Second roman de Louise le Bars, Asphodel est paru aux éditions Noir d’Absinthe en septembre 2020. Magnifiquement illustré par Flokera, ce roman vampirique a fait l’objet d’une campagne Ulule pour son financement et son édition Prestige. C’est un roman assez court, mais qui vibre avec beaucoup d’intensité.
Synopsis
« Dans Asphodel, nous parcourons les siècles, du XVIIIème à nos jours, aux côtés d’un vampire qui – poète macabre – nous conte sept meurtres de femmes ayant marqué son existence. Pourquoi les tue-t-il, elles en particulier ? Et quelle est cette mystérieuse entité qui prend vie au fil des lignes ? En nous mettant dans la peau d’un monstre fantastique, le roman aborde des thématiques féministes et nous pousse à réfléchir sur les origines du mal ».
Asphodel : un récit poétique et libertin
Un récit poétique
Asphodel est un roman à la langue soignée. C’est du beau français, recherché mais sans trop d’artifices. La lecture est fluide, bercée par le rythme langoureux des phrases. C’est très important pour moi de lire des romans de cette qualité de langage, je suis très attentive à la beauté de la langue française, à sa richesse, à sa grammaire, à ses sonorités. De ce côté-là, Asphodel m’a conquise, je l’ai lu avec délices.
Le récit est découpé en sept récits, racontés par Asphodel. 7 instants de vie volés, 7 époques, 7 ambiances, 7 femmes différentes. La narration suit habilement ces différents décors, qui nous font aussi voyager : ambiance Jack l’Eventreur, dîner mondain ou encore séance de spiritisme… Dans tous les cas, Asphodel navigue dans le gratin mondain. On se croirait dans les salons du XVIIIème siècle parfois.
Entre ces récits s’entremêlent des intermèdes, portés par une voix féminine qui se construit, elle aussi, peu à peu, au fur et à mesure que le temps avance. Ce roman est donc construit sur un mode choral : les voix d’Asphodel et de cette créature mystérieuse se répondent, comme des échos, avant de se retrouver en chœur.
Asphodel libertin
Le roman commence d’ailleurs au XVIIIème siècle, pour se terminer au XXème siècle. Voyage dans le temps, mais avec des permanences, notamment l’attitude libertine d’Asphodel. C’est un peu un dandy, soucieux de son apparence, de sa mise, de ses postures, et tellement sûr de lui. Il apporte ce même souci esthétique dans ses récits, dont il masque la cruauté sous un raffinement très feint.
Dandy libertin donc : Asphodel est un séducteur dans l’âme. Il parvient sans peine à attirer les femmes sous ses canines, développant tous les stratagèmes de la séduction. Il joue, sans cesse. C’est un peu un Valmont avec des canines : d’ailleurs, la mort n’intervient pas avant les scènes traditionnelles de premier regard, de badinage, de sensualité et enfin d’abandon féminin. On a là des scènes types de la littérature libertine de l’époque. On retrouve aussi une écriture similaire : osée, explicite, violente même, mais jamais vulgaire, toujours raffinée. Rappelons que certains auteurs du XVIIIème ne prenaient pas de pincettes pour écrire des scènes de séduction et de sexe très visuelles (je pense notamment au Sopha de Crébillon, ou au Doctorat impromptu d’Andrea de Nercia). Asphodel se place là dans le même registre, avec les mêmes rapports entre les hommes et les femmes qu’à l’époque.
Asphodel le vampire
Un retour au vampire traditionnel
Asphodel renoue ici avec le vampire originel, le mythe de l’assassin assoiffé de sang, d’une beauté macabre, sûr de lui et de ses pouvoirs surnaturels. On retrouve le personnage en vogue dans la littérature gothique du XVIIIème et romantique du XIXème siècle.
L’originalité ici vient du fait qu’on est dans sa tête. C’est lui le narrateur. On assiste donc au repérage de la proie, à la chasse, à ses réflexions sur la gent féminine (peu réjouissantes, mais replaçons ça dans le contexte de l’époque)… Le lecteur pressent et voit les meurtres, par les yeux et les sens d’Asphodel. On est dans la tête d’une créature qui se délecte de l’horreur de ses actes. Car ces mises à mort, aussi violentes soient-elles, sont parées d’un voile de sensualité dont se délecte le vampire. L’écriture immersive de Louise Le Bars est très habile. Elle transforme le lecteur en voyeur, témoin de scènes cruelles. Et puis elle sait le happer, l’enrober dans un drap de velours et le maintenir, de son plein gré, dans cette position.
