Bonjour et bienvenue dans cette Pause Café #20 ! Je la consacre au conférences que j’ai suivies aux Imaginales. J’ai pu prendre des notes, et je vous propose un compte-rendu pour 2 conférences auxquelles j’ai assisté. Les thématiques abordées sont très différentes, n’hésitez pas à partager votre point de vue comme toujours 🙂
Beaucoup de conférences proposées dans cette édition des Imaginales, sur les 4 jours. J’en ai suivi 4, mais je ne rapporte ici que les comptes-rendus de deux conférences. J’ai trouvé les deux autres assez plates et manquant de relief (Les mondes aquatiques, et Récits atypiques). Elles se résumaient plus à un échange animateur-auteur sur son livre, et n’amenaient pas vraiment de discussion entre les participants.
Au menu de cette pause Café #20, je vous propose donc en entrée une réflexion sur la porosité des genres. En plat de résistance les tendances nouvelles de l’imaginaire, et en dessert… pas de dessert. Le sucre c’est mauvais.
Mélange et porosité des genres – Quand l’imaginaire bouscule les cadres
Présentation
Animation : Clément Pelissier (auteur de Explorer Kaamelott : Les dessous de la Table ronde)
Auteurs et autrices :
– Michael Roch (coup de cœur du festival, auteur de Moi, Peter Pan, Le livre jaune, Tè Mawon…)
– Christophe Siébert (auteur de Images de la fin du monde – Chroniques de Mertvecgorod, Feminicid et métaphysique de la viande…)
– Davy Athuil (éditeur du label Mu)
– Aurélie Wellenstein (autrice de Mers mortes, Le désert des couleurs, Yardam…).
En très bref (si, si, c’est bref)
La conférence a commencé avec la question classique « pourquoi écrire de l’imaginaire ». Très bon point de départ en réalité, car les réponses sont assez similaires et permet de problématiser le sujet de suite.
Les auteurs s’accordent sur le fait qu’ils racontent des histoires et ne sont ni essayistes, ni historiens, ni encore sociologues. Mais quand le regard du scientifique ou de l’historien est brut, chiffré et parle à l’esprit, le romancier parle aux tripes, au cœur, et touche à l’émotionnel. Avec l’imaginaire, il y a le désir d’aborder la réalité d’une manière adoucie, par un filtre poétique et imaginaire, ou par un pas de côté qui permet de prendre du recul et d’analyser le réel d’une autre manière, avec un regard en biais. Car tous les auteurs autour de la table portent un engagement dans leurs écrits. Ils nous invitent à considérer leurs œuvres comme des documentaires romancés.
La discussion a donc logiquement abouti à parler de la notion de genre, en tant que tel. Les auteurs ont indiqué ne pas réfléchir en termes de genre, quand ils écrivent. Pour Aurélie Wellenstein, c’est plutôt le problème de l’éditeur, pour des raisons marketing : dans quel rayon placer ce bouquin ? Dans quelle case celui-ci est-il susceptible d’être le mieux reçu par le public ? On voit d’ailleurs que certains éditeurs s’affranchissent de cette question, comme Le Diable Vauvert, où tous les titres sont sur le même plan. D’autres en jouent, justement, comme le label Mu qui se situe sur la frontière.
Mais cette question semble exclusivement liée à la littérature, car en jeu vidéo ou en cinéma (petit et grand écran), le mélange des genres est courant. Pour Davy Athuil, c’est donc une question d’éducation du lecteur à mener. Car si sur le plan artistique, la porosité est bien là, sur le plan marketing, pas du tout. En effet, beaucoup d’auteurs publiés dans une case peinent à trouver leur public dans une autre, même au sein de l’imaginaire; entre les genres c’est encore plus difficile (imaginaire/blanche).
Aurélie Wellenstein pointe alors la grande liberté que représente le YA, qui se soustrait de ces questions. Selon elle, et Davy Athuil est allé dans son sens, le public YA ne fait pas la différence entre réel et imaginaire, car l’imaginaire pour eux est partout et aborde la réalité. Le salut pour décloisonner les genres résiderait alors dans cette poche de nouveaux lecteurs…
Maintenant, papotons
Pour ma part, j’adore les textes qui sont sur le fil entre imaginaire et réel, que ce soit sur le plan esthétique (je pense à la collection Le rayon imaginaire chez Hachette, avec les couvertures très « sages », blanches…) ou sur le fond (et souvent, la forme sert le fond, ce que j’aime encore plus). C’est vrai que je lis de l’imaginaire pour m’évader du réel. Mais c’est assez rigolo de me rendre compte qu’en fait, l’imaginaire est lié au réel, que ce soit par le traitement et la représentation des personnages, la construction de l’intrigue, les thématiques abordées… La frontière entre imaginaire et blanche est alors très fine, comme elle l’est aussi avec la noire (les mix horreur/fantastique/thriller par ex.). J’aime aussi beaucoup les mélanges formels (roman/théâtre/poésie/prose poétique…).
