Un UHL ramené des Utopiales ! (Un week-end fort bienvenu, bien rempli et jouissif, comme toujours – j’avais l’impression d’être en apnée depuis le mois d’août… Retrouvailles, rencontres, deux/trois conférences, et surtout blablatage chez Mme Spock !) J’avais une petite liste en tête, mais je m’en suis écartée, évidemment. Pour notamment acheter Kid Wolf et Kraken Boy, un récent UHL que toutes les personnes autour de moi me vantaient. Et il n’a pas traîné longtemps : je me faisais chier comme un rat mort dans Zéphyr, Alabama que je traînais depuis trois plombes, donc j’ai viré McCammon vite fait bien fait pour me plonger dans la boxe des années 20 aux USA pendant mon trajet retour. Et c’était vachement sympa, c’est vrai. Mais… 😀
4e de couverture
L’auteur de La Cité de l’orque nous emmène dans le New York juif de la fin des années 1920, dans un monde où les tatouages confèrent des pouvoirs magiques — tout est une question d’alchimie entre le tatoueur, le tatoué, le motif et le contexte. Et de l’alchimie, il va y en avoir entre Wolffe, jeune boxeur qui a la gnaque chevillée au corps, et Teitelstam, grande bringue qui a de l’or au bout des doigts…
Magie et boxe, un mariage improbable
Ambiance boxon fin années 20
Kid Wolf et Kraken Boy est une novella, avec un récit qui alterne les points de vue des deux personnages principaux. Cela signifie donc deux choses : pas le temps de se perdre en descriptions de décors et d’ambiance d’une part, et focalisation interne d’autre part, limitant le regard.
J’ai éprouvé quelques frustrations pendant la première moitié du texte, parce que je ne ressentais pas vraiment l’ambiance de l’époque. Il m’a fallu attendre de passer la moitié pour vraiment ressentir les lieux, l’époque, le cadre. L’auteur dépeint une atmosphère en faisant appel aux sens et à l’émotion. Un petit passage là, quelques lignes ici. Et ça suffit, finalement.
J’adorais le Lower East Side, où chaque bloc d’immeubles avait pour moi l’odeur du foyer. Les bagels dans l’eau bouillante, le pain au four, les harengs qu’on faisait fumer, les oignons en train de frire, le linge de sécher, et les élèves rabbins en sueur qui discutaient avec force gestes exubérants.
Le bruit nous atteignit bien avant que nous n’arrivions sur place. Des pieds qui tapaient, des mains qui applaudissaient, des sifflets qui résonnaient, des tambours qu’on martelait – et des slogans scandés. Des slogans puis des chants.
Après tout, on est dans une époque, une ville et une ambiance qui bougent très vite, donc c’est assez cohérent que le texte soit aussi agile et souple, accompagnant la gestuelle des personnages et la rapidité des événements. On a finalement en quelques phrases tout le contexte qu’il faut, et qui de toute façon se retrouve en lien avec le récit : Grande Dépression, mafia, mouvements sociaux vs syndicats surpuissants… Quelques phrases ici et là et le tableau est dépeint.
Magie magie
Et dans cette atmosphère poisseuse et dégueulasse, la magie montre le bout de son nez. La magie d’un art corporel et graphique, le tatouage. Qui est deux fois porteur de sens, parce qu’il contient la magie de ses signes tracés d’une part. Mais aussi parce que cette magie est amplifiée par le lien qui unit le tatoué et le tatoueur.
J’aurais aimé dire que j’ai été surprise par ce traitement, mais il n’était pas nouveau pour moi. En effet, Léa Silhol a largement traité cet art magique dans ses textes, Sacra, Musiques de la frontière et Hanami Sonata. Forcément, quand Kid Wolf et Kraken Boy fait intervenir un maître japonais, cela m’a fait sourire, puisque j’ai eu une sensation de déjà-vu. Et pour le coup, Léa Silhol me semble être allée beaucoup plus loin dans la signification du tatouage, dans sa puissance, dans ses sens et les possibilités qu’il offre (mais aussi les dangers qui lui sont liés).
Malgré tout, j’ai aimé retrouver cela ici, d’autant que ça apporte quelque chose de tactile, de visuel et de sensuel.
Mais parfois c’est trop facile
En revanche, bon. J’ai tout de même trouvé qu’il y avait de grosses facilités. Par exemple, le mec se fait tatouer et bim, il part sur le ring quasiment dans la foulée. Hum. J’ai beau être une sacrée chochotte, j’imagine mal comment c’est possible. On me répondra sûrement « ta gueule c’est magique ». Bon, soit.
Mais quand même. Le gars sort de nulle part mais gagne ses combats en n’étant franchement pas favori. D’ailleurs, il semble être cramé à certains moments. Mais non, parce que héhé, il a des tatouages magiques, et quand il y pense, il fait des merveilles. Et personne ne s’en rend compte. Tout le monde se dit : « roh ben ça alors, quand même, c’est fantastique, t’as vu ça ? ». Alors d’accord, la magie du tatouage n’est pas connue de tous. Mais elle n’est pas inconnue non plus; elle figure davantage dans le registre de la légende. Que personne ne se doit dit qu’il y avait baleine sous caillou dans le camp adverse m’a fait tiquer plus d’une fois.
