Anouck Faure – La cité diaphane

Au menu Douceur de vivre du Pumpkin Autumn Challenge, j’avais sélectionné La cité diaphane (tout sauf douce) d’Anouck Faure. Je l’ai lu en LC avec mon amie Véronique (qui m’avait d’ailleurs proposé de le caser là, dans une catégorie dédiée aux LC). J’ai été ravie de lire enfin ce roman en bonne compagnie et de découvrir les écrits de cette artiste que je connaissais d’abord comme illustratrice (Dremence, chez Noir d’Absinthe, sous le nom d’Amaryan). En revanche, si cela fort bien commencé, cela s’est beaucoup moins bien fini, je vais vous expliquer pourquoi.

4e de couverture

Merveille architecturale élancée vers le ciel, Roche-Étoile a connu la splendeur et la chute. La cité sainte de la déesse sans visage est maudite, réduite à l’état de nécropole brumeuse depuis que les eaux de son lac et de ses puits se sont changées en poison mortel.

Sept ans après le drame, l’archiviste d’un royaume voisin se rend dans la cité défunte avec pour mission de reconstituer le récit de ses derniers jours. Mais il s’avère bientôt que Roche-Étoile abrite encore quelques âmes, en proie à la souffrance ou à la folie, et celles-ci ne semblent guère disposées à livrer leur témoignage.

Un jeu de dupe commence alors entre l’archiviste et ces esprits égarés, dans les dédales d’une cité où la vérité ne se dessine qu’en clair-obscur, où dénouer la toile du passé peut devenir un piège cruel.

Comme un air de Lovecraft…

Le cauchemar de La cité diaphane

Le premier tiers de La cité diaphane m’a totalement conquise. Que ce soit la plume ou l’ambiance, tout est rapidement en place pour se plonger pleinement dans le roman.

Dès les premières lignes, j’ai eu l’impression de lire une sorte de cauchemar d’Innsmouth. J’ai retrouvé un paquet d’éléments très lovecraftiens. A commencer par le récit a posteriori du narrateur, qui revient sur les événements qu’il a vécus pour en témoigner. On a affaire à un bonhomme lambda, un archiviste; bref, le personnage a priori rationnel. Important à souligner, car comme chez Lovecraft, le côté surnaturel des événements ressort davantage à côté de ces personnages considérés comme crédibles et sensés.

J’ai adoré la manière dont ce narrateur s’approche furtivement de la cité diaphane, comme celui de Lovecraft s’approchait d’Innsmouth. On a d’abord un plan assez large, qui se resserre au fur et à mesure que le narrateur se rapproche; et alors les détails de ces cités sont rendus de manière beaucoup plus nette.

Ajoutons à cela une tripotée de bruits étranges (martèlements, claquements terrifiants), et un surgissement de forces maléfiques inconnues. On a donc quelque chose de très sensoriel. Le narrateur semble vouloir conserver sa raison pour éviter le plongeon dans la folie douce.

Une plume contrastée

En bref, me voilà entièrement conquise par cette ambiance rapidement et efficacement posée. Et parfaitement assortie à la saison et au temps pourri dehors. J’ai également été complètement séduite par la plume de l’autrice, poétique, charmeuse et glamour. Il se dégage de sa plume un très grand naturel, les mots coulent tout seuls. Quand on sait qu’il y a derrière les mots un travail énorme mais que celui-ci ne se voit pas, on sait que l’on a affaire à une sorte de magie remarquablement maîtrisée. Et pour un premier roman, c’est vraiment vraiment bluffant.

D’autant plus bluffant que La cité diaphane est une œuvre complète, assortie de plusieurs gravures originales de l’autrice. Elles accompagnent à la perfection le roman et favorisent l’immersion. Mais en plus, elles sont l’illustration parfaite de l’écriture de l’autrice. En effet, Anouck Faure écrit comme elle dessine : au-delà de ses mots se dégage un éventail de blancs/gris/noirs. Son roman est un parfait exemple de clair-obscur. Elle écrit les contrastes de couleurs de manière métaphorique (la clarté de cristal, l’aube déchirante, la robe de ténèbres au lustre étincelant…) et traite les formes de la même manière. L’autrice est également une plasticienne des mots.

Un roman surprenant sur le plan narratif

Double-je(u)

Je l’ai dit plus haut, c’est le narrateur qui raconte sa propre histoire. Sur ce plan, c’est très intéressant à plusieurs titres.

D’abord, le « je » narrant et le « je » narré sont bien distincts. Vous le savez si vous me lisez régulièrement : les textes au « je » sont souvent mal exécutés pour moi, qu’ils soient au présent ou au passé. Dans le 1er cas, je trouve que ça marche assez mal dans un texte bourré d’action (« ah, je m’évanouis » – mais alors, comment tu parviens encore à écrire… ?). Parfois, le présent est utilisé pour se référer au passé, mais avec un rendu d’immédiateté (cela me convainc assez moyennement). Quant aux textes au passé, il manque très souvent cette distinction entre celui qui raconte a posteriori et celui qui a vécu l’action antérieurement. Ce sont deux « je » très différents, et j’aime beaucoup avoir un aspect réaliste dans le récit. C’est-à-dire avoir un narrant qui a oublié, dont les souvenirs sont flous. Et un narrant qui a évolué, et n’hésite pas à commenter ses propres actions passées.

