Christine Féret-Fleury – Glace – #PLIB2022

Encore un roman Scrineo ! J’en avais quelques-uns en stock. Pas tout à fait de saison, mais j’avais envie de lire cette réécriture de La reine des neiges. Glace est un roman de Christine Féret-Fleury. Son centième, plus précisément ! L’autrice a beaucoup écrit pour la jeunesse, Glace étant classé YA chez l’éditeur. Les avis étaient globalement assez mitigés, mais j’ai malgré tout voulu le lire et me faire mon propre avis. Un ressenti complexe, nourri par des impressions très différentes au fil du récit, et pas mal d’interrogations, souvent intéressantes.

Synopsis

« Alors que la Terre se meurt, survivre est devenu une lutte quotidienne…

Depuis que ses parents sont morts et que Kay, son meilleur ami, a été enlevé par les Glacés, Sanna se réfugie dans ses souvenirs pour se protéger du désespoir. Quand tout allait bien, quand Kay était encore là, quand le soleil brillait et que ses rayons réchauffaient le cœur. Lorsque Rahil, la grand-mère de Kay, meurt à son tour, Sanna se retrouve seule. Elle décide alors de partir à la recherche de son ami disparu. Après tout, qu’a-t-elle à perdre ? Il ne lui reste plus rien.

Pour la jeune fille, c’est le début d’un long voyage semé d’embûches et de rencontres, parfois improbables, parfois inquiétantes… Qu’y a-t-il au-delà des montagnes et du bouclier climatique érigé par les Glacés ? Kay se trouve-t-il là-bas, captif de l’incarnation maléfique des contes qui ont bercé son enfance, l’immortelle Reine des Neiges ? »

Un choix narratif déroutant

Un récit au présent ?

Glace est un récit rapporté par sa narratrice, Sanna, au présent d’énonciation. On vit donc l’instant présent a priori en même temps qu’elle, au fur et à mesure qu’elle le vit. Je dis « a priori » car on a parfois la sensation que c’est une Sanna du futur qui raconte, au présent, son passé. Comme si, plusieurs années plus tard, elle s’était retournée sur cette époque de sa vie, et avait souhaité la rapporter, en choisissant le présent pour rendre le récit plus instantané. Ce problème de temporalité m’a un peu perturbée.

Ca peut paraître un peu ridicule de se tortiller les neurones pour ça, mais pour moi l’illusion romanesque n’a pas très bien fonctionné. Car ça coince. Par exemple, des phrases au passé; ailleurs, des récits de son enfance, alors même qu’elle est, soi-disant dans le présent, en train de bouffer la poussière, crève la faim et tombe de fatigue; des introductions à chaque partie (il y en a 6) qui semblent être des pensées, des paroles, d’un autre personnage.

Bref, la narratrice qui raconte son présent, ça ne colle pas. Le récit au passé, j’aurais adhéré de suite. Mais là, je ne sais pas du tout qui raconte (Sanna ado ou Sanna plus âgée) ni à qui elle s’adresse. Il y a une mise en scène du récit qui ne colle pas du tout avec l’énonciation spontanée de celui-ci au présent. Ca n’est franchement pas dramatique, mais en attendant, ça a été pour moi une dissonance pendant la bonne première moitié du livre, et j’ai vraiment eu du mal à accrocher.

Une écriture commune ?

Glace est un récit très contemplatif. Ca tombe bien, je n’aime pas les dialogues. L’écriture est assez commune de prime abord; on sent que le roman s’adresse à des YA. Les champs lexicaux ne sont pas très étendus, le peu de dialogues reflète la pauvreté de vocabulaire caractéristique des ados aujourd’hui. C’est du registre courant, avec des phrases simples, mais efficaces.

Cependant, cette apparente banalité de l’écriture reflète à la perfection l’ambiance du récit. Je m’en suis aperçue au fur et à mesure de l’avancée de Sanna dans cet univers. La plume peut paraître un peu fade parfois, peu réhaussée, mais elle est à l’image de ce gris ambiant, de cet univers hostile, désolé, appauvri de tout rire, de toute âme. En cela, il y a une écriture miroir des lieux que traverse Sanna.

