Voilà un livre que je me suis procuré aux Imaginales, et que j’avais en tête de lire cet hiver. Je lui ai donc trouvé une petite place dans le défi Un hiver au chalet, pour la catégorie nature, faune, écologie (dans l’bois, j’veux retourner dans l’bois !). Ce roman est sorti chez Scrineo en 2016, et a été réédité chez Pocket. J’avais beaucoup aimé Le désert des couleurs, et c’est avec plaisir que j’ai retrouvé ici la justesse de la plume d’Aurélie Wellenstein, dans une ambiance froide, hostile et cinglante cette fois. Les loups chantants ont reçu le prix Elbakin en 2016 et ont été nominé pour plusieurs autres prix.
Synopsis
Yuri appartient à un clan d’éleveurs de rennes. Il vit dans un village entouré par un perpétuel blizzard. Il y a un an, son amour, Asya, a disparu dans la tempête, attirée par les hurlements hypnotiques des loups chantants. Bien que tout le monde la croie morte, le garçon espère qu’elle soit toujours en vie, quelque part, de l’autre côté du blizzard.
Un jour, la sœur de Yuri, Kira, contracte un mal étrange ; son corps se couvre de glace. Pour le chaman du clan, la jeune fille est maudite par le dieu de l’hiver ; elle est bannie, et condamnée à s’enfoncer seule dans le blizzard. Mais une amie, Anastasia, rejette farouchement ce verdict surnaturel. Selon elle, il s’agit d’une maladie soignable à la capitale, par la chirurgie.
Déterminés à tout tenter pour sauver Kira, Yuri et Anastasia prennent leurs traîneaux à chiens pour emmener la jeune malade à la capitale. Mais aussitôt partis à travers le blizzard, les loups les prennent en chasse.
Une ambiance
C’est le gros point fort du roman. Aurélie Wellenstein sait vraiment bien dépeindre un environnement de manière vivante, avec force et poésie à la fois. Qu’ils soient de sable ou de neige, ses déserts sont à la fois attirants et repoussants, beaux, et terrifiants.
Si Le désert des couleurs éblouissait par sa multitude de couleurs, Les loups chantants aveuglent par la blancheur immaculée de ces étendues désertiques. Du blanc, rien que du blanc, à perte de vue. Ce désert de neige se déroule, au fur et à mesure de l’avancée des personnages. Et malgré cette apparente monotonie de couleurs, il n’est pas si uniforme. Pour qui sait observer, il y verra des nuances de blanc. Grisé, irisé, pastel, doux, tranchant, aveuglant.
Les loups chantants mettent en scène un univers hostile. Un blizzard terrible, un danger permanent, derrière lequel la magie et des phénomènes surnaturels se cachent. Cette avancée dans le désert est pénible, fastidieuse, longue. La fatigue, la faim et la peur s’ajoutent au voyage.
C’est une course contre la montre qui s’engage dès lors que les personnages quittent le village. Et pourtant, l’autrice fait traîner en longueur l’avancée des personnages. Comme au ralenti. Les pages se suivent, et comme les personnages, on avance lentement. Les phrases sont courtes, saccadées. Peu de connecteurs logiques qui permettent d’articuler les phrases. Elles se juxtaposent, à l’image d’un pied après l’autre. C’est tranchant. Aurélie Wellenstein invite ses lecteurs au cœur de la tempête.
Une traversée du désert
J’ai l’impression de faire une chronique semblable à celle du Désert des couleurs, tant j’ai trouvé dans ces deux lectures des similitudes.
Car l’ambiance ici, magnifiquement dépeinte, est également mise au service des personnages et de l’intrigue. Aller chercher ailleurs, loin, au bout d’un voyage éprouvant, les solutions. Trouver les réponses en chemin, à travers les épreuves, la solitude, le renfermement des personnages. Il y a encore une fois ici un cheminement tant physique que psychologique.
Si les personnages arpentent un désert, ils en traversent un également en eux-mêmes. Trois protagonistes, mais chacun enfermé dans ses doutes, ses peurs et ses non-dits. Chacun d’entre eux doit trouver en route sa propre voie. Yuri est sans cesse « appelé » par le passé et l’autre côté, marchant sur le fil comme un funambule, partagé entre le monde des disparus et le monde des vivants. Kira, entre malade et frappée de malédiction. Anastasia, amie à défaut d’être autre chose, dans l’attente d’un ailleurs et un peu paumée. D’ailleurs, la magie ne les touche pas de la même manière, Anastasia n’entendant pas les voix des loups.
