Seconde incursion chez Inceptio Editions. Paru en septembre 2020, Symbiose de Camille Salomon me faisait bien envie, déjà pour sa très belle couverture signée Lysiah Maro. Je l’avais repéré dans un billet du blog Les Fantasy d’Amanda. Polar dans un Paris à l’époque de l’Exposition universelle, ambiance un peu steampunk, pleine de créatures magiques… C’était fait pour moi. Notre histoire a très très bien commencé. Et puis… il y a eu quelques complications.
Synopsis
« Paris, 1900. L’Exposition Universelle se prépare, avec elle, le Tout-Paris prend part à la démesure. Provinciaux et badauds s’extasient des progrès scientifiques et techniques, le monde, lui, a l’œil braqué sur « La ville dans la ville ».
Au cœur de la capitale, la communauté surnaturelle évolue parmi les humains. De jour, les Féériques enchantent le Vieux Paris tandis que la nuit, les Maléfiques, prennent part aux dérives des bas-fonds.
Dans cette ambiance survoltée, Octave Cinib est nommé à la Sûreté générale, en qualité d’auxiliaire.
L’inauguration des festivités est le point de départ d’une série de meurtres macabres et d’une enquête fastidieuse pour Octave et son supérieur, Clotaire de Belleville. Au gré de leurs investigations, ils feront des rencontres : scientifiques, sorcières, buveurs, elfes… jusqu’à la jolie danseuse du Moulin Rouge ; alors ils comprendront que la frontière entre le bien et le mal est fine et que les apparences sont souvent trompeuses… ».
L’univers de Symbiose : Steampunk ou pas steampunk ?
L’univers de Symbiose est LA grande réussite du roman à mon sens. Entre steampunk et magie. Par contre, le roman est classé dans la catégorie « thriller fantastique » chez l’éditeur. Mais on n’est pas du tout dans le fantastique ici (qui est, selon la classification de Todorov, la limite entre réel et surnaturel, sans pouvoir choisir si ce qu’on vit et ce qu’on voit est réel ou non; le fantastique se caractérise par cet état d’incertitude qu’il provoque).
Qu’est ce que le steampunk ?
Très récemment j’ai eu une discussion avec OmbreBones au sujet du classement steampunk des romans. Est considéré comme steampunk un roman qui se déroule pendant la période victorienne, et qui présente des technologies ayant un caractère beaucoup plus avancé que dans la réalité au même moment. Ce n’est pas moi qui l’ai inventé, c’est Apophis qui le dit (et il ne l’a pas inventé non plus). J’en profite pour attirer votre attention sur son guide de l’imaginaire, téléchargeable gratuitement. On y apprend plein de choses et on dort moins bête le soir.
Et Symbiose, alors ?
Le roman offre un univers très riche, peuplé de tas de créatures (des sirènes, des humanoïdes, des elfes, des sorcières, des vampires, des gobelins, des tas d’espères marines, des fées, des tigres-garous, des chats bioniques…). Celles-ci sont d’ailleurs rangées dans deux catégories : les Féériques (créatures du jour) et les Maléfiques (créatures de la nuit). Je crois n’avoir jamais vu autant d’espèces dans un roman. Ca grouille de partout, c’est vraiment passionnant.
C’est aussi très intéressant de voir comment tout ce petit monde cohabite, tant bien que mal. J’ai apprécié la scène de la rafle des buveurs au Vélodrome de Paris, pour son clin d’œil terrible à une autre rafle bien réelle. Il y a dans ce roman une réflexion très intéressante sur les droits des Maléfiques et des Féériques, sur leur intégration dans la ville et leur acceptation par les humains. Ce mélange de féérie et d’humanité m’a plu, d’autant que la magie inonde les rues de Paris. Sortilèges, illusions, charmes… autant de traces magiques dans les mains de toutes ces créatures.
En revanche, le steampunk n’est pas très prononcé. Si on se promène en sous-marins et dirigeables, si des scientifiques font des expériences très louches dans leur labo en vue de créer une symbiose entre humains et être surnaturels… ce steampunk est davantage appliqué par touches que par aplats massifs dans le roman. Il ne faut donc pas s’attendre à un « roman steampunk » pur et dur. Pour moi, on est davantage dans un univers magique ici. Et cela fonctionne d’ailleurs très bien, j’ai bien aimé ce mélange subtil entre les deux. Pour ma part, je trouve le roman bien équilibré ainsi.
Une intrigue et des personnages bancals
En revanche, petite déception sur l’intrigue et les personnages, qui à mon sens manquent de profondeur et de vraisemblance.
Symbiose : un thriller ?
