Manon Segur – Le cloître des vanités

Premier roman de Manon Segur, Le cloître des vanités vient de paraître en format ebook aux éditions Crin de chimère, dans la collection Archelune. L’édition en papier, magnifiquement illustrée par Marcela Bolivar, est déjà disponible en précommande et sortira dans les librairies en mai. Je remercie chaleureusement Hélène des éditions Crin de chimère pour l’envoi du roman en ebook. C’était là ma première incursion dans le catalogue de la maison, et c’était une expérience de lecture à la fois singulière et plutôt réussie. J’ai lu ce roman dans le cadre du Spring Blossom Challenge (catégorie « A bord du Tardis » : roman se déroulant dans une autre époque).

Synopsis

«1231, Occitanie…
Cela fait plus de mille ans que le cloître des vanités attire des âmes gangrenées par le désir et le désespoir. Sernin le bâtisseur, démon à la fois cruel et raffiné, règne en maître dans cette cour ensorcelée. Il a façonné Albeyrac, la fière cité Languedocienne entourant son piège et goûte à présent une retraite bien méritée mêlée de torture, de meurtres et de dégustation de souvenirs volés…
Hélas, l’arrivée d’un groupe de prêcheurs Albigeois va tout changer à proximité de son garde-manger. Les Parfaits et Parfaites de la secte cathare risquent de lui saccager son arme favorite par leur foi. Les pouvoirs du démon s’affaiblissent à leur approche, l’empêchant de se débarrasser d’eux par voie directe. Pour ne rien arranger, une des croyantes commence à attirer son attention d’une manière encore inédite, étrangement douloureuse… ».

Une expérience de lecture

Ma rencontre avec Le cloître des vanités

Avant de commencer à vous parler du roman, il faut que j’évoque ma rencontre avec lui. Celle-ci s’est faite assez tôt, notamment avec la publication par l’autrice sur ses réseaux de photos de lieux qui l’ont inspirée. Démarche intéressante, une manière pour les lecteurs de rentrer dans les lieux, de se les approprier, de les imaginer.

Evidemment, est venue l’heure du « cover reveal », événement marketing bien connu des maisons d’édition pour maintenir le suspense et attiser la curiosité. Je dois dire que celle-ci est particulièrement réussie. Elle est signée Marcela Bolivar, et je vous reparlerai de cette artiste très vite, car c’est elle qui a réalisé les couvertures de Meredith (Morgane Stankiewiez) et Vert-de-lierre (Louise le Bars), tous deux édités aux éditions Noir d’Absinthe (et dont je vous parlerai très bientôt !).

Le cloître des vanités n’étant pas encore paru en papier, j’ai donc lu le texte en version ebook. Quelle n’a pas été ma surprise de découvrir, en préalable de la lecture, un conseil musical ! Une playlist Spotify a été créée pour l’occasion et est proposée en lecture libre sur la plateforme. Lire en musique, oui, je fais, d’ailleurs le fond musical de ce blog l’atteste. En revanche, lire avec la musique conseillée par l’auteur, ça je n’avais encore jamais fait.

Qu’est ce que ça change ?

Et bien tout. D’une part, l’immersion est totale. Le roman ne fait plus que se lire, il se voit et s’écoute. C’est une expérience sensorielle pleine et entière. Evidemment, j’ai particulièrement aimé les morceaux, qui posent magnifiquement l’ambiance du texte.

Mais surtout, cela ouvre une réflexion d’ampleur sur le rapport qu’entretient le lecteur avec l’œuvre qu’il tient entre les mains. Car jusque-là, le lecteur lisait un livre, l’appréciait ou pas, tentant, parfois vainement, de saisir ce que l’auteur voulait en dire. On a souvent dit aussi qu’une œuvre était comme le bébé d’un auteur, et qu’elle vivait une autre vie dans les mains des lecteurs. Elle changeait alors de forme, de sens, selon la façon dont elle était reçue, interprétée, appréciée, jugée.