L’écriture du Mal et de l’horreur pure et gratuite n’a jamais été bien reçue. Quand on relit par exemple Les chants de Maldoror, on en ressort la tête à l’envers, avec une impression de malaise et de crasse sous les bras. La littérature ne doit pas sortir du rang. Elle doit prendre le parti du Beau, et si meurtre il y a, prendre le parti de la victime. Mais c’est pourtant là le pouvoir de la fiction romanesque : de changer de bord, d’écrire autre chose, de dire l’amoral, d’explorer la part d’ombre en chacun de nous. Et c’est bien ce qui est en jeu ici. Asphodel est un vampire, il assassine des femmes, c’est atroce… : mais on lit, et on continue de lire, et on apprécie la lecture.
C’est vraiment très bien joué, et ça change de lire des textes de cette envergure. Un très beau pied de nez à la censure actuelle qui dicte ses lois et sa morale bien pensante.
Un vampire auquel on s’attache
Pire encore, Louise Le Bars nous fait même apprécier son assassin. J’en suis venue, au fur et à mesure de ma lecture, à le comprendre. Car j’ai aussi trouvé que finalement c’est Asphodel qui souffre le plus. C’est un personnage torturé, perdu, avec un trou à la place du cœur, un vide à la place de l’âme. Il souffre de solitude, de manque, de la faim. Et finalement, on peut se demander aussi dans quelle mesure il n’est pas la vraie victime de ces meurtres. Car c’est lui qui vit avec ce sang sur les mains, qui est victime de ses pulsions, esclave de ses désirs, et qui subit son sort. L’excellente chronique du blog Dans les montagnes noires démontre d’ailleurs parfaitement ce statut d’anti-héros.
Et puis, certains événements ne se déroulent pas vraiment comme prévu. Parfois, son jeu se retourne contre lui. A d’autres moments, il reconnaît ses faiblesses, son excès d’orgueil. Au fur et à mesure du récit, il évolue, ces rencontres et ces meurtres le métamorphosent chaque fois un peu plus, et on apprend à reconnaître toute la complexité de ce personnage.
Un roman entraînant
J’ai déjà parlé plus haut de la construction du roman, à deux voix. Il y a un rythme très entraînant qui est créé par cette succession de scènes, et d’intermèdes entremêlés.
D’autre part, ces intermèdes sont assez mystérieux, car on ne sait pas bien ce qu’est cette entité qui grandit. On comprend que c’est une entité féminine, pas très douce non plus avec ses victimes dont elle vole le Trésor. Elle se nourrit d’eux comme Asphodel se nourrit des femmes qu’il séduit. Cela crée un roman en miroir, en quelque sorte.
J’ai bien aimé le dernier tiers du récit, dont la construction réunit plusieurs fils narratifs et donne un autre éclairage sur les personnages. Les choses finissent par s’emboîter, et donnent envie de revenir en arrière pour déceler ces indices. J’ai trouvé ça intéressant, mais d’un autre côté ça ne m’a pas vraiment convaincue. Si j’aime avoir un début, une fin, une intrigue… dans des récits avec une histoire, en revanche dans ce texte cela me semble superflu. Je me serais contentée de ces récits bruts, de cette noirceur inexpliquée, et du mystère autour d’Asphodel, sans comprendre le pourquoi des choses. Je le préfère chasseur peu loquace, dans toute sa cruauté et son orgueil démesuré, et comme venant de nulle part.
J’ai lu cette œuvre en version numérique, à la suite d’un service de presse auprès de la maison d’édition. Je remercie d’ailleurs Noir d’absinthe pour l’envoi de ce roman, qui m’a permis de découvrir et d’apprécier quelque chose de très différent. Je vais quand même l’acheter en version papier, car il me semble que les illustrations à l’intérieur sont vraiment belles, ça apporte toujours un plus à la lecture. J’avais été intriguée par ce personnage qui m’évoquait la fleur d’asphodèle, symbole des Enfers, de mort mais aussi de vie immortelle. Ca n’a pas été une lecture coup de foudre, mais j’ai beaucoup apprécié ce roman, pour son originalité, son écriture immersive et poétique, et son angle choisi. Je l’ai lu avec beaucoup d’entrain, plongée dans l’esprit tortueux d’Asphodel. C’est un récit sensuel, mais surtout très fort, puissant, dans toutes les directions.
Intéressante chronique.
Vu ton avis ici, as-tu déjà lu du Vincent Tassy? Parce que je pense clairement que tu y trouverai ton compte côté poésie et univers.
Mais non, et oui je pense aussi que ça me plairait. Je vais suivre ton avis, je viens de finir un livre, timing parfait 🙂 Merci !