Première découverte du « Maître » avec cette novella, réputée abordable dans ses thématiques.
Je poursuis les bons conseils du sieur Apophis dans son billet sur la hard SF. Me voilà donc propulsée vers Cérès et Vesta de Greg Egan, un auteur australien réputé pour sa hard SF… hard. Décoiffante, mais pas facile d’accès. Alors quand on me vend une novella « facile », je signe. Alors certes, c’est abordable et compréhensible. Malgré tout, ça n’a pas été l’extase espérée. Pourquoi donc ?
Synopsis
» Cérès d’un côté, Vesta de l’autre. Deux astéroïdes colonisés par l’homme, deux mondes clos interdépendants qui échangent ce dont l’autre est dépourvu — glace contre roche.
Jusqu’à ce que sur Vesta, l’idée d’un apartheid ciblé se répande, relayée par la classe politique. La résistance s’organise afin de défendre les Sivadier, cible d’un ostracisme croissant, mais la situation n’est bientôt plus tenable : les Sivadier fuient Vesta comme ils peuvent et se réfugient sur Cérès.
Or les dirigeants de Vesta voient d’un très mauvais œil cet accueil réservé par l’astéroïde voisin à ceux qu’ils considèrent, au mieux, comme des traîtres… Et Vesta de placer alors Cérès face à un choix impossible, une horreur cornélienne qu’il faudra pourtant bien assumer… »
Un dépaysement qui n’en est pas vraiment un
Partir loin à l’aventure…
Cérès et Vesta nous dépayse sans le faire vraiment. Et c’est là sa force principale selon moi.
La novella dépayse par le voyage sur ces deux astéroïdes colonisés, engagés dans un ballet roche-glace. Ca va, ça vient, ça repart, le duo alliance/répulsion qui fonctionne bien, un équilibre fragile qui nous donne l’impression d’être un funambule entre les deux.
L’auteur donne à lire des pages pleines de vraisemblance sur le plan scientifique, et j’ai effectivement trouvé le propos lisible, compréhensible – il faut dire que l’auteur explique pas mal. Ca ça a été une bonne surprise. J’imagine que pour des amateurs purs et durs, ça peut être un peu barbant parfois. En attendant, moi je n’ai jamais été perdue dans cette novella et c’est appréciable.
Un dépaysement maîtrisé donc, et ça c’est très encourageant pour moi, qui débute tout juste dans la hard SF. Je pensais celle-ci à des années-lumière de moi, mais le tout est de prendre les bonnes portes d’accès pour ne pas s’égarer en chemin – en cela, merci Apophis pour tes conseils avisés.
Et avoir une impression de déjà-vu
Et en même temps, malgré ces lieux qui nous paraissent lointains et inhospitaliers, on a une impression de déjà-vu. Car l’auteur transpose dans un autre univers des sujets sociétaux, diplomatiques et politiques fort bien connus. C’est intelligent et démontre la nature universelle de l’humain. Où qu’il se trouve, il reproduit les mêmes schémas, les mêmes erreurs.
L’auteur jongle avec l’ostracisme, l’effet de meute, les politiques populistes, la fuite de migrants… Evidemment, cela est d’une pertinence incroyable et offre des échos à notre actualité particulièrement palpables.
Une fiction ?
Par contre, c’est à peu près tout ce qui m’a plu dans Cérès et Vesta. Ca peut paraître pas mal déjà, mais c’est trop léger à mon goût. Parce que quand je lis de la fiction, je ne m’attends pas à une page wikipedia. Alors si je saisis les concepts, tant mieux, mais enfin pour moi l’intérêt d’une fiction réside ailleurs. Et là, j’ai eu du mal à en trouver.
Des personnages binaires
D’abord, parlons de ces personnages en carton pâte.
L’alternance des deux points de vue est réglée comme du papier à musique, et n’apporte pas grand chose. En effet, on a une planète problématique d’un côté vs une planète où tout roule de l’autre. Et comme choix de protagonistes, l’auteur choisit une victime ostracisée pour la première et une gentille aux nobles principes de l’autre. Alors forcément, la confrontation des points de vue m’a semblée un peu vaine, tant elle enfonce des portes ouvertes. Il n’y a pas vraiment de dialogue vraiment constructif entre ces deux points de vue.
Et il manque cruellement d’autres regards pour avoir une vue plus complexe de ce qui est en train de se jouer. Car l’énorme sac de nœuds qui nous est présenté ici n’est finalement abordé que du point de vue de deux seules personnes. C’est maigre, pour un conflit de la sorte. Ca manque de contexte, de remise en perspective, d’autres angles de vue, de strates décisionnelles supplémentaires… Bref, pas assez de corps pour un conflit de cette ampleur.
Parlons-en, du corps
Alors oui, Cérès et Vesta aborde beaucoup de sujets. Mais pour le coup, trop, et traités assez superficiellement. Là encore ça manque de corps. De profondeur, pour bien saisir tout ce qui se joue ainsi que les racines de ces maux. Les flash-backs apportent un peu de matière, mais pas suffisamment pour rendre le propos moins binaire et plus étoffé. Et c’est dommage, car selon moi, on ne fait qu’effleurer les choses, sans les approfondir. Et du coup, le propos est beaucoup moins percutant.
