Pierre Pevel – Le Paris des Merveilles

Quelle découverte ! Un auteur, un monde, une œuvre magistrale, dans une édition collector magnifique. C’était un cadeau de Noël, et j’ai savouré cette lecture, que j’ai fait durer sur trois semaines. J’ai adoré retrouver Griffont et Isabel chaque soir, suivre leurs aventures passionnantes. J’ai eu bien du mal à refermer le livre. Le Paris des Merveilles, c’est un enchantement total, tant l’histoire que la plume de Pierre Pevel. J’ai d’ailleurs découvert cet auteur avec cette œuvre, dans le cadre de l’ABC Challenge de l’imaginaire 2021.

L’édition et le texte

J’ai lu l’intégrale du Paris des Merveilles, qui comprend 4 textes :

  • Les enchantements d’Ambremer, suivis de Magicis in mobile; nouvelle
  • L’élixir d’oubli
  • Le royaume immobile

L’édition que j’ai lue est celle de 2018, parue chez Bragelonne, et qui est une réédition en un seul volume de la trilogie parue en 2015. Les illustrations magnifiques sont de Xavier Collette.

Synopsis

Les enchantements d’Ambremer, suivis de Magicis in mobile

« À première vue, on se croirait dans le Paris de la Belle Époque. En y regardant de plus près, la tour Eiffel est en bois blanc, les sirènes ont investi la Seine, les farfadets, le bois de Vincennes, et une ligne de métro rejoint le pays des fées… Dans ce Paris des merveilles, Louis Denizart Hippolyte Griffont, mage du Cercle Cyan, est chargé d’enquêter sur un trafic d’objets enchantés, lorsqu’il se retrouve impliqué dans une série de meurtres. Il lui faudra alors s’associer à Isabel de Saint-Gil, une fée renégate que le mage ne connaît que trop bien… »

L’élixir d’oubli

 » Quelques mois après l’épilogue des Enchantements d’Ambremer, Griffont se voit de nouveau confronté à un tourbillon d’événements tous plus incompréhensibles les uns que les autres. Le plus inquiétant étant la présence d’un mage noir, Giacomo Nero que tout le monde semble craindre et qui pourrait bien être mêlé à une intrigue trouvant ses origines à l’époque de la Régence. En ce temps-là, Griffont était le chevalier de Castelgriffe, mage libertin, et faisait équipe pour la première fois avec une certaine baronne de Saint-Gil… »

Le royaume immobile

« Alors que tous ne songent qu’aux prochaines élections du Parlement des Fées, Griffont doit aider un ami soupçonné du meurtre d’un mage du Cercle Incarnat. De son côté, Isabel se trouve aux prises avec de dangereux anarchistes venus de l’Outre Monde et bien décidés à ensanglanter Paris pour se faire entendre. Mais bientôt Griffont et Isabel découvriront que ces deux affaires sont liées, et lèveront alors le voile sur un secret ancien susceptible d’ébranler le trône d’Ambremer. »

Des petites histoires dans la Grande

Les trois romans qui constituent le Paris des Merveilles suivent les aventures de Griffont et Isabel de Saint-Gil, personnages principaux de cette trilogie. Enquêtes, complots, péripéties, rebondissements… autour des histoires centrales de chacun des romans.

En parallèle, dans les trois romans, ces histoires s’imbriquent dans un plan plus large, celui d’Ambremer, le monde des fées, dans lequel se joue beaucoup plus. Dans le premier tome, c’est la rivalité entre Méliane, la Reine des fées et sa sœur, Lyssandre, qui est l’enjeu du récit. Ensuite, dans le second tome, les aventures de Griffont et Isabel les mènent au cœur de la guerre entre fées et dragons, débutées plusieurs siècles plus tôt. Enfin, Le royaume immobile fait revenir Lyssandre, dans la période sensible des élections au Parlement des Fées.

Ainsi, les petites histoires s’imbriquent dans la grande Histoire. Les deux trames se nourrissent mutuellement l’une de l’autre pour créer une intrigue complexe et à plusieurs niveaux.

Un Paris merveilleux et enchanteur

Une uchronie

On pourrait dire que Paris des Merveilles est une uchronie. Pour rappel, une uchronie est un récit d’événements fictifs, à partir d’un moment T où la réalité change. Ici, la réalité alternative débute avec le dévoilement du monde des fées à la population (« au lendemain de la sanglante épopée napoléonienne »). Et on a donc un Paris où les arbres parlent, où l’on peut prendre le métro pour passer dans « l’Outre Monde », où les mages ont des cabinets ayant pignon sur rue…

C’est d’ailleurs assez intéressant, le narrateur pose au début des Enchantements d’Ambremer ce cadre, en sa faisant guide historique et touristique. On se promène avec lui dans les rues de Paris en suivant Griffont, et on bénéficie de détails sur les différentes strates historiques de la ville.

