Second roman de David Bry, La princesse au visage de nuit est un roman fantastique paru en octobre 2020 aux éditions de l’Homme Sans Nom. Sélectionné pour la finale du Prix Imaginales des Bibliothécaires 2021, ce roman est un thriller fantastique. Je l’ai lu en 24 heures, accrochée aux personnages et à l’intrigue, retenant ma respiration. Une expérience qui ne m’était pas arrivé depuis longtemps !
Que passe l’hiver // La princesse au visage de nuit
Rappelez-vous, c’était une de mes lectures favorites en janvier. Que passe l’hiver m’avait envoûtée par son fantastique poétique, son écriture tout en non dits, teintée de gris et de blanc. On se trouvait alors dans un compte à rebours haletant jusqu’au solstice d’hiver. Comme en miroir, La princesse au visage de nuit propose ce même compte à rebours, cette fois jusqu’au solstice d’été. Ambiance différente, mais tout aussi feutrée, sur la frontière entre fantastique et réalité, toujours avec en toile de fond des légendes qui résonnent.
J’ai lu ce roman dans le cadre du ABC Challenge de l’imaginaire 2021, lettre B.
Synopsis
» Vingt ans après avoir quitté son village natal, vingt ans après avoir essayé de trouver – en vain – la princesse au visage de nuit pour qu’elle le sauve de ses parents, Hugo revient sur les traces de son enfance.
Un étrange accident de voiture, l’orage qui gronde sans cesse, des noms d’enfants dans le vent, une mystérieuse présence dans les bois et les lucioles qui volettent, toujours. Comme avant, au temps de la princesse au visage de nuit.
Devenu adulte, Hugo ira-t-il jusqu’à la trouver ? «
Un thriller
Ingrédients du récit policier
La princesse au visage de nuit est en effet un roman policier. Du moins en reprend-il certains ingrédients, avec la mort pas si accidentelle des parents d’Hugo. Cet accident aurait-il un lien avec ce qu’il s’est passé vingt ans plus tôt ? Mais que s’est-il vraiment passé d’ailleurs ?
J’ai retrouvé tous les petits clichés du polar de village un peu paumé avec une ambiance mystérieuse : le curé, la vieille folle du village, le mec louche et vicieux, le châtelain, ceux qui savent tout, ceux qui ont la même vie creuse qu’il y a vingt ans, l’enquêteur du cru (et qui n’est autre que la sœur de Sophie, l’amie disparue d’Hugo). Ambiance cœur de village étouffant propice aux meurtres sordides, huis-clos étouffant refermant mille secrets (ça me rappelle les enquêtes de l’inspecteur Barnaby). J’aime bien ce genre de décors, qui fonctionnent bien avec moi.
Qui dit polar dit enquête, et là en revanche j’ai trouvé tout ceci assez peu crédible. J’ai trouvé pas mal de facilités scénaristiques assez aberrantes (Hugo suspect mais libre et pas inquiété, la gendarmette qui fait n’importe quoi mais n’est pas démise de ses fonctions…). Ca passe parce qu’au fond, l’attente n’est pas tant dans la résolution de l’intrigue que dans son déroulé, dans l’ambiance. Si cette œuvre n’avait été qu’un polar, ça n’aurait pas fonctionné.
Un thriller haletant
Et c’est surtout cet aspect qui est très bien réussi. A cette enquête (bancale) s’associe un mystère planant, étouffant. Le passé est un non-dit, personne ne l’évoque, et Hugo l’a carrément oublié. Pourtant, il a dû s’en passer des choses. Et il a forcément un lien avec les événements du présent. Il plane comme une ombre menaçante sur le présent.
Peu à peu, avec ce compte à rebours pressant, les secrets se dévoilent, les nœuds se démêlent, les non-dits s’expriment. Au fur et à mesure que la lecture se poursuit, on tire des fils, on déterre des choses du passé, et une sorte d’intuition nous pousse à croire qu’on va vers la catastrophe, cette fameuse nuit du solstice. J’ai lu ce livre en 24h, accrochée aux pages, pressée d’arriver à cette nuit mais en même temps anxieuse de ce qui allait se produire, de ce que j’allais apprendre du passé.
De ce côté-là, le suspense fonctionne à merveille, amplifié par une ambiance sinistre (le retour d’Hugo dans sa maison d’enfance, laissée telle quelle, les bois retrouvent leur aspect inquiétant, l’orage toujours grondant dans le ciel plombé par les nuages menaçants…). Peut-être suis-je bon public (je lis très peu de thrillers, en général je ne comprends rien et je fais des cauchemars après), en tout cas j’ai adhéré complètement.
Une écriture fantastique
En apparence, le récit semble réaliste. L’intrigue d’ailleurs l’est a priori : un accident qui n’en est pas un, une enquête, un retour dans une vie antérieure. Mais très vite, de l’étrange est saupoudré sur les événements; la certitude d’être dans un environnement réel et réaliste est mise en doute.
Il y avait déjà cet aspect dans Que passe l’hiver. David Bry sait vraiment bien dépeindre ce genre d’ambiance, cette hésitation constante qui nous interroge sans cesse : est-on dans la réalité, ou autre chose, et quoi ? C’est exactement la définition du fantastique, cette frontière poreuse entre le réel et le surnaturel, sans pouvoir vraiment choisir un côté ou l’autre.
Si certains indices peuvent être rattachés au réel, d’autres éléments sont clairement en dehors de toute réalité. Et ces lucioles qui brillent, que cachent-elles ? Même les lieux sont un peu imaginaires et incertains : le Saint-Cyr tel qu’il est décrit n’existe pas, et il côtoie des bâtiments et lieux qui sont situés ailleurs (Seine et Marne, Oise). Le dénouement de l’intrigue est d’ailleurs sur ce fil ténu entre réalité et fantastique, dans un entre-deux.