Certes, le niveau de langue n’est pas époustouflant, toutefois j’ai fini par trouver la plume très travaillée. Il y a un beau rendu d’ambiance dans l’écriture. Par contre, il faut effectivement aimer la langueur, le gris brumeux à perte de vue, l’absence de reflets, de vagues, la monotonie. Tout ceci se ressent à la lecture qui parfois, s’étire, s’étire… J’ai pu trouver par moments le temps long, mais la transcription de l’univers et de l’état d’esprit de Sanna est très réussie.

La reine des neiges version post-apo

Un conte réaliste, c’est possible ?

Glace s’inspire du conte de La reine des neiges d’Andersen. Il en reprend l’intrigue principale, les personnages et la structuration en parties/histoires. Chaque partie est une petite histoire en elle-même, avec son élément déclencheur, son nœud, son dénouement. On retrouve la simplicité structurelle du conte dans ce roman, avec des parties qui se suivent et se ressemblent : Sanna arrive quelque part, elle s’installe, se croit en sécurité un temps, il se passe ensuite quelques complications, il faut réagir, et Sanna s’enfuit. C’est toujours le même cycle.

Toutefois, il y a du aussi réalisme dans cette revisite. On est dans du post-apo : une planète qui a crevé de chaud puis s’est desséchée au point de se rabougrir, dont les habitants ont vu la catastrophe arriver mais n’ont pas réagi à temps, des populations fragilisées livrées à elles-mêmes devant survivre… Ca sonne très fortement à nos oreilles, et ça nous parle, car ici, le post-apo n’est pas une météorite qui arrive et déglingue tout, c’est juste la planète arrivée au bout de ses ressources qui n’a plus rien à offrir à une population qui va devoir s’écrémer. Le conte arrive dans un réalisme féroce tant il est palpable et vraisemblable, et surtout qu’on pressent tous…

Des personnages beaucoup plus denses

Au-delà des enjeux environnementaux très clairs ici, il y a dans Glace des personnages qui sont intéressants.

D’abord Sanna. C’est un roman d’apprentissage qui se donne à lire ici. La gamine grandit, fait ses choix, vit des drames, tente de survivre, apprend de ses erreurs (et elle en fait !). On est dans l’initiation, thème qui parle clairement aux YA. Ce n’est pas ce que je préfère, mais ça marche plutôt bien. Même si elle m’a paru un peu casse-bonbons la gamine.

Ensuite et surtout, il y a Kay. Kay est absolument formidable. C’est le moteur de tout le bouquin. Or, on ne le voit quasiment jamais. On ne connait Kay que par les yeux de Sanna. Fabuleux personnage fantôme, pourtant hyper présent et palpable tout au long du récit. Et il offre aussi de belles surprises ce Kay, tant à Sanna qu’au lecteur (en tout cas celui qui ne connaît pas le conte originel). J’ai adoré qu’on personnage soit autant dessiné, complexe, présent, malgré son absence.

Enfin, derrière ces deux-là, il y a une ribambelle de figurants, plus ou moins réussis, mais qui dynamisent un peu le récit parfois longuet. Certains empruntent des éléments phares d’autres contes (Blanche-Neige, La Belle au bois dormant), détournés en dystopie. Quelques personnages auraient gagné à faire davantage que figuration malgré tout.

Beaucoup de pistes passionnantes; trop ?

C’est un peu le constat général que je fais de Glace. Il y a, derrière son aspect rébarbatif et monotone, beaucoup de choses, beaucoup de pistes, de ficelles tirées. Mais pas suffisamment exploitées à mon goût.

Une intrigue sur la longueur un peu bancale

J’ai relevé plusieurs écueils :

  • les facilités scénaristiques. Ca m’agace. Je n’aime pas du tout quand « oh comme par hasard untel tombe à pic pour sauver l’héroïne qui était à deux doigts de pas s’en tirer ». Les deus ex machina fréquents de ce roman cassent complètement le réalisme recherché.
  • la juxtaposition des événements, les uns à la suite des autres. Parfois, on ne perçoit pas du tout pourquoi il se passe telle chose. Pourquoi Sanna décide t-elle de chercher Kay ? Comment sait-elle par où aller ? A quoi ça va lui servir d’aller le chercher ? Je me suis dit « bon OK soit », mais j’ai embarqué avec elle de mauvaise grâce. Ca manque de logique entre les événements. Mon fameux cause –> conséquence.
  • la fin est expédiée à la vitesse de la lumière. Je voyais le nombre de pages restant diminuer dangereusement, et je me demandais comment tout allait pouvoir se boucler en si peu de temps. C’est expédié, et c’est fort dommage, car tout s’emmêle dans un brouillard complet.