Octave est un jeune auxiliaire de la Sûreté de Paris, qui enquête sur des meurtres assez sordides dans les rues de Paris. Si on est témoin dès le début du récit de la première scène de meurtre, on ne sait en revanche pas grand chose sur l’identité de l’assassin, de cette Bête étrange, sur leurs buts et leurs motifs. On est donc, dans le premier tiers du récit, dans un polar classique, avec une enquête, une hiérarchie à respecter, des procédures à suivre, des intuitions, des témoins…
Ca se gâte à partir du moment où l’identité des meurtriers est révélée et leurs sombres desseins mis à jour. L’enjeu est donc de suivre Octave jusqu’à ces mêmes conclusions. C’est un parti pris que je respecte tout à fait, mais du coup, ça a complètement cassé le suspense. La pression se dégonfle et c’est un peu dommage : la tension soutenue et le suspense sont quand même les principaux ingrédients du thriller… Forcément un peu déçue sur ce plan, j’aurais préféré un suspense jusqu’au bout.
Des scènes de meurtres difficiles
De plus, j’ai eu beaucoup de mal avec certaines scènes, que j’ai trouvées assez violentes. Là c’est tout à fait personnel, c’est une question de ressenti. Certaines scènes sont très visuelles, de vrais carnages. J’ai senti l’odeur du sang sur mes mains, la chair se coller à moi et la nausée me venir. Sur ce point, c’est très réussi, l’écriture a très bien su rendre les ressentis des personnages vivant ces scènes.
Des personnages humains problématiques
Là, par contre, c’est une déception qui s’est accrue et qui a fini par ternir ma lecture. Finalement, dans ce récit, les créatures magiques sont plus intéressantes que les humains, qui agissent vraiment de manière complètement invraisemblable.
Déjà, Clotaire, le chef d’Octave, est insupportable. Il est profondément crétin, grossier, misogyne, raciste, hurle sans arrêt et ne prend que des décisions stupides. On pourrait se dire que bon, c’est son personnage. Oui, mais il est tellement farci de vices que ça n’en est pas crédible. En plus, il change d’avis comme de chemise. Il déteste Octave, mais finalement quelques pages plus loin devient civilisé avec lui. Ca ne colle pas.
Octave aussi a fini par me poser problème. Il est mignon, il est gentil, sa peur de l’Amour est touchante, et sa timidité face à la gent féminine est telle qu’il devient gauche et s’interdit tout ressenti pour ne pas risquer de souffrir ensuite. Mais alors pourquoi il se transforme en crétin énamouré dès qu’une femme l’approche ? Et pourquoi il tombe dans le panneau et a si vite des papillons dans le ventre du fait d’un simple regard d’une femme ? Et puis alors, il passe de l’auxiliaire qui s’écrase au héros assumé face à son chef, en deux temps trois mouvements.
Quant aux femmes, elles sont tout aussi invraisemblables. Je pense à Morwenna la fée, qui fait volte-face en une nuit. De même, Griselda est une des sorcières les plus puissantes, et j’ai bien eu du mal à comprendre ce qu’elle était allée faire dans cette galère. Mais ouf, elle est revenue du bon côté de la force, grâce à l’amour qu’elle porte à son homme. Et enfin, Raïzel. Le stéréotype de la femme tentatrice, folle furieuse, animée par la vengeance…
Non, décidément, les personnages ne collent pas, et de ce fait l’illusion romanesque a fini par ne plus opérer.
Une narration perfectible
Des facilités scénaristiques
L’invraisemblance que j’ai ressentie dans Symbiose s’est accrue avec certaines facilités dans le récit.
Je pense notamment à toutes les fois où Octave est en danger de mort, mais où miraculeusement un personnage sorti de nulle part et inconnu au bataillon vient le secourir in extremis (le cas des fées, et surtout cette Mademoiselle de Honfleur, qui débarque en fin de récit). Le Deus Ex Machina, procédé purement théâtral, fonctionne très bien avec des récits parodiques, ou au second degré. Mais pas ici.
On retrouve aussi certaines scènes classiques déjà vues : les méchants qui se doublent entre eux, le méchant qui a pensé à tout sauf… et qui se fait avoir, les personnages entre-deux, qui oscillent sans cesse entre le bien et le mal et finissent par se décider (au moment pile poil opportun, quelle chance)… Ce n’est pas forcément négatif : ici c’est entraînant, et l’histoire se tient. En revanche, ça manque d’originalité, et encore une fois cette impression de déjà-vu casse un peu l’illusion.
La fin m’a laissée complètement perplexe, faisant se succéder des événements tous plus invraisemblables les uns que les autres. Le sort de Griselda et Octave m’a même fait rire, mais je ne pense pas que c’était le but recherché.
