il faut appeler un chat un chat. Les Young Adult sont en droit d’avoir de la littérature de qualité.

Il y a franchement tellement d’auteurs qui font de bons romans YA. Sans vouloir dénigrer la production anglo-saxonne, je pense qu’on peut se tourner d’abord vers les auteurs français, qui en imaginaire se surpassent en proposant des choses approfondies, intéressantes, novatrices… et laisser cette brique, inodore et sans saveur, sur son étal.

6 commentaires sur “Alexandra Christo – Le royaume assassiné

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    1. J’ai souvent tendance à lâcher l’affaire rapidement aussi ! Mais ce livre a récolté tellement d’avis positifs, que je ne pouvais pas laisser passer ça. Franchement, s’il avait été juste banal, mais potablement écrit, je ne me serais pas fendue d’une chronique assassine. Mais là, c’est une arnaque ce bouquin. Je n’avais jamais vu ça en fait !!

    1. Oui, tu peux te passer de celui-ci… je dirais bien, pour être diplomate, que « ce n’est que mon avis » mais objectivement, ce roman est médiocre. Je suis sûre que ta wish list a plein d’autres titres sympas 😉

      1. Disons qu’il y a tellement de livres dans la wishlist, à un moment faut établir des priorités^^ Je ne dis pas que je le lirai pas si j’en ai l’occasion, mais il descend dans le classement des prochaines lectures on va dire^^

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