Au-delà de la seule promesse d’une lecture agréable et immersive, il y a ici un changement de paradigme complet qui ouvre des réflexions très intéressantes sur l’acte de lecture. Il n’est plus seulement donné à lire un roman, mais le roman tel que l’a imaginé et pensé l’auteur.

Certains pourraient estimer que cela bride la lecture et l’imagination du lecteur. Libre à chacun alors de s’affranchir de ces conseils. Pour ma part, j’ai les ai suivis, et ça a été une expérience de lecture très différente. J’ai eu l’impression de me rapprocher de l’autrice et de son esprit créateur. C’est un peu comme remonter le temps et revenir à la genèse du texte : voir se constituer l’ambiance que l’auteur souhaite créer, imaginer la façon dont il travaille.

Exemple d’aesthetic créé par l’autrice pour illustrer son roman et ses inspirations, sur son compte instagram. ©Manon Segur

Le cloître des vanités : une ambiance

Un arrière-plan historique intégré à l’intrigue

Vous l’aurez compris, le gros point fort de ce roman c’est évidemment son ambiance. Originale, pour commencer.

Nous sommes ici en plein cœur d’un conflit religieux, opposant les Cathares à l’Eglise romaine. Evidemment, il a fallu que je révise, puisque je suis assez nulle en histoire (au grand dam de ma Maman qui, en lisant ces lignes lèvera les yeux aux plafond, désespérée). Les Cathares (autrement nommés « Albigeois » ou encore « Parfaits ») sont les membres de cette secte religieuse opposée au dogme catholique. Venus d’Albi principalement, ces Parfaits défendaient une religion plus « pure », plus authentique, revenant aux sources d’une Eglise primitive. Protégés un temps par les seigneurs féodaux de la région, ils ont fait l’objet d’une véritable croisade menée par la Couronne française, associée aux pratiques de l’Inquisition. Cette répression était aussi politique, puisqu’il était question en même temps, pour la Couronne de France, de faire rentrer dans son giron ces terres occitanes.

L’arrière-plan historique est ainsi bien implanté dans le récit. Le texte intègre d’ailleurs des événements qui ont vraiment eu lieu. C’est par exemple le cas du massacre des Cathares sur le bûcher lors de leur capitulation au pied de Montsegur, en 1244. Cet arrière-plan donne du corps à l’intrigue, qui en est inextricablement liée. J’ai trouvé le mélange imaginaire-historique bien dosé ici : on n’est pas dans une révision de l’Histoire, ce que je n’aurais pas apprécié du tout. D’autre part, l’imaginaire reste à sa place : circonscrit à l’intrigue autour des personnages principaux, et limité dans l’espace. L’ensemble fonctionne bien.

Un décor gothique

Nous voilà donc au pied de la nouvelle cathédrale construite et consacrée d’Albeyrac. L’autrice déploie alors tout un vocabulaire architectural spécifique, sans pour autant alourdir le texte de termes techniques. C’est savamment dosé, et on se représente très bien les lieux. Décor pleinement gothique : nous sommes ici à l’avènement de cet art dans l’architecture. On imagine parfaitement les arcs boutants, les voûtes nervurées, les hauteurs de plafond peints et colorés, les vitraux portés par des ouvertures en ogive. La musique parfait ce décor.

Décor gothique aussi par l’atmosphère créée. On est dans un huis clos quasiment tout au long du récit : le cloître, ce jardin clos avec son puits, la cathédrale, le scriptorium. Mais ce ne sont pas non plus les lieux les plus doux, les plus lumineux, les plus heureux, malgré les apparences. Le jardin attire les pêcheurs, les enlace dans des illusions créées par Sernin, et les enferme à jamais dans les sous-sols humides, glacials et terrifiants du cloître. Terreur, mais aussi tristesse, mélancolie, autant de sentiments dont se nourrit Sernin et qui règnent ici.

La figure du démon, en la personne de Sernin, les souffrances physiques et psychiques qu’il inflige à ses victimes, puis l’état mélancolique de Sernin ensuite sont autant de thèmes du roman gothique. Parfois, quelques touches fantastiques complètent le décor, maintenant l’instant de doute et d’hésitation des personnages, entre le réel et le surnaturel, le vrai et l’illusion.

