En juillet, je me suis lancée, enfin, dans le cycle fantasy Terremer par Ursula Le Guin. J’avais déjà programmé cette lecture l’année dernière mais j’ai procrastiné. Cette année, pas question ! D’ailleurs, cette lecture rentre dans le cadre de l’ABC Challenge de l’imaginaire (lettre U). J’ai lu les trois premiers volumes qui forment le premier tome de Terremer. L’ensemble du cycle est publié dans une intégrale au Livre de Poche (2018) et forme un pavé de 1790 pages comprenant tous les romans et nouvelles de cet univers, avec introduction, traductions révisées et postfaces de l’autrice.
Terremer : contextualisation
Terremer est une saga réunissant plusieurs romans et nouvelles, écrits entre 1968 et 2001. Ursula Le Guin est une autrice américaine, née en 1929 et décédée en 2018. Sa carrière littéraire s’étale sur presque 50 ans. Elle a remporté de nombreux prix : 7 Hugo, 6 Nebula, 22 Locus et le grand Prix de l’Imaginaire en 2008 (catégorie Nouvelle étrangère). Ursula Le Guin est donc un pilier de la SFFF, qui a écrit des sagas aussi bien de fantasy que de SF.
Mais elle est aussi une pionnière. Femme écrivain dans les années 60, à une époque où la fantasy est encore assez limitée, avec l’œuvre de Tolkien en ligne de mire. L’autrice a pourtant créé une fantasy novatrice, qui m’a semblé très contemporaine et en phase avec des attentes actuelles. Elle explore également dans son œuvre des thématiques féministes, sociétales et ethnologiques qui résonnent très juste encore aujourd’hui.
Si vous ne connaissez pas l’autrice et souhaitez en savoir plus, je vous renvoie vers deux sources :
- Le guide de lecture par Nevertwhere, qui m’a beaucoup aidée pour savoir par où commencer. Vert présente l’autrice et son œuvre, et propose aussi des pistes d’analyse, ainsi qu’une bibliographie pour aller plus loin.
- L’anthologie De l’autre côté des mots, consacrée à l’autrice, parue en 2001 chez Actu SF. L’ouvrage est une exploration et une analyse de l’œuvre de l’autrice, à partir d’articles, d’interviews et d’essais.
Composition du recueil
Je mets ci-dessous tous les romans et nouvelles composant l’intégrale Terremer parue au Livre de poche, et en gras les volumes que j’ai lus et qui font l’objet de cette présente chronique.
Le sorcier de Terremer, tome 1 partie 1, 1968
Les tombeaux d’Atuan, tome 1 partie 2, 1970
L’ultime rivage, tome 1 partie 3, 1972
Tehanu, tome 2, 1990
Contes de Terremer, tome 3, 2001
Le vent d’ailleurs, tome 4, 2001
Le mot de déliement & La règle des noms, nouvelles de 1964
La fille d’Odren & Au coin du feu, nouvelles de 2014 et 2018, inédites, incluses dans l’édition présente. Celle-ci comprend également une introduction, ainsi qu’une Description de Terremer et un cours donné par l’autrice à l’Université d’Oxford en 1992, réintitulé Terremer revisité lors de sa publication pour une conférence organisée par un institut de littérature jeunesse.
Les trois premiers volumes dans l’édition intégrale du Livre de Poche ont été traduits par Philippe R.Hupp et Françoise Maillet, avec une harmonisation par Patrick Dusoulier.
Je vous mets les premières de couverture des éditions Presse Pocket dans les avis flash ci-dessous, si vous souhaitez vous les procurer séparément (quoique les couvertures ne sont pas à tomber par terre).
Le sorcier de Terremer
Synopsis maison
Ged, dit l’épervier, est gardien de chèvres sur l’île de Gont. Il possède aussi quelques rudiments de magie, appris auprès de la sorcière de son village. Un jour, il protège son village d’une attaque de pillards.
Il va alors suivre plusieurs maîtres pour parfaire son apprentissage et devenir Mage. Mais la fierté et l’orgueil de Ged sont sans limites.