L’amitié et le deuil
J’ai particulièrement bien aimé dans ce roman la façon dont David Bry évoque plusieurs sujets très ancrés dans le réel, l’amitié et le deuil. Ca m’a d’ailleurs pas mal remuée. C’est pour ces aspects que je classe ce roman dans un « entre-deux » : entre écriture blanche et écriture de l’imaginaire.
« Amis pour la vie »
Que ce soit ses amis d’enfance ou ses amis actuels, ce sont eux qui ont permis à Hugo de tenir. Cependant, Chloé, Seb et William, les amis parisiens, sont complètement paumés, ils crament la vie dans tous les sens, fuyant la réalité, chacun à sa façon. Ces personnages me semblent sous-exploités, j’aurais apprécié les voir évoluer aussi, sortir (ou pas) de cette totale perte de repères qu’ils subissent.
Le travail de deuil
Enfin, le cœur du roman n’est pas fantastique du tout, au contraire, à mon sens il est même très réel : c’est l’inévitable travail de deuil. Le deuil d’une enfance, qu’on a subie et enfouie au fond de soi, sur laquelle on a fermé les portes en pensant, à tort, que c’était terminé. Mais aussi le deuil d’êtres chers perdus. Ce deuil que la société d’aujourd’hui ne donne plus le temps de mener à bien. Permettre, finalement, de mettre des mots sur la douleur ressentie et de pouvoir passer, ainsi, à autre chose. C’est tout ce que doit mener Hugo dans ce roman. Et il met du temps à pouvoir le faire. Ce sont les scènes de retours en arrière qui nous donnent à voir, dans un premier temps, ce qu’il a subi et perdu.
Des lectures complémentaires…
D’autres chroniques sur ce roman :
- Yuyine, qui aime beaucoup la mélancolie poétique qui se dégage de ce texte
- Amanda, un peu déçue par la fin (c’est vrai que le livre se lit vite, on a un goût de trop peu)
- Sometimes a book qui a aussi apprécié ce côté réaliste (l’ode à la vie et à l’amitié)
- LesblablasdeTachan, qui comme moi préfère le fantastique au thriller mais a aimé cette association ici.
- Coup de cœur pour Vincent qui a adoré ce roman malgré sa dureté, certainement grâce au talent de conteur de David Bry.
Finalement, c’était une très bonne lecture. Je n’ai pas autant aimé que Que passe l’hiver, car j’y ai trouvé des incohérences, et aussi des manques. Malgré tout, j’ai été complètement prise dans l’histoire, à tel point que je n’ai pas pu décrocher. J’ai retrouvé cette sensation d’empressement à continuer la lecture pour savoir ce qu’il allait se passer. Comme des années auparavant, je me suis retrouvée planquée sous la couette pour ne pas gêner avec la lumière, m’endormant à moitié sur le livre mais tenant bon. Enfin, j’ai encore une fois beaucoup apprécié l’écriture de David Bry, avec cette coloration fantastique et poétique qui donne à ses récits une ambiance très particulière (amplifiée par le magnifique travail éditorial des éditions HSN). Ce roman a aussi su me toucher sur des sujets difficiles. Je sais désormais que je pourrai me procurer le prochain roman de cet auteur les yeux fermés.
Je suis ravie que tu aies apprécié cette lecture (et merci pour le lien.)
C’est vrai que l’enquête n’est pas très crédible mais je suis passé complètement au dessus, emportée par la plume et l’ambiance. Rassure-toi, tu n’es pas la seule qui a frissonné à sa lecture, il y a eu des peurs franches dans le comité de sélection ^^
Oui, moi aussi je suis passée au-dessus. Mes attentes n’étaient pas sur ce point, et j’étais complètement happée par l’ambiance et le suspense.
Ca doit être assez étrange parfois les discussions dans les comités de sélection !
J’ai beaucoup aimé aussi ce roman, même si au final le côté enquête/thriller passe clairement à la trappe. J’ai bien apprécié l’écriture, qui rend à merveille l’atmosphère avec des airs de conte contemporain en peu de mots. Ce style me change de mes lectures mais je préfère davantage de matières en général 🙂
Je te rejoins tout à fait ! C’est assez marrant, car habituellement, l’aspect un peu brinquebalant du thriller est pour moi un argument en défaveur d’un livre (quand je lis du thriller évidemment, ce qui m’arrive rarement car je suis aussi peureuse qu’une gamine de 10 ans et dure de la comprenette) , mais là ça a marché, grâce à l’écriture effectivement qui fait tout le reste.
Je suis d’accord avec toi concernant l’enquête, elle ne tient pas toujours la route, mais on pardonne facilement ce faux pas à l’auteur tant la dynamique de son récit prend aux tripes. Personnellement, c’est la fin qui m’a déçue, car j’attendais davantage d’explications… et d’imaginaire ^^ !
Tout à fait ! c’est vrai qu’habituellement ce genre de bémols me fait moins apprécier ce roman, mais la magie de celui-ci opère. Par contre, c’est clair qu’il n’est pas exempt de défauts malgré tout. En cela, j’ai largement préféré Que passe l’hiver, que j’ai trouvé beaucoup plus abouti.
Je ne sais pas s’il sera le gagnant du PLIB, ce cru-là a l’air d’être de très très bonne qualité !
Personnellement, ma préférence va à Le garçon et la Ville qui ne souriait plus, mais j’ai aussi adoré Que passe l’hiver ;).
Il faut que je me le rajoute sur ma PaL Le garçon et la ville… !
Merci pour le lien.
C’est vrai que le titre n’est pas exempt de défauts mais son ambiance était vraiment chouette et ça me donne envie de découvrir les autres titres de l’auteur passé et à venir !