Une intrigue entraînante

Des personnages manquant de finesse

Qu’on se le dise, Le cloître des vanités est un très bon premier roman. Mais, il n’est pas parfait. Il souffre de quelques imperfections au niveau des personnages. J’ai trouvé qu’ils manquaient de consistance et de crédibilité, parfois.

Sernin , d’abord. Si je l’ai trouvé parfait en démon, j’ai eu plus de mal à suivre sa métamorphose vers l’Humanité. J’ai trouvé que ça manquait d’épaisseur, de longueur. Le changement de Sernin se fait assez rapidement, j’aurais aimé ressentir davantage de complexité dans son esprit, le voir torturé par la tension qui le déchire. J’aurais aimé que cet entre-deux dure plus longtemps. Il me semble que son personnage perd en couleur au fur et à mesure du texte, conséquence directe du mal qui le ronge : c’est tout à fait cohérent, mais du coup, il devient beaucoup moins truculent.

J’ai aussi eu du mal à suivre Hermine. Je la trouve particulièrement loquace et fière pour une pauvre brebis égarée soumise à la torture et à la promesse de l’Enfer. Par ailleurs, sa métamorphose ne m’a pas non plus paru crédible, trop rapidement menée. Enfin, le développement du personnage m’a semblé trop en rupture par rapport à ce qui est présenté d’elle au début. Il manque quelques rouages pour comprendre cette transition et y adhérer. Seule Agnès, la Parfaite, me semble vraiment parfaitement (ahah) dessinée, stable et permanente dans son comportement.

Il en résulte alors quelques dialogues qui peuvent se révéler assez plats, voire saugrenus et improbables (je pense notamment à Sernin et Hermine qui se taillent une bavette au sujet des pratiques du démon, quand Hermine est dans son bain).

Une intrigue qui tient la route

Certes, certains personnages évoluent un peu trop facilement et rapidement à mon goût. Mais les rapports qu’ils entretiennent sortent des sentiers battus. On est loin ici de la romance traditionnelle. D’ailleurs sur ce point le roman est très surprenant, car il prend des chemins de traverse intéressants. De ce fait, la romance est ténue, appliquée touches par touches, jamais frontale, jamais évidente ni directe. Le terme « romance » ne me semble d’ailleurs pas être le terme le plus adéquat pour ce roman (et ça me va très bien comme ça). Malgré des personnages un peu faibles parfois, la tournure inattendue de l’intrigue m’a agréablement surprise.

J’ai également apprécié l’inclusion petit à petit de l’intrigue principale dans un cadre plus large et historique. On sort ainsi du huis-clos, et le roman ouvre des horizons intéressants. Encore une fois ici, quelques détails ne m’ont pas totalement convaincue (notamment le personnage d’Hermine et son caractère). Cependant, mes attentes se situaient plutôt sur le duo Sernin-Agnès, et de ce côté-là je n’ai pas été déçue.

Une narration assez plaisante

C’est toujours difficile de rester dans le roman quand les personnages souffrent de quelques faiblesses. En revanche, l’écriture, l’ambiance et l’intrigue bien ficelée et surprenante m’ont toujours maintenue pleinement dans ma lecture.

Les passages descriptifs sont de très grande qualité et passionnants, créant des scènes visuelles et vivantes. J’aurais cependant apprécié des dialogues un peu plus « d’époque ». On aurait pu s’attendre à des tournures davantage travaillées en ce sens (sans évidemment aller jusqu’au vieux français). Disons qu’une ou deux expressions et tics de langage sont très contemporains, et m’ont fait sourciller (mais là je chipote).