Répondant à un défi d’un autre élève, il libère une ombre maléfique qui n’aura de cesse de le traquer pour le tuer.
Avis flash
D’abord, la joie d’avoir un héros différent des sagas classiques de fantasy. Différent car pas blanc – on est en 1968 ! D’ailleurs, le blanc est la couleur de peau de l’ennemi, les Kargues, réputés sauvages. Différent aussi car anti-héros (orgueilleux, fier, convaincu de sa valeur supérieure malgré son jeune âge) et par là détestable il faut le dire. Et différent enfin car si ce roman ressemble à un roman d’apprentissage, notre sorcier n’est pas un super apprenti qui suit la route qui est tracée devant lui. Non, il ne fait rien comme il faut, change de maître tous les 4 matins et s’ennuie à mourir pendant les leçons. Ursula Le Guin me bouscule déjà !
D’ailleurs, ce héros, pendant la moitié du récit, ne cherche rien, mais fuit. Pas banal ! Adieu le motif traditionnel de la quête. Alors on va, on vient, on repart… Rien d’épique, rien de grandiloquent, pas de bastons contre un ennemi identifié… Juste un roman d’errements, qui nous permet habilement d’explorer l’archipel gigantesque de Terremer.
Comme pour souligner cette impression de promenade sur les flots, le rythme du roman est très marin. On vogue dans le texte comme on navigue sur les flots de Terremer. Ca coule tout seul ; parfois, ça tangue, parfois c’est plus violent. L’impression marine est renforcée par tout un vocabulaire marin et un récit posé, court, direct et précis; aucun mot de trop, aucune scène inutile, pas de précipitation. Tout est pensé et à sa place, sans que cela ne paraisse artificiel.
Enfin, j’ai beaucoup aimé le final, véritable point d’orgue du récit. La boucle se boucle, dans tous les sens du terme. On prend conscience que ce petit roman n’était pas juste une petite promenade d’échauffement mais bien un texte à la portée plus profonde, très personnel, et qui marque l’importance du mot et du nom. J’ai trouvé que ce roman avait une portée très méta, avec une réflexion sur le langage, son impact et la manière dont il nous définit. Et cette portée se retrouvera dans tout le cycle, puisqu’ainsi sont les règles de Terremer.
Les tombeaux d’Atuan
Synopsis maison
Dans les terres Kargues, sur l’île d’Atuan. Les tombeaux des Innommables sont gardés par une prêtresse du temple, réincarnation d’Arha. Ténar en est la plus récente.
Elle veille à l’intégrité des lieux, qui renferment notamment un labyrinthe dans lequel se trouvent les trésors des Dieux.
Un jour, Ténar y rencontre un sorcier… Pour elle, c’est le Mal absolu. Il faut le sacrifier aux Dieux. Mais elle s’interroge, malgré tout. Qui est-il, et comment est-il arrivé là ? Que cherche t-il ?
Avis flash
Là encore, une héroïne un peu particulière. Ténar est une jeune fille innocente mais sans l’être vraiment, inculte et pas instruite mais sûre d’elle-même et de sa position, particulièrement agaçante aussi quand elle s’y met. Sa foi envers ses Dieux est aveugle, même si elle ne repose sur pas grand chose, à part des récits de deux prêtresses qui l’aident dans sa tâche.
Ténar évolue dans un univers restreint, pas folichon, très sombre. Elle veille avec d’autres femmes sur ces tombeaux. Mais en réalité, tous ces personnages ne sont que des ombres ayant perdu leur éclat. Des fantômes austères. Atuan est une prison pour ces femmes, qui ne connaissent rien du monde ni de la vie. Elles ne font rien de leurs journées. Au mieux, Ténar/Arha s’amuse à se retrouver dans le noir des tombeaux. Autant dire que ce n’est pas l’éclate dans ce roman.
Pourtant, j’ai aimé le double visage de Ténar/Arha. Comme Ged dans Le sorcier de Terremer, Ténar va surtout apprendre à se connaître et à exister à part entière. Elle va tout remettre en question, même sa foi. On est donc encore dans une sorte de roman d’apprentissage, mais décliné différemment. Et j’ai également aimé la manière dont elle rencontre un personnage rencontré dans le tome précédent. Ainsi, les deux romans dialoguent ensemble, et Les tombeaux d’Atuan fait écho au Sorcier de Terremer.