On est donc dans une espèce de huis-clos psychologique, avec ces trois personnages quasi seuls tout au long du récit, emprisonnés dans leur esprit et leurs peurs, et entourés d’un mur de glace quasi permanent. Un récit qui mêle action et psychologie de manière très fine.
Des interrogations intéressantes
Ce que j’ai également adoré, c’est l’omniprésence d’un personnage pourtant absent. Je me souviens avoir lu ça également dans le roman de Christine Féret-Fleury, Glace. J’aime beaucoup ce procédé, surtout quand il justifie l’intrigue. C’est un super tour de magie, et les deux romans abordent ce procédé de la même manière : deux personnages disparus, que les protagonistes espèrent trouver vivant, et qui partent à leur recherche. Ici, Yuri ne part pas spécifiquement pour retrouver Asya, mais elle est omniprésente, dans ses pensées et son cœur. Secrètement, c’est elle qui lance Yuri dans le blizzard, et qui démarre l’intrigue.
Autre absence : l’endroit précis où se déroule ce voyage. Pas que ce soit si important. Toutefois, on s’interroge quand même : lieu totalement imaginaire, ou un semblant de réel ? Ici, malgré la présence de magie et de surnaturel, parsemés par petites touches, on parvient à situer ce désert de blancheur dans notre monde réel. C’est surtout par la voix d’Anastasia qu’on comprend qu’en dehors de ce monde de glace, il y a des villes qui existent, avec un mode de vie contemporain. Anastasia fait le lien, entre ces deux mondes. Elle représente le réel et la vie face à un monde de magie et de mort.
Tous ces éléments qui se croisent amènent à s’interroger sur la nature même de l’univers représenté. Fantastique, ou fantasy ? Si l’autrice laisse penser au début qu’on est plutôt dans le fantastique (doute, angoisse, interrogation sur la véracité des événements qui se produisent, sans vraiment pouvoir décider de leur nature précise), elle choisit ensuite résolument la fantasy, en faisant intervenir phénomènes surnaturels et magie dans l’intrigue. Quand même Anastasia accepte certaines choses qui ne peuvent être expliquées de manière rationnelle, on quitte le fantastique pour entrer dans la fantasy. L’autrice ajoute même une petite dose horrifique, en la présence du Dieu Korrochun, qui plane comme une menace sur les personnages et ce voyage. J’ai bien aimé ce mélange que j’ai trouvé subtil.
En creux, les valeurs de l’autrice
Une thématique très chère à l’autrice, en tant que personne et écrivain, c’est le lien très fort de l’animal avec l’humain. Voilà une autre sorte de magie, une magie fusionnelle. Il y a une belle symbiose entre Yuri et ses chiens; nul besoin de dialogue écrit pour constater qu’il existe malgré tout entre Yuri et ses chiens. Dans son interview avec Yuyine aux Imaginales, l’autrice revient sur cet aspect-là : « quand on écrit, on se reconnecte à la femme sauvage, aux loups. Et on court avec les loups. Et c’est très beau ». Aurélie Wellenstein est mi-femme mi-loup, et cela se ressent fort bien ici.
J’ai aussi retrouvé cette petite lueur d’espoir qu’il y avait dans Le désert des couleurs. Malgré l’univers le plus sombre possible, Aurélie Wellenstein offre des portes de sortie et de l’optimisme. Que ce soit en sa foi pour l’humanité, ou par l’amour salvateur, ou encore dans la persévérance et le courage de ses personnages. Ce bout du tunnel n’aveugle jamais par sa lumière explosive non plus, mais il est suffisamment lumineux pour qu’on le remarque, par contraste, dans l’océan de noirceur que l’autrice offre pendant ses romans.