Ici, c’est parfaitement maitrisé. On a le flou lié au temps, avec des souvenirs assez vagues. On a un narrant qui se distingue de son propre personnage passé, donnant l’impression d’avoir deux personnages différents. Il n’hésite pas à commenter ce qu’il a vécu, et aussi à anticiper la suite, sans rien en dire. En bref, il endosse là toutes les fonctions du narrateur : il raconte, organise son récit, nous assure de la vérité de son histoire, et il s’adresse aussi au narrataire. Excellent communicant ce narrateur… ! Ce faisant, il s’assure de notre attention constante et nous intègre complètement dans le récit.

Une histoire, une autre histoire, et puis…

La structure du roman est très particulière, car à l’issue du premier tiers arrive une grosse révélation. Celle qu’on aurait été en droit d’attendre à la fin du roman. C’est très réussi, car on se rend compte qu’on s’est un peu fait berner depuis le début, et cela remet en question la fiabilité du narrateur. On commence alors à vaciller, et à se rendre compte que ce roman est à l’image de sa cité : trompeur, bourré de miroirs et de reflets déformants.

Et ensuite ? Hé bien l’autrice nous propose alors un récit dans la suite du premier, mais qui, ce faisant, va l’éclairer, le compléter. En somme, lui donner une autre lecture. C’est comme si l’on soulevait un à un les voiles qui recouvraient les personnages et la cité. Tout le roman est construit sur ce principe, de récit à différents niveaux en révélations.

Quand cela se gâte…

Malheureusement, c’est à ce moment que mon attention, paradoxalement, a décru. Tout d’abord parce que j’ai eu la sensation, tout au long du roman, de lire une redite de ce premier tiers. Avec le regard du narrateur ayant retrouvé son identité, puis celui d’un autre personnage. Bref, autant de versions dont je me serais passée, parce que l’effet de surprise n’a pas fonctionné sur moi dans la durée.

D’autre part, le roman s’engage peu à peu dans un tournant assez weird. Bestioles terrifiantes, surnaturelles et monstrueuses, mal d’onde, population décimée, fluides un peu beurk partout… Et surtout, métamorphose. Elle est partout, chez les personnages, la ville, les perceptions… La licorne noire en est un très bel exemple, et m’a un peu fait penser à des pages des Chants de Maldoror de Lautréamont, avec des fluides dégueu et des croûtes partout. C’est réussi mais répétitif à la longue. L’abomination par-ci, l’abomination par-là… Si chez Lovecraft, cela s’arrête rapidement puisque les textes sont courts, là, cela perdure pendant tout le roman. Et quand cela va de mal en pis pour les personnages, je décroche encore plus, tant j’ai l’impression d’être dans la surenchère et l’exagération. Peut-être est-ce l’effet recherché, mais au-delà d’un certain seuil, je n’adhère plus. Pas par horreur, mais par lassitude.

Enfin, je dois avouer que le cœur de l’intrigue ne m’a pas du tout passionnée. Tant l’histoire familiale que les liens entre ces personnages et la déesse. La rencontre avec celle-ci ne n’a pas du tout séduite, tant j’ai trouvé ses paroles et ses motivations vraiment dérisoires et ridicules. J’avoue que la descente sur le chemin des rois m’a semblé loooooooong, très très long, trop. Et pourtant, le roman est assez court. Mais je l’ai fini en tirant un peu trop la langue et trop heureuse d’en tourner la dernière page. Dommage…

En pratique

Anouck Faure, La cité diaphane

Editions Argyll, 2023

Couverture : Xavier Collette

Autres avis : unanimement élogieux; je vous recommande l’analyse détaillée de Marc, les retours enthousiastes et conquis de Magali, Fourbis & têtologie, Sometimes a book, Maude Elyther

Roman de dark fantasy aux accents lovecraftiens et weird, La cité diaphane est une œuvre singulière. Je n’ai pas été totalement séduite comme beaucoup. L’intrigue ne m’a pas passionnée, et le dénouement final ne m’a pas convaincue, et même lassée. Mais je retiendrai surtout sa plume incroyablement sûre et d’une beauté glaciale et charmeuse à la fois. Je me souviendrai de cette cité diaphane, de ses camaïeux de gris et de ses contrastes de formes. Je me souviendrai aussi de la structure du roman, sacré risque narratif. Et j’aime quand les auteurices prennent des risques. Alors pas totalement charmée, mais assurément ce roman va rester dans mon esprit bien plus longuement que d’autres pour toutes ces raisons.