Le Paris des Merveilles : un world builing

On parle de world builing pour évoquer Tolkien notamment, qui a inventé et construit un monde complet : des personnages, une cosmogonie, une langue, des lieux cartographiés… et une œuvre littéraire qui tisse les liens du monde construit.

A mon sens, on est dans ce cadre ici. Un certain nombre d’éléments construisent un monde complet, cohérent, enrichi d’une histoire, de lieux spécifiques, d’une langue :

  • des créatures merveilleuses. Des chats ailés, des fées, des mages, des dragons, des enchanteurs, des minimets, des mnémovores, des gnomes…
  • une organisation sociale et politique. Les mondes féériques (Onirie, Outre-Monde, Sepulcra), la reine d’Ambremer, un Parlement avec des ambassadeurs, des cercles de mages et des règles et lois qui régissent le fonctionnement de cet univers
  • une organisation spatiale. Ambremer, accessible avec la ligne 1 du Métro; toute une thématique des passages/portes/miroirs pour passer d’un monde à l’autre, avec leurs portiers, leurs règles de passage
  • une histoire. Titania et ses filles Méliane et Lyssandre, la guerre des fées et des dragons, création des cercles de mages, révélation du royaume des fées aux Terriens
  • un fonctionnement magique. Enchantements et sortilèges (bien différents, Griffont nous en fait un petit topo d’ailleurs), accessoires (le pommeau de la canne de Griffont …), petites touches de merveilleux (les roses qui chantent, les cartes de visite qui poudroient et laisse apparaître des caractères d’imprimerie, les arbres qui parlent dans les squares isolés de Paris…)
  • des langages spécifiques. Isabel par exemple connait plusieurs des langues des peuples des fées, et les sorts découlent aussi d’une langue spécifique

Une fantasy construite au fil du récit et ancrée dans une tradition littéraire

Au-delà de ces éléments de fantasy, il y a surtout une construction de ce monde tout au long des romans. Au fil du récit, les personnages prennent de l’épaisseur, l’Histoire se dévoile, le fonctionnement du monde des fées aussi, les prémisses d’un royaume s’éclaircissent, les liens entre tous ces personnages se tissent… L’œuvre crée un monde qui s’enrichit au gré du récit.

Pour peaufiner ce cadre fantasy, les trois romans sont truffés d’allusions, de citations et de clins d’œil à des références littéraires (par exemple, la présence de Dunsany, Jules Verne dans Magicis in Mobile, Nicolas Flamel, Merlin et Viviane…). L’intertexte est donc très riche et inscrit pleinement cet univers dans une sphère littéraire fantasy.

Un univers théâtral et mis en scène

Un livre objet visuel

Planches de portraits dans le Paris des Merveilles. © Xavier Collette

Le récit se déroule dans un Paris Art Nouveau, richement décoré de lignes courbes et d’ornementations végétales (on retrouve les stations de métro de Guimard)… On retrouve notamment ces traits artistiques dans le livre, avec les couvertures et planches intégrées dans le roman. Ces planches présentent les personnages, un peu à la manière d’un jeu des 7 familles. Ces illustrations mettent pleinement dans l’ambiance des romans et rendent la lecture très agréable. Les chapitres sont également marqués par des rinceaux, et les textes débutent par de très belles lettrines décorées de courbes. Le décor est planté.

Des scènes très théâtrales et pleines d’artifices visuels

Le Paris des Merveilles est un ensemble de romans d’aventures, mais ponctué de scènes très cocasses et d’inspiration théâtrale. On a par exemple pas mal de références à Guignol dans le texte. D’autre part, le trio Griffont/Isabel/Cécile est digne d’une pièce comique, avec des comportements typiques (la jalousie d’Isabel, le crêpage de chignons entre les deux femmes, le jeu du chat et de la souris entre Isabel et Griffont, désigné comme « une comédie »…).

Par ailleurs, le récit multiplie les jeux de miroir, les faux-semblants, les trompe-l’œil, autant d’artifices du théâtre baroque. On a dans le Paris des Merveilles un jeu sur les déguisements, les masques, les illusions, les métamorphoses… tout au long du récit, tant dans les personnages que dans les situations qui ne sont pas aussi simples et évidentes qu’on ne le croit.

Un récit mis en scène par l’écriture

Au-delà de ces scènes comiques et théâtrales, l’écriture et le ton du narrateur mettent en scène le récit. Le narrateur ne fait pas que raconter. En effet, il organise aussi le récit et l’interrompt pour interpeler le narrataire. Il fait également des commentaires sur l’organisation du récit et des événements racontés.

Ces commentaires extradiégétiques sont particulièrement rigolos. Il semble parfois qu’on soit face à un conteur qui s’amuse à nous raconter son histoire. Il met en scène celle-ci avec beaucoup de légèreté et d’humour (« Griffont avait demandé qui avait recommandé le tricheur : c’était Ruycours. Si vous en doutez, relisez le premier chapitre de ce livre. Vous gagnerez cependant du temps en me faisant confiance. Vous ai-je déjà menti? »).