En pratique
Aurélie Wellenstein, Les loups chantants
Scrineo, 2016 et Pocket, 2018
Prix Elbakin 2016
Finaliste pour le Prix des Imaginales des Collégiens 2017
Sélectionné dans la catégorie « Jeunesse » du Prix des Imaginales 2017
Sélectionné dans la catégorie « Roman jeunesse francophone » du Grand Prix de l’Imaginaire
Autres avis : Un ressenti ambivalent pour Tampopo, entre regret de ne pas rester purement dans l’imaginaire et impression de survol des personnages. Une lecture globalement positive pour Black Wolf, malgré là aussi impression de manque d’approfondissement dans les thématiques et l’intrigue. Dup par contre a adoré ce bouquin, qui est venu à la fin de son Wellenstein-marathon.
Les loups chantants d’Aurélie Wellenstein est un roman que j’ai apprécié découvrir, et lire en cette période. Il y faisait si froid que j’étais bien sous mon plaid pour le lire. J’y ai retrouvé les thématiques chères à l’autrice, son talent pour dépeindre une ambiance hostile de manière poétique, vivante et vibrante. Toutefois, j’ai pris un peu moins de plaisir à lire celui-ci que Le désert des couleurs, du fait de mon avancée parfois difficile dans ce blizzard, comme les personnages. Mais l’exploration de l’œuvre de l’autrice me plaît et je vais la poursuivre cette année. Mon prochain sera Yardam, sur lequel je louchais déjà aux Imaginales, et que j’ai intégré dans mon ABC de l’imaginaire 2022.
Pourrais-tu, s’il te plait, arrêter d’aussi bien vendre tes lectures ! Ta passion me pousse encore plus à découvrir cette auteure qui m’intrigue déjà énormément mais je n’ai pas le temps nécessaire dans l’immédiat.
En tous les cas, si je dois lire cette œuvre c’est au cours de cet hiver tant les décors plantés par l’auteure semblent subjuguant et me rappellent les froides et hostiles contrées de Katherine Arden.
Merci pour cet avis plus que tentant 😉
Merci pour ton retour !
Ce qui est assez rigolo, c’est que je n’ai pas adoré non plus ce livre… Je te conseillerais plutôt Le désert des couleurs (ou Mers mortes, mais celui-ci je ne l’ai pas lu encore). Cela dit, l’écriture de cette autrice est vraiment remarquable, et il y a toujours bcp de choses à dire dans ses romans. Celui-ci se lit facilement et assez vite, donc oui, tu pourrais le caser cet hiver si tu as le temps. Par contre, c’est tranchant, cinglant, dur, et nettement moins féérique que chez Arden. Ca peut être pas mal aussi de le lire en partant du principe qu’on en est à l’opposé total.
Ça me rappelle que j’aimerais tenter une lecture de cette autrice un jour 😀
Je suis plus attirée par Le Désert des Couleurs, mais celui-ci semble également intéressant ^^ Merci pour ton retour, ça me permet de m’orienter et de choisir par quoi commencer !
si tu aimes caler comme moi tes lectures sur les saisons… tu as trouvé ton titre ! d’autant qu’il a plein de points communs avec le désert des couleurs (Que j’ai préféré d’ailleurs, et que je mettrai dans ma sélection finale du PLIB 🙂
Merci pour la citation, c’est effectivement l’un de ceux que j’ai le moins aimé chez l’autrice ><
Et quel bel avis fouillé et étayé de ta part. J'adore ! (J'ai découvert l'interview grâce à toi)
Avec plaisir 🙂 E merci en retour ! C’était une chouette interview, qui me rappelle que j’ai pu échanger quelques mots avec l’autrice aussi aux Imaginales, elle est vraiment naturelle, hyper abordable, passionnante… On retrouve vraiment ça dans l’interview de Yuyine.
Merci beaucoup pour le partage de mon interview! Je n’ai pas encore lu ce titre de l’autrice mais comme j’ai tout aimé d’Aurélie Wellenstein jusqu’à maintenant, je n’ai pas que peu de doutes sur le fait que j’apprécierai.
Yardam est très à part dans son oeuvre, tu verras…
Avec plaisir ! J’avais bcp apprécié la lire, et je me souviens du plaisir que tu as eu de la mener ! Oui, j’ai cru comprendre que c’est une œuvre à part, notamment dans sa thématique. Je suis très intriguée !
Je pense que tu aimeras oui… 🙂