Et vous, qu’est ce qui vous fait préférer l’imaginaire aux autres genres et plus spécifiquement à la blanche ? Est-ce qu’il y a une différence pour vous, ou lisez-vous les deux sans distinction, sans souci du genre ? Pensez-vous aussi qu’il s’agit davantage d’une question marketing ? Comment, selon vous, amener des lecteurs de blanche à lire de l’imaginaire ?
Les nouvelles tendances de l’imaginaire
Présentation
Animation : Céline Blaché, directrice du PLIB
Autrices et auteurs :
– Estelle Faye (Les seigneurs de Bohen, Un éclat de givre, L’arpenteuse de rêves, Widjigo…)
– Floriane Soulas (Rouille, Les noces de la renarde, Les oubliés de l’amas…)
– Georgia Caldera (Les brumes de Cendrelune, Les larmes rouges…)
– David Bry (la princesse au visage de nuit, Que passe l’hiver, Le chant des géants…)
Point de départ : un panorama sur les ouvrages en lice pour le PLIB cette année, et une répartition Hommes/Femmes du jury et du lectorat, puis par genre (SF/Fantasy) et public cible (YA/jeunesse/Adulte). Céline avait préparé un PowerPoint à l’occasion.
En bref (j’essaie vraiment, vous savez)
Des chiffres intéressants : un lectorat globalement féminin, un jury très largement féminin (5 hommes sur 236) et seulement 21 romans de SF sur 221 en lice pour le PLIB, dont seulement 7 SF adultes écrits par des femmes.
La première question portait sur la SF adulte écrite par des femmes. La SF semble boudée par les lectrices. L’augmentation de titres écrits par des autrices ne permettrait-il pas d’encourager les femmes à lire de la SF ? Les réponses étaient unanimes : oui !
D’une part, parce que la SF est encore trop souvent considérée par les lectrices comme un genre « difficile ». En effet, et à tort, la SF est trop encore souvent assimilée à la seule Hard SF, or elle ne se résume pas qu’à ce sous-genre. Et de toute façon, comme le rappelait Floriane, il y a un syndrome de l’imposteur chez toutes les filles, qui se demandent si elles sont compétentes pour ci, pour ça… alors même qu’elles le sont (Floriane est ingénieure, thésarde en physique, et s’est malgré tout posé ce type de questions très longtemps). Et longtemps, la SF a été une SF masculine, écrite pour des hommes.
D’autre part, Estelle a rappelé l’extrême difficulté pour une autrice d’être publiée en SF adulte. En effet, il est très difficile pour l’éditeur de trouver des relais de communication. Elle a évoqué son éditeur Albin Michel Imaginaire, qui doit déployer beaucoup plus d’efforts pour installer dans le paysage littéraire un roman SF d’une autrice. Par exemple, son titre L’arpenteuse de rêves est parti en réimpression avant même sa sortie, car il a été acheté massivement par la centrale de la FNAC. En revanche, Widjigo a été boudé par la librairie. Elle a alors pointé le dysfonctionnement du système, qui conforte la situation emprisonnant trop souvent les autrices en jeunesse ou YA.
La discussion a dévié sur la question de la diversité, de sa représentation et du point de vue engagé que les auteurs pouvaient/pourraient porter dessus. Floriane Soulas a alors expliqué que son travail s’arrêtait à ce qu’elle connaissait et avait vécu. Si elle peut parler de sexisme, elle ne peut pas être le porte-voix d’autres minorités, ne se sentant pas légitime pour en parler (on pense notamment au débat autour de l’anthologie Afrofuturismes). En revanche, elle peut évoquer ces minorités, apporter une représentation diversifiée de la société dans ses récits. D’ailleurs, je crois que c’est Georgia Caldera qui a dit ça et que je trouvais très juste : il faut arriver à un état où la diversité n’est plus l’enjeu seul du roman, mais juste une présence normale qui ne pose plus question.
Ensuite, la discussion s’est poursuivie sur le lectorat jeunesse, qui selon Estelle Faye est assez exigeant. Il attend qu’on lui parle du monde réel dans lequel il vit tous les jours. L’imaginaire est certes une bulle d’évasion, mais également un moyen de réfléchir et de questionner le monde dans lequel nous vivons. Il offre un recul que la blanche ne permet pas toujours. Transposition dans un autre monde, changement d’époque…
La discussion s’est terminée sur le prix du PLIB et son évolution. Estelle Faye a souligné l’importance de ce prix, qui permet aux livres d’avoir de la visibilité et une seconde vie. Ce qui est d’autant plus important qu’aujourd’hui, les livres sont des kleenex ! Ce n’est pas moi qui le dis, je rapporte les propos des autrices. Mais cela rappelle bien les points soulevés lors de ma dernière pause café. Elle évoque notamment ces auteurs pressés comme des citrons pour produire, être vus, vendre, et espérer ainsi gagner des clopinettes. Georgia Caldera a d’ailleurs indiqué devoir produire deux livres par an pour vivre… L’éditeur doit trouver des solutions pour faire vivre le livre sur la durée. Mais c’est un travail qui commence à se faire. Cela permettrait vraiment d’alléger la pression exercée sur les auteurs, et les libérer de ce poids de surproduction.
