Second roman de Sophie Griselle, Into the deep était de mon côté très attendu ! J’avais adoré son premier roman, Ezéchiel, qui figurait dans mon top 12 de l’année (si vous ne l’avez pas encore lu, filez donc !). Into the deep est paru chez Snag, et nous emmène au fond de la fosse Marianne, aux côtés d’un scientifique océanologue. Un changement total de registre, vraiment réussi. Une lecture pour le challenge #Avrilautourdelasf organisé par Céline Lecture sur son compte instagram. Je remercie infiniment Sophie et Snag pour l’envoi de ce roman en service de presse !
Synopsis
« À plus de onze mille mètres de fond, la fosse océanique des Mariannes, au large de l’océan Pacifique : l’endroit le plus profond sur Terre…
C’est là que Sam Luzarche, jeune océanologue, découvre une créature qui pourrait bien remettre en question tout ce qu’il croyait savoir sur la science, sur les fonds marins et, en définitive, sur lui-même ».
Au cœur de la science
Into…
Sophie Griselle explore ici des terres méconnues. On a plutôt l’habitude, en SFFF, d’explorer des univers imaginés de toutes pièces, ou bien de lever les yeux vers l’espace. Dans Into the deep, c’est vers le fond sous-marin que l’on tourne le regard. Et c’est véritablement un « into » : on va plonger avec les personnages dans les abysses pour explorer la fosse Marianne, véritable monstre à la gueule ouverte. J’ai adoré cette métaphore filée dans les premières pages.
On suit dans ce roman le personnage de Sam Luzarche, jeune océanologue fasciné par l’océan et les abysses. Il effectue plusieurs plongées dans la fosse, afin d’explorer ces fonds sous-marins peu connus. Et le lecteur va descendre avec lui, à chaque fois. Et forcément, c’est vertigineux.
La narration en « je » y est pour quelque chose, même si pour moi, comme à mon habitude, ça a plutôt eu l’effet inverse. En effet, j’ai eu du mal à définir le moment de la narration par rapport au récit. Parallèlement, la distance entre le narrateur et le narré me semblait assez floue, parfois même superposée, comme si Sam racontait en même temps ce qu’il lui arrivait. Ca a créé chez moi un recul qui ne m’a pas pleinement permis « d’y croire ». Mais je sais que cela ne gênera pas la plupart d’entre vous.
Une précision scientifique
Sophie Griselle détaille avec une précision scientifique extrême cet univers de recherche. Elle-même enseignante, chercheuse et doctorante, elle connait ce milieu, qu’elle nous dévoile sous toutes ses coutures. Identification des organismes de recherche, fonctionnement des financements, organisation de l’équipage, équipement des laboratoires, travail mené par les scientifiques (tests, répartition du travail…), précision technologique dans le matériel et les process décrits, élaboration d’une démarche scientifique… Précisons que Sophie Griselle est égyptologue, pas océanologue; et pourtant, son univers est à la fois crédible et vraisemblable. Et c’est tout à fait normal, car la démarche de recherche est la même, quelque soit le domaine étudié. Mais cette lecture nous fait prendre conscience du travail préparatoire absolument dingue que l’autrice a dû mener pour parvenir à cet effet de réalisme sensationnel.
Rien de ce qui est décrit ne semble farfelu, ni manquer de précision. Et rien dans ce roman ne subit de facilité scénaristique, ou de faille quelconque. L’immersion est donc absolument parfaite.
Un roman surprenant
Pas de Cthulhu
Je n’aurais pas déjà lu le précédent roman de l’autrice, j’aurais pu avoir un doute sur le roman. L’exploration sous-marine et les créatures abyssales… : j’aurais pu redouter la rencontre avec un Cthulhu, qui n’aurait pas eu ce nom mais au moins des traits similaires.
Mais comme je suis l’autrice, et que je commence à connaître un peu son univers et sa plume, je savais bien qu’elle allait nous surprendre. Et c’est effectivement ce qu’elle fait ici.
