Pierre Léauté – The 8 List – #PLIB2023

Après plusieurs lectures toutes bienveillantes, le besoin de cynisme se faisait sentir. The 8 List, 8ème roman de Pierre Léauté et dernière nouveauté de HSN, semblait répondre parfaitement à ce besoin. Une incartade à ma PàL du Pumpkin Autumn Challenge, mais parfois s’écarter de la ligne droite est fort plaisant. Et j’avais d’autant plus hâte de lire ce titre que je l’ai intégré dans mes 80 présélectionnés du PLIB2023 en catégorie Adultes.

Synopsis

« DIS-MOI QUI TU HAIS, JE TE DIRAI QUI TU ES.

Marre du patron, mais tu es un peu lâche ? Tu ne supportes plus ton mari ou ton voisin ? Il y a un moyen pour libérer ta colère sans finir derrière des barreaux. Télécharge la top app de la décennie ! Un milliard d’utilisateurs dans le monde… Tout ce que tu as à faire, c’est inscrire les huit noms des personnes que tu détestes le plus. C’est gratuit, sans âge limite, et surtout sans morale.

The 8 List, c’est l’idée folle de Thomas, un développeur qui crée un géant mondial des réseaux sociaux. Suivez le parcours d’un ambitieux capable du pire pour réussir.

Et vous, quelle sera votre 8 List ? »

Une idée cynique et jouissive

Est-ce que je n’ai pas, à un moment, pensé à 8 noms que je mettrais sur cette 8/hate list ? Bien sûr que si. J’ai même déjà 4 noms sur cette liste. Vous l’avez compris, j’ai comme tout un chacun des comptes à régler. Après autant de lectures prônant la tolérance et la bienveillance, je souffrais d’un ennui profond et d’une envie pressante de me défouler un peu. Ouf, Pierre Léauté a compris mon besoin (et le vôtre, ne mentez pas), et me l’a offert en roman.

Vous comprenez donc bien pourquoi j’ai avalé ce roman en si peu de temps (à peine deux jours), pourquoi je l’ai trouvé si jouissif et pourquoi je suis aussi bien rentrée dedans. J’ai totalement adhéré au cynisme ambiant, qui commence dès la première ligne. Le roman ne fait pas dans la dentelle, ne prend pas de gants et se fout de la diplomatie et de la bien-pensance.

« La bienveillance est le pire ennemi de l’homme moderne. Elle l’instrumentalise, le blâme s’il ne se soumet pas aux diktats d’une société elle-même en perte de sens. Et si nous décidions de reconquérir notre part d’humanité ? Et s’il était sain de haïr l’autre ? »

Le roman va vite; il n’y a pas de temps morts, peu de descriptions, pas de perte de vitesse. Le chapitrage est une sorte de compte à rebours à partir de 8. Une organisation du récit qui nous permet des allers-retours en arrière, de connaître les 8 noms de Thomas et de créer une accélération du rythme. On sent de suite que l’on est dans une course en avant dangereuse, qui va mal se finir, mais on ignore encore comment. Chaque phrase est une punchline dans la figure. C’est mordant, cynique… avec un humour noir particulièrement jouissif.

Mais une très mauvaise idée quand même

Malgré tout, et c’est le premier point fort du roman : j’ai vite compris que cette 8/hate List était une idée de merde. Pas tant du fait de ses conséquences sociétales, mais plutôt parce qu’elle émane de l’esprit d’un type que l’on se met rapidement… à détester.

En effet, Thomas n’a ni morale, ni éthique. Pour expliquer cela, le roman déroule, dans une seconde trame, son passé d’enfant malheureux snif snif. Mais non, rien n’excuse le fait que Thomas est un odieux connard. Le roman explore les conséquences d’une telle appli, pas tant au niveau sociétal mais surtout pour Thomas et son entourage. Comme pour renforcer sa mégalomanie et son égocentrisme, le roman est centré sur lui. Ses proches, ses amis, sa famille, ses équipes… ne sont perçus que par le filtre de Thomas.

Un roman plus réaliste qu’imaginaire

Une satire d’une époque tournée vers l’individualisme et le numérique

Le roman se déroule de nos jours, avec une seconde trame dans l’enfance de Thomas pendant les années 90. C’est donc un roman contemporain. Certes, l’appli inventée n’existe pas, toutefois rien de novateur là-dedans, l’appli s’appuyant sur des technologies numériques déjà existantes. Pas d’anticipation non plus, donc à mon sens le roman peut tout à fait trouver son public en littérature générale.

En fait, The 8 List est un portrait de notre société numérique et technologique particulièrement vif et saisissant. Thomas, c’est Mark Zuckerberg, Jack Dorsey et autres créateurs de monstres numériques. The 8 List évoque d’ailleurs l’entrée en bourse de l’appli comme Facebook, avec des parallèles évidents. Et Zuckerberg fait coucou dans le roman. Le roman évoque la manière dont ces applis phénomènes échappent à leurs créateurs qui perdent pied avec la réalité.

La force du roman est de s’ancrer dans une réalité tangible, dans laquelle l’Histoire n’est pas déviée de son cours, et dans laquelle on croise moult personnalités réelles. The 8 List aborde les dérives d’une société tournée vers ce que le numérique peut générer de pire, occasionnant individualisme et perte de repères moraux.

Qui manque cependant d’aboutissement

Le roman offre une mise en page intéressante, pertinente et dynamique, avec des illustrations comme des objets marketing. C’est un gros plus pour ce texte, mais qui malheureusement encore, aurait eu besoin d’une relecture supplémentaire.