Et maintenant, papotons encore
On ne va pas revenir sur le sujet de la Pause Café d’il y a quinze jours, qui a généré beaucoup d’échanges et de vifs débats. En revanche, c’était effarant d’entendre des auteurs parler de cette pression à la production. Il y a vraiment un problème de fond dans l’industrie du livre. Et à mon sens, ça dépasse le simple problème personnel du choix de lectures difficile à faire.
Je n’ai pas assez de recul sur les tendances de l’imaginaire, n’étant pas une lectrice SFFF de très longue date. Qu’en pensez-vous ? Quel est votre ressenti sur l’évolution de l’imaginaire francophone ? Sentez-vous que l’imaginaire s’ouvre à la diversité ? En tant que femme, vous retrouvez-vous davantage dans la SF actuelle que dans « la vieille » ? Et si vous ne lisez pas de SF, qu’est ce qui vous freine ? Pensez-vous qu’accroître la visibilité des autrices en SF attirera davantage un lectorat féminin ?
Voilà pour cette Pause Café #20 un peu particulière. J’espère que ces retours vous ont plu, n’hésitez pas à partager vos réactions en commentaires comme toujours. Je vous invite par ailleurs à visiter le blog Dans les Montagnes noires, qui vous propose également un compte-rendu des conférences suivies. Dans son menu, la cheffe Lotte Sardane vous propose : « La SF ne parle pas du futur. Elle parle de nous ! », « Quand le fantastique contemporain retrouve une nouvelle jeunesse » et « Les créatures surnaturelles sont de sortie ! ». D’ailleurs, si vous avez assisté à une conférence aux Imas, n’hésitez pas à partager votre retour si vous le souhaitez !
Merci à toi de nous faire une synthèse de ces deux conférences. Cela avait l’air passionnant. Je ne lis pas de la littérature blanche car elle se rapproche trop de ma vie. La sensation que cela pourrait m’arriver et du coup si je lis des choses un peu triste, je n’arrive plus à avoir cette distance avec ce que je lis. L’imaginaire me permet d’aborder ces sujets de manière « plus douce » et de les aborder plus facilement. J’aime faire ce parallèle entre la fiction et la réalité pour voir où l’auteur voulait en venir. Et surtout avec l’imaginaire, c’est plus facile d’aborder les travers de certaines thématiques. Concernant l’autre conférence, pour moi il y a encore beaucoup de progrès à faire. Les femmes sont trop souvent cantonnées à la littérature jeunesse alors que franchement certains ouvrages ne sont pas destinés à un jeune public (je pense notamment aux œuvres d’Aurélie Wellestein. Si c’était un homme, je ne pense pas que ces titres seraient vendus dans la même collection). Les femmes sont aussi souvent peu présentes dans des prix littéraires majeurs. Ca me fait penser à un article lu l’année dernière tiens (https://chutmamanlit.fr/2020/11/prix-litteraires-de-limaginaire-quelle-place-pour-les-autrices/). En ce qui concerne la SF, je pense que c’est aussi lié aux genres et pas forcément que à ce « syndrome de l’imposteur ». Un monde fantasy me fait personnellement plus rêver qu’un monde avec bataille stellaire, IA, et E.T. sans que je ne sache vraiment t’expliquer pourquoi. Question de goût je suppose. Mais j’essaye de m’ouvrir un peu plus à ce genre littéraire.
Ah merci, je me souviens de cet article que j’ai lu bien plus tard, merci de me l’avoir remis en mémoire !
Effectivement, il y a un énorme problème de visibilité des autrices, il va falloir que les choses changent. Aurélie Wellenstein en jeunesse me pose problème, personnellement !
Et je te rejoins, la SF me fait moins rêver aussi. J’essaye de m’ouvrir aussi, avec plus ou moins de succès. C’est vrai que les space opera ce n’est pas trop mon truc. Question alors très critique : la fantasy serait-elle plutôt féminine, et la SF masculine ? Je me suis souvent posé la question, et le lectorat est très marqué.
C’est une question intéressante qui pourrait donner lieu à une nouvelle pause café^^
Ahah je note 🙂 pour l’année scolaire prochaine !
T’as déjà tous tes thèmes jusqu’à la fin de l’année?!
Ben, il faut dire que je ferai une pause estivale en août puisque je serai en vacances. Donc il me reste 3 numéros avant septembre à faire, et oui, j’ai déjà les thèmes en tête 🙂 le dernier de juillet sera sur les lectures estivales et les sagas.
Ah mais tu parles en année scolaire? Je comprends mieux du coup, ça fait pas tant de numéro à prévoir
ah oui pardon ^^ je suis restée en année scolaire en effet… comme je travaille dans l’enseignement supérieur, je raisonne toujours comme ça 😀 d’ailleurs, pour moi septembre c’est le mois du renouveau, les bonnes résolutions c’est à ce moment; je pète en général le feu ^^