Nul Cthulhu, nulle bestiole horrible mettant en péril l’équipage, nulles péripéties abracadabrantesques. Non, ici, paradoxalement, c’est l’Homme le prédateur le plus redoutable. Et c’est d’ailleurs celui-ci, par le biais des différents personnages du roman, qui porte l’intrigue, et par lequel les rebondissements arrivent.
Quant à la créature… c’est difficile de vous en dire davantage sans trop en dévoiler. Simplement, sachez que cette créature amène des réflexions, des questionnements anthropologiques passionnants, interrogeant la nature même de l’Homme. Elle questionne les frontières entre les espèces.
Des personnages détestables…
Sur le seul plan de la personnalité et du caractère, je n’ai aimé aucun des personnages de ce roman. Je les ai tous trouvés détestables. Les Luzarche père et fils sont au sommet de l’échelle de la détestation. De même, Ophélie n’a pas provoqué chez moi beaucoup d’empathie non plus, à la manière dont elle s’accroche désespérément à Sam malgré la manière dont il la traite. Idem pour Adam, Mareve, ou encore les autres personnages de ces équipes scientifiques.
… mais porteurs de réflexions
Cependant, tous ces personnages m’ont semblé bienvenus, en tant qu’ils amènent, chacun d’entre eux, des questionnements particulièrement opportuns. Ophélie par exemple est un témoignage de la (faible) considération des femmes dans le milieu de la recherche et de la misogynie encore tenace.
Les Luzarche, puis Adam, un autre scientifique de l’équipe, génèrent par leur comportement des questionnements sur l’éthique scientifique. Jusqu’où la science peut-elle aller pour justifier le besoin de connaissance ? La science doit-elle avoir des limites, et si oui, lesquelles ? La quête du savoir peut-elle justifier tous les moyens ? Qui peut contrôler/valider des recherches ? Evidemment, ces réflexions ouvrent le débat sur d’autres sujets sur des plans différents : le bien-être animal, la relative indépendance de la recherche, la corruption existante…
Bref, Into the deep est surprenant sur toute la ligne. Il aborde des sujets également difficiles; à mon sens, c’est un roman pleinement adulte. Finalement, Into the deep nous invite à plonger dans les eaux du Pacifique mais surtout dans les consciences pas si tranquilles de tous ces individus.
SF, ou pas SF ?
Epineuse question, d’autant que je ne suis pas spécialiste du tout de ce genre. Je dirais SF quand même pour plusieurs raisons :
- Créature inconnue, mais explorée et considérée avec des moyens technologiques et scientifiques réels;
- Direction du roman vers une réalité qui n’est pas « encore » à notre portée (après tout, on ne connait quasiment rien des fonds marins, qui nous dit que ne résident pas sous nos pieds des créatures de ce style, remettant en cause nos connaissances actuelles du vivant ?).
- Une résolution de l’intrigue qui là encore ne peut pas être avérée en l’état actuel de nos connaissances;
- On est un peu dans le même schéma de la rencontre avec des E-T mais sous l’eau : confrontation de l’Homme à des créatures inconnues, colonisation des fonds marins…
Maintenant, si quelqu’un est calé en SF dans la salle, qu’il n’hésite pas à apporter son point de vue sur la question ! 🙂
En dehors de cela, j’ai décelé quelques touches de fantastique par-ci par-là, provenant notamment d’une confusion entre réel, rêve et un autre chose pas vraiment déterminé : télépathie ? Lecture de pensées ? Envoi de signaux ? Connexion quelconque ? En tout cas, n’ayant pas su déterminer avec précision cet « autre chose », qui de toute façon ne répond pas à des règles physiques connues, certains moments semblent vraiment se tenir sur le fil tendu entre réel et surnaturel, laissant flotter le doute.
Une double métamorphose
Double trame…
En fait, ce qui m’a le plus plu, c’est la construction du roman (vous ne serez pas surpris, j’imagine). Oui, j’ai aimé l’histoire et rencontrer cette créature fascinante, mais j’ai trouvé que la manière dont on l’approche est particulièrement intéressante.