A creuser

Je me demande si ce roman si dense n’aurait pas gagné à être séparé en deux tomes. Il m’a manqué plein de choses pour pleinement accrocher.

Qui sont les Glacés ? Comment sont-ils recrutés ? Que s’est-il vraiment passé ? Quand ? Cette Reine des Neiges, c’est qui en fait ? J’aurais aimé en savoir un peu plus sur l’état du monde dans lequel vit Sanna lors de son récit, comment il fonctionne, comment telles décisions ont été prises etc. De quoi camper le cadre. Cette Reine des neiges aussi. Elle avait plus à offrir qu’un passage fugace et que la figure archétypale de conte. Dommage, elle n’est pas du tout approfondie.

D’autre part, la fin aurait vraiment gagné à être davantage développée. Non pas pour l’intrigue (enfin si, mais pas que), mais surtout pour toutes les technologies sur lesquelles repose le royaume de la Reine des Neiges. J’aurais vraiment aimé en savoir plus, ça aurait donné une dimension bien plus passionnante à ce final ainsi qu’une vraie dimension SF intéressante; ça aurait ouvert bien des portes vers un autre imaginaire.

J’ai pensé à un moment que l’absence de détails ramène en fait le récit à l’état du conte, anywhere out of the world, il y a fort longtemps, un espace-temps universel dans lequel chacun peut se reconnaître. Oui, mais alors pourquoi ancrer autant le récit dans une réalité environnementale si palpable ? Pourtant autant de réalisme d’un côté, pour délaisser la vraisemblance de l’autre ? Et pourquoi ne pas tirer les ficelles de ce monde si riche jusqu’au bout ?

Des questions qui ont un peu affecté le plaisir de ma lecture. Mais j’ai fini par trouver fort intéressant qu’un roman me turlupine autant sur tout ça. J’estime, en ce qui me concerne, que Glace offre plus qu’un simple divertissement. J’ignore si c’était le but recherché, mais ce roman a nourri ma réflexion sur les ressorts romanesques, la construction de personnages, la réécriture de contes… comme en témoigne ma chronique, qui pose pas mal d’interrogations aussi !

En pratique…

Christine Féret-Fleury, Glace

Paru chez Scrineo, en mars 2021

Illustration couverture : Xavier Collette

En lice pour le Prix des Halliennales 2021

#PLIB2022

#ISBN9782367408866

Autres chroniques : J’ai beaucoup aimé celle de la DreamBookeuse, pleine de poésie, pour ce roman qui parfois m’a semblé en manquer. L’avis d’Amanda m’a fait sourire, car je me rends compte qu’on a souvent des ressentis similaires dans les lectures que nous avons en commun.

 

Glace est un roman de Christine Féret-Fleury qui réécrit dans une sphère réaliste post-apo le conte de la Reine des neiges d’Andersen. Ce roman est complexe, bien plus qu’il n’y paraît. J’aurais bien du mal à dire si je l’ai aimé ou pas. Ce qui est sûr, c’est que ma rencontre avec ce roman a plutôt mal commencé, et mes impressions ont évolué au fil de la lecture, créées par mille et une interrogations sur le sens de ce que j’étais en train de lire. Il y a des choix très déroutants dans ce roman, que je n’ai pas toujours compris et qui ont de fait terni un peu le plaisir de ma lecture. Cela dit, j’ai apprécié qu’un roman me pose autant de questions et génère autant de ressentis si différents au cours d’une lecture.

3 commentaires sur “Christine Féret-Fleury – Glace – #PLIB2022

Ajouter un commentaire

    1. Avec plaisir ! J’ai beaucoup aimé ta chronique, pleine de sensibilité, c’est un point de vue que je trouvais intéressant. Il m’a parfois laissée un peu trop de marbre ce roman, du coup j’ai pris plaisir à lire ton retour dessus.

  1. Il m’attirait un peu lors de sa sortie mais je pense que j’ai finalement fait le bon choix de l’écarter de mon chemin. Je suis pas convaincue par ses faiblesses malgré son intérêt indéniable.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Fièrement propulsé par WordPress | Thème : Baskerville 2 par Anders Noren.

Retour en haut ↑