14 commentaires sur “Anouck Faure – La cité diaphane

Ajouter un commentaire

  1. Il y a des choses vraiment tentantes… et d’autres beaucoup moins. Avec tous ces avis positifs je me demandais si je ne devrais pas essayer, mais n’étant pas très lovecrafterie/weird, je vais peut-être plutôt attendre un deuxième roman. 😅

  2. Malgré tes réserves, je suis convaincu que la plume de cette œuvre pourrait fortement me plaire. Je reste donc désireux de tenter cette singulière lecture.

    1. ah oui oui, je recommanderai volontiers ce roman malgré mes réserves, je pense que tu vas aimer la plume beaucoup, notamment, connaissant ton amour pour les mots et les styles un peu poétiques et merveilleux comme ça.

  3. Ce que tu dis sur l’ambiance et la plume aux allures poétiques de l’auteure donnent envie d’en savoir plus. Et puis, ce doute sur les propos du narrateur qui s’immisce au cours de la lecture, ça m’intrigue pas mal aussi. Mais si le début de ta chronique donnait vraiment envie de s’y plonger, je dois admettre que tes derniers points m’ont clairement refroidi. Je ne suis pas certaine de me laisser tenter pour le coup. Merci pour ton retour ! 😊
    Et, rien à voir avec ce livre mais, je trouve ta nouvelle bannière vraiment sympa. On sent le voyage et l’évasion. 🙂

    1. Merci ! Je suis contente qu’elle te plaise. j’avais envie depuis un moment de changer, j’avais monté le blog avec ce que j’avais sous la main à l’époque, mais bon là il fallait changer un peu.
      C’est un roman qui mérite le détour, très certainement, et même si je n’ai pas aimé ce dernier tiers, je ne regrette pas la plongée dans cette ambiance weird/lovecraftienne, j’aime bien ces ambiances-là.
      Mais je conçois que ça n’aide pas pour se décider à le lire ou pas ^^ Si tu ne le sens pas, tu as raison de ne pas te laisser tenter, c’est tellement particulier que si tu y vas à reculons ça va le faire encore moins je pense… 🙁

      1. Eh bien c’est très joli et très bien trouvé, bravo ! 🙂
        Pour le livre, c’est vrai que ce dernier point me freine et n’étant pas tellement habituée aux univers façon Lovecraft (mais j’aimerais bien découvrir un peu quand même), je doute saisir toute la portée et les subtilités du récit. A voir, mais pas pour l’instant du coup. 😉

    1. J’ai trouvé que c’était bien fait, effectivement. Souvent, il n’y a pas vraiment de justification sur le choix des voix et des temps. Là si, et rien que pour ça, ça m’a plu. On a clairement de vrais choix effectués, en dehors du « c’est pratique » ou « c’est plus facile ». C’est ce que j’apprécie dans ce bouquin : il prend des risques et fait des choix pensés. Après, qu’on apprécie ou pas, c’est une autre histoire, mais j’y ai vu un vrai travail d’écrivain. Ca, j’aime 🙂

      1. Je comprend. Perso, quand j’écris le choix narratif vient de lui même. Je ne sais pas comment l’expliquer, mais il s’impose avec la scène qui se déploie dans mon esprit avant de passer devant le clavier.

  4. Je viens de lire ma chronique et mon avis te rejoint… tout en étant presque contraire au tien dans le sens où j’ai failli laisser tomber dans la première partie avant que mon attention soit happée de nouveau. Je te rejoins totalement pour l’approche de la cité et l’atmosphère qui s’en dégage, mais en parallèle, j’ai été exaspérée par les effets d’annonce qui se répètent encore et encore et encore… alors que le narrateur avait dit qu’il allait nous raconter l’histoire comme il l’avait vécu. Quelques fois, ok, mais là, c’était trop. Trop de louvoiements, j’avais juste l’impression de tourner en rond.
    Alors qu’ensuite j’ai apprécié l’histoire qui se révèle comme à rebours. Et surtout j’ai surtout aimé l’atmosphère où le côté éthéré, blanc, fin, mystérieux, divin, vient se fracasser contre le macabre, contre la chair de la déesse. Je t’avoue que je ne peux pas te donner tort sur le fond du discours de la déesse qui était finalement assez pauvre, je pense que je garderai en tête une ambiance, plus que les détails de l’histoire.
    Finalement, je trouve que la forme est originale et réussie (mais trop d’effets d’annonce à mon goût), mais que le fond est peut-être un peu faible.

    1. C’est rigolo en effet que nos avis se rejoignent alors que nos ressentis diffèrent dans le bouquin ! De ce fait, ils sont très complémentaires, et je me retrouve totalement dans ce que tu décris : j’ai souvenir de la forme originale et réussie du roman effectivement (et de ces effets d’annonce, ah oui !), mais je n’ai plus grand souvenir de l’histoire. La fin est terriblement floue dans mon esprit.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Fièrement propulsé par WordPress | Thème : Baskerville 2 par Anders Noren.

Retour en haut ↑