En effet, il y a deux fils narratifs dans ce roman :
- La découverte de la créature, et son étude par une puis deux équipes de recherche. On et sur un terrain scientifique, dans un laboratoire, et l’on vit pleinement les travaux qui sont menés et les découvertes qui sont faites.
- La disparition de plusieurs centaines de personnes habitant l’île Blackney, à la fin des années 80. Ces événements ont obnubilé le père de Sam, qui a consacré sa vie à la résolution de ce mystère. Cet événement a eu des impacts sur la vie de Sam et en a encore au moment où il raconte son récit.
Je ne vais pas vous dévoiler grand chose en vous disant que ces deux trames sont liées, et qu’elles vont dialoguer ensemble pendant tout le roman. Je vous laisse découvrir comment, et ce qu’il en résulte. En tout cas, le récit est servi par des chapitres se terminant par des cliffhangers percutants, maintenant à la perfection le suspense. Mention spéciale à l’épilogue et particulièrement l’excipit, véritable point d’orgue de ce roman, qui m’a fascinée et glacée à la fois.
Double métamorphose
Dans un second temps, on assiste à un phénomène de métamorphose dans ce roman, intéressant aussi parce qu’il est double, et inversé.
En effet, au fur et à mesure que les découvertes se font par le biais des tests et analyses, la créature prend forme et vie. Non pas qu’elle n’existait pas avant, mais elle devient réelle, palpable, classifiable. Plus on apprend à la connaître, plus elle semble familière.
Inversement, plus la créature prend corps, plus Sam se perd et s’efface. La créature a été remontée des abysses, mais Sam y plonge lentement et sûrement, tout au long du récit. Son personnage se délite et perd peu à peu tous ses fondements.
J’ai beaucoup aimé cette dynamique, qui s’intègre pleinement dans la double trame narrative. Au risque de surinterpréter, j’ai trouvé qu’il y avait des mouvements de courants ascendants et descendants dans ce roman, que j’ai forcément trouvés super chouettes considérant la thématique du roman… !
En pratique
Sophie Griselle, Into the deep
Snag Fiction, avril 2021
Couverture et conception graphique : Guillaume Bertineau
Autres avis : Lena, qui ne regrette pas d’avoir succombé à l’appel de la mer et qui a passé un très bon moment de lecture
Into the deep est un roman de Sophie Griselle qui aborde de manière originale la thématique de l’exploration sous-marine. L’autrice a cousu un univers avec une précision et une justesse incroyables. C’est un roman surprenant, qui nous emmène a priori dans des chemins déjà visités mais en fait non : Sophie Griselle apporte une vision neuve, personnelle, entre réalisme et surnaturel, avec des personnages complexes et particuliers. Un beau roman qu’elle livre ici, et qui prouve le talent de l’autrice pour se réinventer et se renouveler. Nul doute que Sophie a encore beaucoup de choses en tête à nous raconter… Pour ma part, je serai de nouveau au rendez-vous.
Hello. Pour moi, le roman ne rentre pas dans le cadre de la SF. En effet, on utilise des moyens technologiques déjà connus même si on part « en mer inconnue » ce n’est pas tant l’exploration des fonds marins qui entre en jeu ici mais bien la rencontre avec une créature inconnue, un être qui ne peut pas et ne devrait pas exister réellement puisque seul les mythes et légendes en parlent. On est bien dans du fantastique pour moi avec l’irruption de deux phénomènes qui fascinent et terrifient à la fois : la disparition inexpliquée et simultanée de tous les habitants de l’île et la rencontre avec une créature fantastique qui ne devrait exister que dans les contes et légendes 🙂
Merci pour ton approche et tes éléments d’éclairage !
Toute la question est de savoir si effectivement elle n’appartient qu’au monde des contes, rêves et légendes ou si… Je suis tout à fait d’accord avec toi sur le fantastique, malgré tout je trouve que l’approche scientifique porte aussi sur cette créature qui pourrait tout à fait exister – déjà maintenant, ou plus tard… Mais je vois ce que tu veux dire, et c’est vrai que ça ne colle pas vraiment avec ce qu’on a l’habitude de mettre derrière l’étiquette SF.