Un roman à relire
D’autre part, ce roman gagnerait à être relu, corrigé et réédité. A partir de la seconde moitié, j’ai relevé quelques maladresses dans la langue, des incohérences gênantes (notamment dans le dialogue final entre Mme de Honfleur et Octave, oscillant entre je « tu » et le vous », et cela ne semble pas être lié aux personnages, au contexte ou au récit) et surtout un nombre assez élevé de fautes d’orthographe . Si quelques coquilles peuvent passer entre les mailles du filet et ne pas trop gêner la lecture, en revanche ici elles sont trop nombreuses. Ca a complètement terni ma lecture. C’est vraiment dommage, car j’ai fini le roman sur une note négative.
Conclusion
Sentiment très mitigé donc, à la fin de ce roman. Symbiose propose un univers vraiment passionnant, dense, varié, et très prenant. J’ai beaucoup apprécié cet aspect du roman. Il commençait vraiment très bien, avec plein de bonnes idées, plein de promesses, mais malheureusement ça n’a pas tenu sur la longueur. C’est dommage. Je pense enfin que le roman gagnerait à être réédité, pour améliorer le confort de lecture. Toutefois, je serai à l’affût des prochaines parutions de Camille Salomon, son imagination ici était telle que son prochain roman promet autant de richesses et de découvertes surprenantes.
Plus que du steampunk, ce ne serait pas plutôt du Gaslamp fantasy, ce roman? Je cite Apophis justement : « Fantasy à cadre victorien ou d’inspiration victorienne, mais sans les éléments de science rétrofuturiste (ou disons beaucoup moins présents) ou l’aspect uchronique du steampunk, et avec éventuellement des éléments surnaturels en plus. Exemple typique : cycle Téméraire de Naomi Novik. » https://lecultedapophis.com/category/fantasy/fantasy-historique/gaslamp-fantasy/
Ah oui, c’est effectivement intéressant ça. C’est vrai que la question se pose très justement, je n’avais pas pensé à ça du tout, merci pour cet éclairage !
Je dirais que le roman est à cheval entre le steampunk et le gaslamp fantasy. Plusieurs éléments seraient plutôt à rattacher au premier, d’autres au second.
Je ne suis pas assez spécialiste pour bien distinguer les spécificités de chacun de ces sous-genres avec précision, mais la frontière entre les deux me semble, comme ça à brûle-pourpoint, assez fine.
Il y a dans Symbiose des éléments de science et de technologies bcp plus avancées dans l’histoire qu’en réalité, et qui constituent une bonne part de l’intrigue, mais sans que ce soit non plus très fouillé ni toujours décrit dans leurs processus.
En revanche, rien sur l’aspect uchronique de l’univers (tout juste mentionné).
De ce fait, je balance entre les deux, de manière indécise !
Peut-être que c’est ça aussi qui fait le charme de cet univers, sa capacité à piocher ici et là des matériaux divers, et à créer un cocktail un peu original (jolie petite pirouette n’est ce pas ? 😀 )
Jolie, effectivement! 😉
L’univers m’intéresse mais je sais pertinemment que ce que tu pointes comme défaut va complètement me ternir la lecture. Je ne supporte pas les personnages invraisemblants qui me sortent de l’histoire et de sa crédibilité.
Je comprends tout à fait. C’est pareil pour moi. Je n’aime pas sortir de l’histoire du fait d’incohérences. C’est comme si ça ne collait pas. Et ça fait comme des cailloux dans la chaussure, on finit par ne plus les supporter.
Très belle chronique, notamment pour la question du genre. Il faudrait que je me penche sur la question afin de corriger le tir sur mon blog ;).
Sinon, ton avis rejoint globalement le mien, et c’est dommage ! Le suspense passe vite aux oubliettes et les personnages ont un comportement incohérent, ce qui ne nous permet pas de les trouver crédibles et attachants… Tant pis ! ^^
Merci pour ta remarque 🙂
C’est ça. Je n’avais encore jamais lu un livre qui change du tout au tout en cours de route. Je n’arrive pas à comprendre ce qui s’est passé. Et je n’ai jamais lu un roman édité aussi truffé de fautes. Ca m’a prodigieusement agacée…
Je t’avoue que le roman depuis est parti dans une boîte à livres.
C’est une bonne idée que de donner/vendre les livres que l’on ne souhaite pas relire, ils plairont sûrement à quelqu’un d’autre ;).
Oui, et en plus je garde la maîtrise de ma bibliothèque, je n’ai pas encore trouvé le sortilège pour pousser les murs ^^
Je cherche encore de mon côté aussi MDR !