Des persos réussis et loupés en même temps
C’est paradoxal, mais ce duo est à la fois ce que j’ai préféré et ce que j’ai trouvé le moins réussi.
Un amour brut et pur
J’ai aimé ce duo parce que la relation entre les deux hommes transmet beaucoup de choses : de l’authenticité, énormément d’émotion, de sincérité, et un amour dont on ressent la puissance. Cette confiance absolue qu’ils se vouent, qu’ils ont construite peu à peu, se retrouve dans les séances de tatouages et la force de ceux-ci. Il y a donc quelque chose de très brut et donc très pur dans ce duo. C’est vraiment très beau à lire.
Mais une alternance aussi chiante qu’un métronome
Mais d’un autre côté, je trouve que le texte de ce point de vue là est un peu faiblard. Je l’ai dit plus haut : le récit est une alternance des deux points de vue. Je regrette pour commencer l’alternance mécanique : jamais aucun déraillement dans ce duo réglé comme un métronome. Le dernier chapitre, certes, est un peu différent mais c’était attendu et reste classique. J’aurais aimé un bousculement dans l’alternance des chapitres, tout comme une longueur un peu plus libre des chapitres. Là, j’ai l’impression d’avoir une maquette textuelle hyper stricte dans laquelle on a essayé de couler l’histoire sans que rien ne dépasse. J’ai ressenti le texte comme un carcan, en tout cas manquant cruellement de cette liberté et de cette force qui caractérisent pourtant les deux protagonistes.
Et deux voix qui n’ont aucune personnalité propre
Enfin, grosse déception sur leurs voix. Qui sont sensiblement… les mêmes. On n’aurait pas eu les noms en tête de chapitres, on ne saurait pas dire, juste avec les mots, qui parle. Les deux narrateurs parlent exactement de la même manière. Ils racontent de la même façon, utilisent un même registre et un même vocabulaire. Et ils n’ont aucun tic de langage, aucune expression verbale qui leur soit propre.
Peut-être est-ce voulu, pour montrer à quel point ces deux personnages se superposent l’un dans l’autre, jusque dans leurs voix qui se confondent. Ça aurait du sens avec le final. L’ennui, c’est que le récit commence avec une certaine animosité ressentie, et qu’à aucun moment ensuite, le ton, le registre, l’émotion… n’évoluent. Et de ce fait, les deux voix ne se répondent pas vraiment, ni ne se complètent. Je n’ai pas ressenti l’alchimie entre les deux personnages sur le plan du style.
Un style que j’ai ainsi trouvé… très commun. Déception sur ce point-là, donc. Vous me direz sûrement que ce n’était pas le but du texte non plus. Oui, d’accord, mais j’aurais aimé un texte aussi fracassant que son contenu.
En pratique
Sam J. Miller, Kid Wolf and Kraken Boy (2022)
VF : Le Bélial’, 2024
Couverture : Aurélien Police
Traduction : Michel Pagel
Autres avis : Le Maki, qui a aimé ce récit visuel et tactile et qui dépeint avec brio l’ambivalence de la société américaine de l’époque ; super lecture pour Bob qui possiblement va mettre ce texte dans son top 5 des UHL ; Stéphanie a apprécié aussi ce texte de romantasy ^^ malgré les facilités scénaristiques qu’elle a soulevées également (ben oui, enfin, quand même !!). Fort belle histoire pour Célinedanaë et Yuyine; L’épaule d’Orion a aussi aimé ce texte malgré un final qui ne l’a pas convaincu.
Kid Wolf et Kraken Boy est un texte que j’ai aimé, malgré les points un peu plus faibles selon moi que j’ai relevés. Bon, c’est vrai que quand on lit mon retour, on peut avoir l’impression que je pinaille ou que j’ai pas aimé grand-chose. Mais si si. Je retiendrai surtout le duo des personnages et la peinture de cette société américaine à la fin des années 1920. Le récit, s’il n’est pas aussi approfondi sur le sujet des tatouages et des symboles que je l’aurais voulu, et s’il revêt un style assez commun, reste efficace. Et agréable à lire. Et très beau.
Je suis tout à fait d’accord pour la similitude des voix : je me perdais régulièrement dans les personnages tellement ils se ressemblaient.
Mais tout s’explique, enfin je ne dis rien… 😉
Un superbe texte que j’ai adoré et pourtant ce n’était aps gagné au départ !
C’est marrant, je n’ai pas du tout le même ressenti sur la similarité des voix, mais à chacun ses ressentis. C’est un très beau texte en tout cas. Je ne savais pas que Lea Silhol avait travaillé sur le sujet du tatouage magique, à aller checker !