De même, il n’y a quasiment pas de coquilles dans le texte. Je n’ai pas repéré non plus de fautes d’orthographe (C’est assez rare pour le souligner…). L’écriture est fluide et agréable à lire. On y ressent une personnalité bien marquée. La qualité de la langue, mis à part les quelques points mentionnés ci-dessus, est très soignée. Elle offre un niveau de vocabulaire étendu. Des petits détails démontrent le soin apporté au texte et au récit, comme les chapitres, qui portent tous un nom commun commençant par P (comme les Parfaits). Enfin, je pense que la version en papier sera particulièrement plaisante à lire, du fait de la mise en valeur graphique du texte. De ce fait, tous ces éléments parviennent à faire oublier les imperfections et à maintenir l’intérêt pour le texte, que j’ai lu avec plaisir et intérêt.

Premier roman de Manon Segur, Le cloître des vanités me semble être une œuvre très personnelle. Certes, quelques aspects m’ont paru incohérents mais ils sont perfectibles, d’autant qu’ils peuvent être ressentis différemment par d’autres lecteurs. De plus, l’autrice parvient toujours, habilement, à maintenir l’intérêt du lecteur. Que ce soit par la qualité de sa plume et de la langue, par l’ambiance qu’elle dessine et par la surprise qu’elle parvient à créer dans l’intrigue, Manon Segur offre là un roman agréable à lire, prenant et original. J’ai particulièrement aimé le cadre de ce récit, inattendu, et qui dose savamment Histoire et imaginaire. Enfin, Manon Segur propose une expérience de lecture tout à fait inédite, que j’ai beaucoup aimée. C’était une première rencontre pour moi à double titre : avec l’autrice, et avec la maison d’édition Crin de Chimère. J’ai passé un bon moment de lecture, et j’aurai plaisir à suivre les parutions de Manon Segur et les prochaines publications de la maison d’édition.

6 commentaires sur “Manon Segur – Le cloître des vanités

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  1. Pour ce qui est de la lecture en musique conseillée par les auteurices, j’ai pu faire l’expérience mais essentiellement sur des thrillers (Maud Mayeras – Reflex ou Maxime Chattam – Le sang du temps par exemple) et j’ai toujours trouvé ça génial. Je n’arrive pas à trouver la bonne musique avec mes lectures sans conseil ^^

    1. oh oui, avec des thrillers ça doit être encore plus marquant !
      c’est vrai que ce n’est pas toujours évident de lire en musique sans conseil, surtout que quand on commence un livre, on n’a pas forcément déjà une idée de l’ambiance qui y règne…

  2. C’est assez marrant, je n’ai pas ressenti les personnages comme toi. Bien au contraire, j’ai trouvé Sernin torturé rien qu’à l’idée que la lumière entre dans son Cloître et modifie la donne, ensuite pour Hermine, je l’ai trouvée égale à elle-même, un peu revencharde, arrogante mais plus forte de ses expériences et elle a su voir dès le début ce que pouvait cacher la psyché de Sernin ^^

    Chaque lecteur voit véritablement les choses de manière différente et je trouve ça vraiment sympa ☺️

    Et oui pour la musique (je n’en parle pas dans ma chronique) c’est un parfait accompagnement.

    1. Oui, tu as raison ! je pense que la perception des personnages dépend de nos goûts et aussi de notre personnalité, de nos habitudes de lecture… On y voit ce qu’on veut bien voir (ou pas). La façon dont on considère les personnages pourrait peut-être révéler une partie de notre personne 😉 Toi, tu sembles avoir perçu bcp plus de psychologie dans ces personnages que moi par exemple 🙂 c’est très intéressant ton point de vue d’ailleurs !

  3. Ce roman me tente beaucoup (les couvertures de Marcela <3) , mais au vu du résumé, il me semblait trop axé historique. Comme tu as l'air de dire que ce côté "histoire" n'est pas trop prenant dans le récit, je craquerai probablement un de ces jours 😀

    1. Non en effet, je trouve que ce roman est bien équilibré, l’arrière-plan historique est là et sert bien l’intrigue, mais clairement on n’est pas dans le pur roman historique. J’ai d’ailleurs dû compléter ma lecture avec quelques bribes historiques parce que je ne connaissais rien à l’histoire des cathares. Cela dit, cette méconnaissance ne m’a pas empêché de comprendre ni d’apprécier le roman. Tu peux craquer, c’est un beau livre papier, et pas cher du tout en plus 🙂

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