Ce livre a une histoire, plusieurs même. Une histoire liée à son écriture, d’abord. Le crépuscule de Briareus est une œuvre anglaise, écrite en 1974, et parue aux éditions françaises Denoël en 1976. Ce n’est donc pas une nouveauté. En revanche, ce texte a connu une seconde histoire éditoriale grâce à la réédition modernisée et enrichie de la toute nouvelle maison Argyll. Premier texte publié : c’est un peu une profession de foi… Et j’avais très envie de cerner la position, les valeurs et les axes éditoriaux de cette maison. Enfin, je suis sortie ici de ma zone de confort, puisque je suis plutôt FF que SF. Je remercie ainsi chaleureusement Xavier Dollo pour l’envoi du roman en version numérique, et pour m’avoir ouvert de nouveaux horizons. Ce roman est ma première lecture du Spring Blossom Challenge 2021, dans la catégorie « Rendez-vous en Terre inconnue » (Auteur étranger).
Synopsis
« Les étoiles meurent aussi…
Suite à l’explosion de la supernova Briareus Delta, située à 132 années-lumière, la vie est complètement chamboulée sur Terre. Alors que se succèdent tempêtes et typhons, prémices d’une nouvelle ère glaciaire, l’humanité se découvre soudain stérile. Les unes après les autres, les sociétés humaines s’écroulent, victimes de dérives autoritaires autant que d’un effondrement philosophique… Car que faire dans un monde sans avenir, vidé du rire des enfants ?
Réfugiés dans le sud de l’Angleterre, Margaret et Calvin survivent tant bien que mal. Jusqu’au jour où ils découvrent une petite communauté isolée où vit Elizabeth, étrange jeune femme issue de la Génération du Crépuscule. Dans cet enfer blanc, vierge de tout espoir, serait-elle la clef de la survie ? »
Contexte de parution
Je dois vous avouer mon ignorance crasse en matière de SF et d’histoire de la SF. Mais, fort heureusement, ce monde merveilleux regorge de gens non seulement passionnés et instruits, mais qui en plus mettent leur savoir au service de tous (c’est beau). C’est notamment le cas d’Apophis (oui, encore), avec son Guide des genres et des sous-genres de l’imaginaire, puis de Xavier Dollo (et ce nom vous dit quelque chose car il est l’un des créateurs des présentes éditions Argyll) avec son histoire de la science-fiction en bande dessinée.
A gauche: Apophis, Guide des genres et des sous-genres de l’imaginaire, publié chez Albin Michel Imaginaire, en 2018 (téléchargeable gratuitement et légalement). A droite : Xavier Dollo, Djibril Morissette-Phan, Histoire de la science-fiction en bande dessinée, publiée aux éditions Critic & Humanoïdes Associés, fin 2020
Ces deux sources m’ont permis de situer Le crépuscule de Briareus dans une mouvance dite « new wave », ou nouvelle-vague (pour faire référence au courant de cinéma français de l’époque) développée dans les années 60. Cette SF, plutôt britannique, se construit contre tous les topoï de la SF traditionnelle (issue des pulps américains), à savoir des machines, des aventures et de la guerre, des personnages assez stéréotypés et genrés, avec un sens of wonder bien connu.
Cette SF nouvelle génération se veut plus qualitative en termes littéraires. Elle met davantage l’accent sur les sciences humaines et sociales (philosophie, écologie, éthique), et traite de thèmes contemporains (politique, sexualité…). Les personnages sont également beaucoup plus fins et complexes d’un point de vue psychologique.
Le crépuscule de Briareus dans la Nouvelle-Vague
Thématiques du roman
Le roman de Richard Cowper s’intègre parfaitement dans cette nouvelle vision de la SF. Le début du texte plonge directement le lecteur dans un cadre post-apocalyptique assez marqué, en 1998. Mais très vite, l’auteur nous embarque dans le passé. Calvin, le narrateur, raconte ce qui s’est passé entre 1983 (date à laquelle la lumière et les effets de l’explosion de la supernova, 150 ans auparavant, parviennent sur Terre) et le moment de la narration.