D’autant moins percutant que le texte saute du coq à l’âne entre personnages et époques, rendant le suivi du fil rouge compliqué. Encore plus compliqué quand l’auteur choisit de faire des ellipses après des moments de (rare) tension extrême… Super dommage ! Comment vivre ces événements conflictuels, comprendre le désespoir de Camille et palper la violence qui plane si, lorsque celle-ci atteint son paroxysme, elle est complètement occultée ? Quelle adhésion des lecteurs peut-on alors espérer, à part un « oué, d’accord, et sinon, on bouffe quoi ce soir ? ».
De la semoule sans épices
Enfin (non c’est pas fini), l’écriture n’est pas mauvaise du tout, mais m’a semblé fort commune. Je ne demande pas à avoir de la prose poétique non plus, mais enfin, rien qu’une prose un peu plus romanesque et moins wikipédiesque ce serait pas mal, non ? De ce fait, je n’ai pas été transportée par cette plume, qui ne m’a pas fait ressentir grand chose, il faut bien l’avouer.
Quand les personnages se réjouissent, ont peur, rien ne se dégage des mots qui restent de l’encre sur le papier. Pas un zeste d’émotions n’est venu donner un peu de goût à cette novella très plate à mon goût. Comme un taboulé sans épices. Vous avez déjà mangé de la semoule sans assaisonnement ?
Là encore, je ne demande pas des éclats de rire intempestifs, des torrents de larmes et des nerfs à fleur de peau. Mais ressentir un peu de suspense, de peur pour les personnages, de révolte, de la chaleur dans le cœur… C’est ce que j’attends dans une lecture. M’attacher aux personnages et vivre les événements racontés. Oui, d’accord, c’est con comme idée, mais c’est comme ça. Alors quand il y a un soupçon de boum badaboum qui approche, la seule émotion qui me vient quand l’auteur la zappe, c’est « mais putain, c’est quoi c’t’arnaque ???!! » Et c’est peu ce que j’ai exprimé en tournant la dernière page de cette novella…
En pratique
Greg Egan, Cérès et Vesta
Le bélial, 2017
Couverture : Aurélien Police
VO : The Four Thousand, the Eight Hundred, 2015
Traduction : Erwann Perchoc
Autres avis : Le Maki a réussi à suivre le fil rouge et à trouver de l’intérêt à ce texte qui lui a beaucoup plu; Yuyine a trouvé de l’humain et de l’émotion dans ce texte (suis-je un androïde ?); froideur chez Elwyn et manque d’humanité pour Le chien (+2 dans la team androïdes); intéressant et pertinent pour Apophis; un titre qui oppose les « furoncles de l’être humain et les beautés de l’âme » pour le lutin; pas de cerveau à l’envers pour Tigger Lilly mais un texte intéressant et accessible.
Cérès et Vesta : je suis venue, j’ai lu, merci aurevoir. Voilà. Bon, ce n’était pas une lecture désagréable, loin de là. Pas inintéressante non plus. Mais ce texte pas assez approfondi et pas suffisamment percutant n’est pas parvenu à me passionner pour son récit ni ses personnages. Il n’a pas su non plus capter pleinement mon attention. Alors voilà, je suis à la fois contente de cette première découverte de l’auteur, tant je suis parvenue au bout sans suer à grosses gouttes. Mais aussi déçue, parce que pour moi, l’équilibre sciences et fiction n’est pas au rendez-vous, et j’ai plus bâillé que soufflé d’admiration (tiens, on mange quoi ce midi ?).
(merci pour le lien)
C’est un reproche régulièrement fait à la Hard SF : le style et les personnages sont utilitaires, on est là pour les idées / le vertige avant tout. Même s’il y a des exceptions notables, au premier rang desquelles je placerais Peter Watts et son Vision Aveugle, personnellement. Même si niveau Hard SF, c’est situé nettement plus haut (à nuancer par le fait que l’auteur fait preuve d’une intelligence remarquable dans sa façon de transmettre l’information). Au cas où : https://lecultedapophis.com/2021/07/23/vision-aveugle-peter-watts/
Je t’en prie !
J’ai lu Cookie Monster (chronique à venir) et j’ai eu le même ressenti; du coup, je me suis rendue compte en effet que l’intérêt ne résidait pas là, ce que tu dis d’ailleurs très bien. Par contre tu vois le vertige je l’ai pas ressenti dans Cérès et Vesta, mais beaucoup plus dans Retour sur Titan que j’ai beaucoup aimé. J’ai adoré les sujets de bio et de géol, j’adore ça et j’ai vraiment fait waouh – ce qui m’a manqué ici. Peut-être aussi que ça dépend de nos propres affinités et de l’état de nos connaissances.
Merci pour la reco en tout cas, je me le note – pour une lecture au moment venu !
Incroyable la différence de perception qu’un même livre peut procurer d’une personne à l’autre, celui-ci est bien placé en terme de grand écart ^^
C’est marrant, ça résume à peu près toutes les peurs (pas forcément fondées) que j’ai concernant l’auteur. 😅 Tu penses que tu le retenteras avec un autre texte, son autre UHL peut-être ?
Ce qui est dit sur ces « deux mondes séparés mais interdépendants » me fait songer au roman Les dépossédés d’Ursula K. Le Guin (la seule de ses oeuvres que j’ai lu – l’an dernier – pour le moment) qui m’avait bien plu… Mais c’était plus épais qu’un UHL!
(s) ta d loi du cine, « squatter » chez dasola