Premières lignes #10 : Les chats des neiges ne sont plus blancs en hiver

Bonjour tout le monde ! Après quelques épisodes dans lesquels je vous ai présenté les premières lignes de bouquins que je n’avais pas encore lus, j’ai choisi ce matin un titre que j’avais beaucoup aimé. Il s’agit du roman de Noémie Wiorek paru aux éditions HSN en 2020 : Les chats des neiges ne sont plus blancs en hiver. Une de mes meilleures lectures de 2021 ! Voici un peu de fraîcheur pour ces premières lignes #10 !

4ème de couverture

 » Morz est la terre la plus au Nord du monde. Des siècles plus tôt, la neige a cessé de tomber et la glace a fondu, devenue une boue informe et immonde.

Il y a une ombre dans l’Est de Morz ; celle de Noir, un esprit maléfique prêt à tout pour provoquer la ruine du royaume. Sur ses talons court le Second, un guerrier prodigieux, plus cruel et féroce que tous les séides gravitant autour d’eux.

Il y a un enfant sur le trône de Morz : on attend de lui la ferveur de ses ancêtres pour maintenir le royaume dans la Lumière. Mais le prince Jaroslav doute de sa place, de son pouvoir et ne souhaite qu’une seule chose : vivre en paix.

Et dans le Nord, près des montagnes, ourdissent les sorcières, vengeresses, dévorées par le rêve incertain de refaire un jour tomber la neige sur leur monde déchu ».

Premières lignes #10 : Les chats des neiges ne sont plus blancs en hiver

La dernière frontière du monde n’est qu’une immense plaque de glace grise, silencieuse, où poussent des plantes dures comme la pierre. Le vent siffle près de la neige, l’épousant au cœur de falaises abruptes, lèche le lichen et les mousses sur les roches, torture les arbres rachitiques, arrache leur chaleur aux autres créatures si péniblement dressées dans l’immensité immaculée. Liberté et cruauté, les devises du nord, frappées dans le cœur de tous les êtres y survivant. Dans ce royaume où la férocité est reine, les ours foulent la neige sans crainte, monarques des terres mortes. Leurs gueules dégoulinent du sang des proies fraîchement éventrées, et ils promènent, goguenards, leurs yeux le long d’une ligne d’horizon qu’un soleil pâle parvient à peine à faire rougeoyer. L’astre n’arrache aucune larme à la neige éternelle. Souverains aux rares ennemis – comme ces humains aux méthodes tranchantes mais aux cous très mous –, ils n’ignorent en rien leur allégeance véritable au cruel Hiver. Avoir froid, c’est vivre. Se laisser aller au blanc sommeil, c’est mourir. Les ours retournent chasser d’un pas souple. Rien ne changera jamais.

///

Pourtant, cela tomba sur la terre, craché par un ciel sans soleil au milieu des flocons. Ils percèrent les nuages si gris avec la légèreté de plumes arrachées. Personne ne les vit. Les ours ne levèrent jamais le cou. Les chouettes auraient cligné leurs paupières, cependant, elles ne l’auraient fait qu’avec leur inébranlable indifférence. Lourdes, trop lourdes, les masses blanches s’écrasèrent dans un fracas de chair et d’os qui fit trembler jusqu’aux épines des sapins, tristes témoins muets de leur déchéance. Leur rugissement de douleur fit un instant flancher le vent, devenu muet. Un silence consterné, dégoûté, s’éleva alors, de la part des harfangs, des renards. Des choses venaient de pénétrer sur leur territoire. Ce n’étaient pas des flocons. Ce n’étaient pas des oiseaux. Leur sang souillait le sol, gelait avant même d’avoir tiédi. Le peuple du Nord songeait déjà à les manger, à s’abreuver de leur fluide vital. Toutefois, l’hiver les dévorerait bien avant eux : ils n’obtiendraient que des miettes de chaleur. Cela suffirait. C’était ainsi. Les êtres ouvrirent de grands yeux bleus, pour les écarquiller avec hébétude. Blanc, blanc, du blanc partout ; sous leurs pattes, sur leurs pattes, dans leur chair. Qu’était-ce que ce blanc ? Ils reniflaient de leurs mufles roses, perdus. Le blanc était froid, si froid ; la poudreuse cueillait leur chaleur avec douleur. Leurs os brisés s’agitaient à chaque expiration dans leurs énormes carcasses pâles ; ils ne parvenaient pas à tourner la tête pour chercher le ciel. Leurs griffes n’éraflèrent pas la plus fine croûte de glace, ne supportèrent leurs corps meurtris par la chute. Cloués, ils découvraient la lourdeur, ils découvraient la lenteur, la froideur, la mort au sol. Leurs ailes recouvertes de fourrure ne battaient plus. Rapidement, le premier ne respira plus, la gueule ouverte sur un râle silencieux. L’autre pleurait. Et les nuages se refermèrent, impassibles, laissant de nouveau la terre dans la pénombre la plus froide, qui pénétrait jusque dans leurs plaies. Les yeux plissés, les harfangs attendaient encore un peu avant de percer leur chair. Ce n’était qu’une question de temps, et il ne resterait d’eux que le bruit assourdissant de leur chute. Ils n’étaient pas des oiseaux, et pourtant mourraient oisillons.