J’ai eu quelques moments de perplexité concernant l’appli en elle-même : on n’en sait pas vraiment plus. OK on met 8 noms. Et après ? Comme on ne peut pas modifier la liste ni supprimer de nom, quel intérêt d’y revenir ? Une appli comme ça ne va personnellement pas m’intéresser au-delà de 5 minutes. Je trouve que sur ce plan-là, ça manque un peu de crédibilité.

Ensuite, je regrette que les conséquences sociétales de l’application n’aient pas été davantage explorées. A mon sens, il manque une réflexion d’ampleur sur la portée de cette appli au niveau sociétal et sur ses implications concrètes. Par exemple, la séquence autour du sequel killer est trop rapidement résolue et écartée. Dommage ! Le final également reste centré sur Thomas, et m’a d’ailleurs paru particulièrement décousu et peu crédible. Là aussi, dommage ! Car pour moi il est un peu désolidarisé du roman, avec lequel il n’entretient pas de continuité évidente.

A mon sens, The 8 List ne va pas suffisamment loin dans ses propos et son exploration. Un recul par rapport à Thomas seul aurait peut-être permis de prendre plus d’ampleur pour obtenir quelque chose de plus explosif et abouti. Je regrette en fait que ce sujet n’ait été traité que de son point de vue. Certes, cela permet d’être dans son esprit et d’en comprendre les rouages, de saisir sa paranoïa croissante et les dérives de sa pensée. Mais selon moi, on passe à côté du principal.

Et après ?

Je regrette enfin l’absence d’anticipation. C’est un peu lié à mes propos précédents. En effet, le roman autour de Thomas se terminant avec Thomas, il est bien ficelé ainsi et donne une impression de finitude. Cependant, de la même manière qu’il manque selon moi d’élargissement, il manque aussi de capacité visionnaire. Car The 8 List finalement se contente de rester dans un temps T. Y sont dessinées les dérives de nos comportements, mais et après ?

Qu’est ce que The 8 List provoque maintenant et plus tard pour la société dans son ensemble ? Comment on vit au quotidien avec ça ? Où est-ce que The 8 List a mené le monde et où celui-ci va t-il aller ? Quelle sera la société de demain ? Le roman n’apporte pas non plus de réponse à ce sujet, considérant que Thomas ayant son compte réglé, tout est fini. Mais en fait, non. Et les questions demeurent; là encore, une sensation pour moi d’inaboutissement. Je pense qu’il y avait là aussi matière à exploration pour véhiculer un certain nombre de messages percutants.

En pratique

Pierre Léauté, The 8 List

Editions HSN, 2022

Couverture : François-Xavier Pavion

#PLIB2023

#ISBN9782918541776

D’autres avis : très bonne lecture, malgré un petit regret aussi, pour Benjamin du compte instagram Les mots magiques; excellente lecture pour CélineLecture; un techno-thriller réussi pour L’atelier littéraire.

The 8 list est un roman de Pierre Léauté, paru aux éditions HSN. Un roman que j’ai trouvé jouissif, et qui, après des pages et des pages de bienveillance un peu guimauve et bisounours, m’a fait beaucoup de bien. J’ai trouvé le ton juste, avec des dialogues savoureux mais assez terribles aussi. Car le roman dépeint une certaine réalité avec beaucoup de cynisme; on ne peut s’empêcher de se demander dans quel monde de merde on vit. Malgré tout, je trouve que le roman passe à côté d’une réflexion plus large, tant dans le présent que dans un potentiel futur. J’ai passé un bon moment de lecture, mais je regrette le fait que le roman n’explore pas pleinement toutes les perches tendues au fil du texte pour aller au bout des choses. Un sentiment d’inaboutissement un peu décevant.

5 commentaires sur “Pierre Léauté – The 8 List – #PLIB2023

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  1. L’idée de départ me fait légèrement penser à Death Note et j’avoue que chacun peu se reconnaître dans celui-ci.

    Dommage qu’une fois ton défoulement proposé, ce roman semble manqué d’envergure et d’ambition.

    Je me le note quand même, on ne sait jamais 😉

    Merci pour la découverte.

    1. je ne connais pas du tout Death Note ! C’est un manga c’est ça ? J’ai googlé pour voir, effectivement le synopsis se rapproche pas mal de The 8 list.
      Oui c’est ça, ça manque un peu d’ambition pour moi, tu as mis le mot sur mon ressenti. C’est un peu dommage…

  2. Mince, juste un roman défouloir donc ? Le propos de base me tentait moyennement (trop Death Note), mais rien que l’aspect dont tu parles qui envoie balader les conventions me tenterait bien, même juste pour me vider la tête ^^ Je le lirai certainement, rapport à cette histoire SF ou pas. C’est vrai qu’il y a des livres où la frontière est mince, et la définition de « SF » est assez plurielle. Merci pour ton retour en tout cas 🙂

    1. Ça ne me gêne pas spécialement que la frontière soit mince, d’ailleurs souvent c’est assez intéressant comme positionnement justement !
      Par contre comme dit Steven ça m’a que d’envergure et c’est un peu dommage, derrière cette peinture caustique de notre société hyperconnectée, ça aurait été pas mal d’aller plus loin pour justement éviter le côté défouloir.
      Mais c’est un titre qui mérite le détour assurément, d’autant qu’il se lit vite !

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