Ailleurs, il en profite même pour rassurer le narrataire de la véracité des propos, à la manière des écrivains du XVIIème siècle, justifiant leur art face aux critiques du genre taxé de mensonger (« Voilà ce qui aurait pu arriver mais n’arriva pas […] L’auteur de ces lignes se refuse à travestir la réalité dont il se veut le chroniqueur fidèle, et tant pis pour les principes romanesques qui exigent un final spectaculaire à tout bon récit d’aventures »). On devine même à travers ces lignes le regard pétillant et amusé du narrateur (et derrière l’écrivain).

J’ai surtout beaucoup aimé l’humour qui teinte la narration et l’histoire. Il y a des scènes et des personnages très savoureux (le chat ailé Azincourt, qui aime parler avec un accent anglais, la petite routine de Griffont, avec sa lecture fétiche (Dumas) et sa tasse de thé Kenilworth…). Rien n’est laissé au hasard, chaque petit détail compte et participe au décor, à l’ambiance, avec légèreté et fraîcheur.

Des aventures incroyables

Des romans policiers

Tous les ingrédients du roman policier sont réunis dans ce triptyque. On retrouve d’abord les enquêteurs, officieux (Griffont et Isabel) et officiels (l’inspecteur Farroux, flanqué de ses deux inspecteurs Pujol et Terrasson, clin d’œil d’ailleurs aux Brigades du Tigre). De la même façon, les personnages endossent leur rôle typique : les morts, les disparus, les témoins, les suspects. Les enquêtes se déroulent, pas à pas, menées à la manière de Sherlock Holmes (Isabel nomme ainsi Griffont dans l’Elixir d’oubli). On assiste également à toutes les scènes du genre (l’interrogatoire, la visite de la scène de crime…) et tous les éléments du métier (la fameuse commission rogatoire par exemple, ou les indices et autres pièces à conviction).

Les romans peuvent donc se lire ainsi, tiraillés entre l’enquête officielle de Farroux, gentil commissaire pas trop mauvais et le duo Griffont-Isabel, qui n’en fait qu’à sa tête et est souvent en dehors des clous.

Isabel/Arsène Lupin, woman cambrioleuse…

Isabel est mon personnage favori des romans. Maligne, intelligente, futée, libre, têtue, vive d’esprit, indépendante, aventurière, haute en couleurs… J’aime surtout la voir se transformer en Arsène Lupin. Elle adore se déguiser, se rendre invisible, fouiner sans se faire remarquer (empochant ici ou là quelques billets et bijoux). Elle est identifiée comme une cambrioleuse dans le récit (elle n’est d’ailleurs pas très amie des services de police pour cette raison).

Douée, elle sait aussi assurer ses arrières grâce à Auguste et Lucien, ses deux sbires chargés de la protéger (quoiqu’elle se protège toute seule plutôt bien Isabel, elle sait mettre une balle entre les deux yeux avec son pistolet rangé dans son sac à mains). Elle roule comme une chauffarde, sait prendre la poudre d’escampette avant de se faire pincer, et s’en sort toujours par de jolies pirouettes.

Elle est d’ailleurs une grande amie d’Arsène Lupin dans le livre. Comme lui, elle aime se travestir, se déguiser, changer de visage, porter un masque, se fondre dans le décor. Cela rajoute au côté théâtral dont on a parlé plus haut. C’est ça aussi, le Paris des Merveilles : un enchantement de l’histoire et de l’écriture.

Parce qu’il faut bien refermer le livre…

Parce que tout a une fin, il m’a fallu fermer ce livre merveilleux. Quel plaisir ça a été d’accompagner ces personnages malicieux pendant ces 4 semaines. J’ai volontairement pris mon temps pour savourer les lieux, l’écriture, la fraîcheur du récit. J’ai retrouvé un plaisir enfantin de lecture, complètement conquise par les personnages, suspendue au texte, secouée par les rebondissements… Le Paris des Merveilles, c’est une écriture pleine de merveilles et une lecture enchantée !

4 commentaires sur “Pierre Pevel – Le Paris des Merveilles

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  1. Hello ! ce livre me fait très envie depuis un moment. il faut vraiment que je me lance dans ce Paris des Merveilles.
    Bravo pour ta chronique riche et détaillée ! Ton enthousiasme fait envie. 🙂

    [j’aime beaucoup les musiques que tu choisis pour ton blog]

    1. Ah, je ne peux que te le conseiller en effet, cette œuvre porte bien son nom ! J’espère que tu aimeras !
      Et merci pour ta remarque sur les musiques ! J’avais quelques doutes car je sais que ça peut agacer aussi parfois la musique qui se met en route sur un site. Ca me fait plaisir que tu apprécies, merci beaucoup 🙂

  2. Bon… qui sait qui risque grandement de craquer si son chemin croise innocemment la superbe intégrale qui me fait déjà de l’oeil depuis longtemps? :p

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