Les chats des neiges… : quelques réflexions

Un premier prologue…

J’ai partagé ici le premier prologue; car le roman en contient deux. Espacés d’un demi-millénaire dans le récit. Particulier, déjà. Attendez-vous donc à trouver, logiquement, deux épilogues. Cela veut dire, d’une certaine manière, qu’il y a plusieurs niveaux de récits imbriqués. Une structuration assez complexe donc, qui va de pair avec une histoire du même acabit.

Un incipit repoussant et magnétique à la fois

Je disais, dans ma chronique, que le roman cassait les codes du roman traditionnel, notamment sur le plan de l’intrigue et des personnages. On sent déjà, à la lecture de ce premier prologue, qu’on est dans quelque chose d’assez différent. En effet, il a un effet autant repoussoir que magnétique. J’aime d’ailleurs beaucoup la manière dont le style reflète la lenteur, la lourdeur et la froideur du récit. L’autrice joue ainsi sur la longueur des paragraphes, les répétitions, le champ lexical et la succession de phrases sans liens logiques ni connecteurs.

D’autant que ce qui est raconté ne respire pas la joie de vivre. Cela peut être rédhibitoire pour certaines personnes. Mais en ce qui me concerne, je suis complètement séduite par ce style et la peinture des lieux. Des lieux hostiles, où l’humain n’a rien à y faire. Et rien ne fait rêver, ici. C’est minéral, froid, viscéral, tranchant et brut. On pressent aussi que ce blanc ne va pas rester immaculé très longtemps.

Une expérience à part entière

Alors oui, cet incipit peut paraître difficile à avaler et à surmonter. On peut même se demander comment lire ça sur près de 400 pages… Car Les chats des neiges… est un texte exigeant. Pour ma part, j’ai été charmée par la plume qui m’a conquise et j’ai ainsi pu entrer pleinement dans le texte et approcher de très près le duo Noir-Second, à l’image de cet incipit. A la fois repoussant et magnétique, lourd et vif ; que l’on pense saisir enfin, mais qui s’avère fuyant et incompréhensible. Un univers tout en contrastes qui se révèle ici. Mais qui ne se livre certes pas facilement… !

Premières lignes #10 : en pratique

Noémie Wiorek, Les chats des neiges ne sont plus blancs en hiver

Editions HSN, 2020

Couverture : François-Xavier Pavion

Un rendez-vous bloguesque partagé

Ce rendez-vous est suivi par pas mal de blogueurs et blogueuses :

Lady Butterfly & CoCœur d’encreLadiescolocblogÀ vos crimesJu lit les motsVoyages de KLes paravers de Millina4e de couvertureLes livres de RoseMa lecturothèqueMots et pelotesMiss Biblio Addict !!La magie des livresElo Dit.

N’hésitez pas à me dire si vous participez aussi à ce rendez-vous dominical, je pourrai ainsi actualiser la liste !

Alors, qu’avez-vous pensé de ces premières lignes ? Je me souviens que vous étiez plusieurs, en commentaire de la chronique, à m’avoir dit vouloir le lire. Est-ce que c’est chose faite ? Alors, le roman vous a t-il plu, ou pas ? Si non, est-ce que ces premières lignes #10 vous ont donné envie de vous plonger dans l’univers blanc-gris-noir du roman ? Cet incipit est très particulier, mais est-ce que vous êtes aussi captivé que moi à sa lecture, ou au contraire cela vous fait-il fuir ? J’espère vous avoir donné envie de découvrir ce roman que j’ai adoré, le duo Noir-Second est tellement magique... Je vous souhaite un bon dimanche de de très bonnes lectures !

3 commentaires sur “Premières lignes #10 : Les chats des neiges ne sont plus blancs en hiver

Ajouter un commentaire

  1. Les épilogues sont la partie que je préfère dans ce roman qui m’a un peu lassée. Surtout quand j’ai compris bien avant la révélation, qui était réellement Noir.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Fièrement propulsé par WordPress | Thème : Baskerville 2 par Anders Noren.

Retour en haut ↑