L’ultime rivage
Synopsis maison
Dans le pays d’Arren, les sorciers ont oublié leur langage et perdu leur pouvoir.
Avec Ged, le vieil archimage, il fait voile vers des îles dévastées, cherchant la source du Mal.
Est-ce la fin du monde ?
Avis très flash
Que c’était loooooong. Il faut dire que ce troisième et dernier volet du premier tome répète les mêmes recettes des deux tomes précédents. On retrouve Ged, certes plus âgé. Avare en parole, mais quand il ouvre la bouche c’est pour des leçons de philo à n’en plus finir. Puis un jeune homme, Arren, qui va apprendre à ses côtés. Et puis le voyage sur les eaux de Terremer, à la rencontre des peuples. Et puis la rencontre avec le Mal, et puis la Baston et puis la force du langage.
Rien de nouveau sous le soleil dans ce tome. J’ai retrouvé la plume fluide de l’autrice, qui me berce toujours autant. Malgré tout, j’ai lu en diagonale une bonne moitié.
Le final m’a surprise, en revanche, même si sa construction et la manière dont il est amené suivent le modèle des deux premiers volumes. Mais il clôt particulièrement bien ce premier tome qui constitue une trilogie complète.
Quelques réflexions globales
Surprise par les personnages très contemporains. Carrément avant-gardistes pour l’époque, notamment dans leur représentation sociale mais aussi romanesque. Ces trois premiers volumes se lisent très bien avec un regard XXIème siècle, sans qu’ils aient pris une ride.
Surprise aussi par les intrigues de ces trois premiers volumes. Un scénario qui tient en trois phrases à chaque fois, avec très peu d’action. C’est lent. Assez contemplatif, même, parfois. Une fantasy qui ne claque pas : pas d’ors ni de bastons épiques.
Et enfin, surprise par l’écriture, à l’économie; tout en douceur, jamais un mot de trop. C’est une promenade tranquille qui se donne à lire. Le rythme est maritime, berce. Ursula Le Guin est une excellente matelote qui sait mener sa barque avec précision, sans à-coups.
Beaucoup aimé le poids du Mot dans ce cycle. Comme l’autrice, les personnages usent du langage avec parcimonie et précision, conscients de son pouvoir.
Pour terminer, j’ai apprécié également la manière dont on explore davantage dans chaque tome les terres de cet archipel immense. On en découvre les îles, les peuples et les histoires au gré des explorations des personnages, en même temps qu’eux. Les personnages sont des apprenants, mais le lecteur aussi, au même rythme.
Les postfaces sont particulièrement intéressantes, offrant le regard et l’analyse a posteriori de l’autrice sur ses écrits. Elle recontextualise ses œuvres et explique ses choix au regard de l’époque. C’est intéressant car ce discours métalittéraire permet de comprendre la genèse de l’œuvre et sa construction au fil du temps. On y voit le travail de l’écrivain, la manière dont elle a imaginé ses personnages, ses intrigues…
Voilà pour cette première incursion dans le cycle de Terremer d’Ursula Le Guin. J’avais prévu de lire l’intégrale. Cela dit, la totalité en une fois c’est trop pour moi d’un coup. J’ai apprécié ma découverte, mais sans plus. L’ennui, peut-être, à la longue. Je continuerai plus tard avec les tomes suivants, bien plus postérieurs d’ailleurs. J’ai pu avoir quelques retours d’autres lecteurs, Tehanu semble assez chouette et les Contes de Terremer aussi. J’espère apprécier davantage la suite de ces aventures.
Oui L’ultime rivage il laisse un peu sur sa faim après les 2 premiers. Ravie que tu aies apprécié la particularité des deux premières histoires d’ailleurs ^^
oui j’ai bien aimé les deux premiers en effet; en revanche le 3, pff pff. longuet longuet ^^