Le rythme devint assez tranquille, à l’image des mois et années qui ont suivi la catastrophe. Car ici, pas de destruction époustouflante et terrible, pas d’événements colossaux terrifiants. Survient plutôt une lente mais certaine dégénérescence de la Terre et de l’Humanité.
Le crépuscule de Briareus aborde alors des questions sociales, politiques, éthiques, et philosophiques. Par exemple, des réflexions très intéressantes sont menées sur les réactions et comportements individuels face à la menace. On parle d’instinct de survie, du soi avant tout, du ballet des experts scientifiques (très actuel), puis du déni et de la croyance perpétuelle qu’on « s’en sortira bien de toute façon », persuadé que l’humanité ne peut pas ne pas être. Et j’ai beaucoup apprécié aussi le traitement de la réaction étatique : « à situation désespérée solution désespérée ». Le texte dénonce ici clairement les positions anti-éthiques et totalitaires qu’est prêt à prendre un Etat, pourtant de droit, en dernier ressort, « pour le bien commun ».
Le crépuscule de Briareus aujourd’hui
En cela, je trouve que ce texte a gardé son côté actuel. Il n’a pas vieilli dans les thèmes qu’il aborde. J’ai apprécié le réalisme de ce récit post-apocalyptique. Point de vagues déferlantes, point de furieux scénario catastrophe, point de cram-boum partout . Juste une longue agonie de la planète et de l’Humanité, ce qui me semble plus probable qu’une météorite s’écrasant sur Terre. En cela, c’est une dystopie assez glaçante, à mon sens.
Il faut également saluer le travail éditorial autour de ce texte, offrant une traduction modernisée (Pierre-Paul Durastanti, sur la base du travail qu’avait mené Claude Saunier pour l’édition de 76). Le livre se pare d’une belle couverture beaucoup plus frappante (signée Xavier Collette). Enfin, il est accompagné d’un certain nombre d’annexes (interviews, articles et focus sur l’auteur). Cela permet de mettre le texte et son contexte de création en perspective.
Le récit interne
SF ou pas SF ?
SF, résolument. Déjà parce qu’on est dans un récit post-apocalyptique, du fait d’un événement astronomique, qui est raconté et décrit. Il en résulte un univers uchronique et dystopique dans lequel évoluent les personnages. L’Angleterre décrite est bien différente de celle que l’on connait, et étrange, désertée et ensevelie sous des mètres de neige… L’auteur saupoudre également son récit d’éléments de hard SF, notamment pour ébaucher des pistes d’explication scientifique et génétique de la stérilité des femmes. Finalement, Richard Cowper brouille habilement les pistes. En effet, il ajoute à tout ceci des éléments qui revêtent un aspect plus ésotérique ou religieux. C’est par exemple le cas de la mention des « Autres » (d’éventuels Briaréens), les visions développées par des personnages nommés les « Zêtas », ou encore le dialogue télépathique entre eux.
Une réutilisation de procédés romanesques traditionnels
J’ai beaucoup apprécié l’écriture, fluide, ironique parfois. Elle est patiente, posée, racontant avec flegme les événements. Je n’avais pas lu la première édition du texte, mais je pense que la traduction modernisée y est pour quelque chose. Le texte m’a portée pendant toute la première partie. Celle-ci fonctionne d’ailleurs comme un récit emboîté. Calvin y raconte la suite des événements qui se sont déroulés entre le début de la catastrophe et le moment actuel de la narration.
La pratique du récit emboîté, l’intégration postérieure de feuillets de Calvin, rassemblés et annotés par un éditeur fictif, la postface de celui-ci complétant le récit (avec du coup alternance de point de vue) … constituent autant de procédés romanesques largement utilisés lors de l’âge d’or du roman pour crédibiliser le genre. L’illusion fonctionne très bien ici, sur ce type de récit SF post-apo ça colle parfaitement. Cela donne au texte le même aspect (faussement) décousu que la réalité décrite.
Pauvre brebis égarée…
En revanche, c’est avec le passage du récit en mode journal que le récit m’a perdue. Les « feuillets retrouvés » de Calvin démarrent en 1999, soit un an après son arrivée avec Margaret dans la cabane où vivent Elizabeth et Tony. Calvin décrit la vie en communauté dans ce petit espace. J’ai littéralement étouffé dans ce huis-clos, sensation renforcée par des écrits quotidiens assez succincts et factuels. D’autre part, je n’ai à mon avis pas saisi tous les enjeux qui se tramaient entre ces personnages. Le ballet que ces quatre personnages reclus mènent sous ce toit m’est passé complètement au-dessus.
Calvin s’enfonce enfin dans ses réflexions sur sa nature de diplomutant (un mix entre un Briaréen et un Humain : « nouveau venu par la raison, être humain par les émotions »). Dans le même temps il semble se nouer des enjeux plus larges. En effet, la suite des événements planétaires semble directement découler de ce qui s’est produit dans cette cabane. Si je vois le lien, je ne suis cependant pas parvenue à le comprendre, entrant là dans quelque chose de trop spirituel ou métaphysique pour moi.
Néanmoins, ça n’a pas vraiment atténué le plaisir de ma lecture, même si je me suis un peu ennuyée sur la fin. Mais j’ai souvent l’habitude de ne pas toujours tout comprendre du premier coup avec ce genre littéraire. Je le relirai, à l’occasion, plus tard, avec un nouveau regard. Je pense que Le crépuscule de Briareus est un texte qui peut tout à fait supporter plusieurs lectures et apporter de nouveaux éclairages sur des questions et réflexions contemporaines.
D’autres éclairages
- Un compte rendu sur le blog de Docteur fatale ausculte l’imaginaire, avec un élargissement vers d’autres œuvres sur sujet similaire
- A ma connaissance, la première chronique de ce texte réédité figure sur le blog de Syndrome Quickson, et est très complète
Le crépuscule de Briareus par Richard Cowper est le premier texte publié des nouvelles éditions Argyll. Ce texte bien singulier m’a donné un aperçu de l’immensité des champs que peut recouvrir la SF. J’en lis peu, par peur de ne rien en comprendre, toutefois j’ai apprécié cette lecture, même si je ne pense pas avoir tout saisi. J’ai beaucoup aimé la construction romanesque et l’écriture, évidemment, c’est ce qui me parle le plus dans un livre. Mais les thématiques abordées, et la façon dont elles le sont, sont particulièrement intéressantes, et je dirais même glaçantes. C’est toujours assez terrifiant de lire une dystopie, et de se dire, à un moment, qu’il suffirait de pas grand-chose pour connaître les mêmes dérives, les mêmes comportements, les mêmes menaces. La frontière entre l’imaginaire et la réalité est si fine… C’est ce qui fait que ce texte, à mon sens, est très contemporain, actuel, et qu’il peut encore être lu et analysé sous d’autres angles, tant il révèlera d’autres choses sur lesquelles réfléchir.
J’ai plein de titres de SF à te faire découvrir! Et tu verras ils sont vraiment faciles d’accès 🙂
Ce titre me donne vraiment envie même si je craignais un côté un peu « daté » évident. Mais les premiers avis sont rassurants.
Oh oui, je veux bien des titres de SF abordables ^^ parce que mon niveau dans ce genre est piteux ! Et je suis assez difficile, car j’ai du mal avec les dystopies trop réalistes, ça me met le moral dans les chaussettes. Je m’étais donné comme objectif de lire Dune et Asimov cette année, Dan Simmons aussi, mais je ne cesse de reculer le début de ces lectures. Je ne suis pas persuadée que ce soit le bon choix en plus de commencer la SF avec ça.
Quant à ce titre, non, justement je ne l’ai pas trouvé daté. Il bénéficie d’une fraîcheur certaine, du fait des réflexions qui y sont abordées, et aussi de l’écriture, légère et agréable. Je pense que ça pourrait te plaire, et ton avis m’intéresserait bien d’ailleurs sur le mélange SF-trucs un peu plus ésotériques/métaphysiques.