Philippe Battaglia – La dernière tentation de Judas

Après plusieurs mois sans lecture, pour causes diverses (pas le temps, pas d’entrain), plusieurs m’ont proposé des titres pour répondre à mes envies du moment : quelque chose de prenant et de barré. La dernière tentation de Judas de Philippe Battaglia est revenu très souvent. Allez hop, ni une ni deux, je me procure l’ebook et commence ma lecture. Et attends le moment où ça devient barré et drôle. J’ai attendu longtemps. Très longtemps.

La dernière tentation de Judas – 4e de couverture

Rome, de nos jours. Immortel et séparé de Jésus depuis quelque deux mille ans, Judas trouve enfin une raison de sortir de sa léthargie : réaliser une ancienne prophétie. Après la découverte d’un évangile apocryphe écrit par Satan lui-même, il part à la recherche des trente deniers payés par les Romains pour la dénonciation de son amant, fort de la promesse que cela lui permettra de le retrouver dans l’au-delà. Alors, le monde saura qu’il n’était pas le traître dépeint par tous.

Accompagné d’une partie des apôtres, combattu par les autres, aidé par Marie de Magdala et Lazare, sa quête aux accents de thriller religieux le bringuebale des sphères huppées de Wall Street aux basfonds de Londres, du tombeau maltais de Jean de Valette au Vatican à la botte d’un Pierre, qui n’a de saint que le nom.

Philippe Battaglia peint, dans un esprit résolument punk, une galerie de personnages et d’histoires au cœur de notre imaginaire collectif. Drôle et érudite à la manière de Terry Pratchett, cette apocalypse survitaminée bouscule notre vision des apôtres.

Après tout, la Bible, c’est de la pop-culture.

La Bible et les Évangiles revisitées

J’ai bien aimé l’idée du roman. Un Évangile de la main de Satan, un couple homo Jésus-Judas, ce dernier qui n’est en fait pas le traître, des personnages bibliques qui ont traversé les époques et qui évoluent avec elles, et surtout un changement fondamental de la conception de la déité, de la trinité, etc… Un nouveau regard décalé et provocateur sur des textes anciens qui sont le fondement de l’Église.

Si ça donne un petit coup de frais, le récit tient aussi la route, et interroge de manière pertinente nos conceptions. Pas tant les conceptions religieuses ni les croyances, mais le regard que l’on porte sur l’évolution et la place de l’Église par rapport à la société et la manière dont elle s’est construite. C’est assez intéressant de constater finalement que tout est histoire d’interprétation, et qu’en fonction des sensibilités, des cultures, et surtout des époques, un regard décalé sur des textes raconte une toute autre histoire. La base du roman c’est ce « et si ? », et j’ai trouvé que l’ensemble était cohérent. Pour autant, il ne va pas vraiment plus loin que ça, j’y reviendrai plus bas.

J’ai quand même bien aimé le dernier quart, qui réécrit là encore un Évangile, celui de Saint-Jean. Pour autant, cette revisite n’apporte pas grand-chose de neuf, tant le texte d’origine était déjà un sacré morceau de fumette délirante. Malgré tout, c’était aussi plaisant à lire.

Rigolo et barré ?

Plusieurs copaines m’avaient conseillé ce roman en m’indiquant qu’il était barré et percutant.

Bon, je l’ai trouvé sympa, mais pas non plus aussi barré que je l’imaginais. L’aspect redondant du regard décalé m’a lassée. Il faut dire que le roman est très long, alors forcément, à la fin, ça sent le réchauffé. Si l’angle de vue était cocasse au début, la fraîcheur bienvenue du début s’est tiédie ensuite, comme mon enthousiasme.

Comme le roman repose sur le même schéma, j’ai fini par deviner à l’avance le sort de chaque personnage comme les péripéties. C’est un peu dommage, ça a cassé l’effet de surprise. Résultat, la cocasserie du début a laissé vite place à quelques sourires, qui s’étiraient à peine ensuite jusqu’à disparaître complètement.

Un texte qui se veut percutant, mais…

D’autre part, sur le côté percutant, là aussi je suis réservée. La dernière tentation de Judas m’a semblé manquer de profondeur de vue. A la longue, certains points m’ont paru être davantage le résultat d’une liste de points à cocher, faisant écho à des problématiques sociétales contemporaines. Mais ils ne disent pas vraiment quelque chose de plus, dans le fond. Certes, la confrontation de textes anciens et témoins de leur époque avec celle dans laquelle nous vivons crée un choc de cultures explosif. Mais je n’ai pas non plus trouvé qu’au-delà du simple contraste esthétique il y avait proposition d’une réflexion plus poussée.

Réécrire d’accord, c’est rigolo, mais pour dire quoi, dans le fond ? Une fois le constat établi, qu’est-ce que ça dit, qu’est-ce que le texte propose pour aller plus loin ? Si le roman proposait quelque chose de plus, je ne l’ai pas saisi. Dans ce cas, c’est peut-être que ces propos ne ressortent pas suffisamment bien de cette masse « déjantée cocasse barrée ».

De mon point de vue, pour être totalement percutant ce roman aurait gagné à être plus condensé. Dans ce format, trop de longueurs, une mise en place assez lente et longue, une tendance à la répétition. Et surtout des allers-retours dans le passé complexifiant la trame du récit mais de manière trop artificielle, car associés à des aventures cram boum pan pan finalement assez classiques.

J’espérais être davantage bousculée, avoir une prise de risques plus importante. Et j’espérais surtout, connaissant l’éditeur et vu le prix du bouquin, un travail de correction plus soigné. Mais les nombreuses fautes de conjugaison et d’accord, associées à un ressenti mitigé sur le fond et une lassitude sur la forme, ont définitivement consolidé mon impression de « moui, bof » qui n’a cessé de grossir tout au long de ma lecture.

Un bouquin qui, de mon point de vue, aurait donc gagné, comme Plein-ciel, à bénéficier d’un travail édito plus solide pour offrir un texte vraiment décoiffant.

En bref

Pas mal, très bonne idée de départ et des moments assez sympas. Mais un texte que je trouve plus convenu que déjanté, aux prises de risque assez faibles, et manquant de profondeur dans le discours, peut-être trop noyé dans cette grosse couche de cocasserie répétitive.

En pratique

Philippe Battaglia, La dernière tentation de Judas
L’Atalante, 2025
Couverture : Agence LERAF

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

Fièrement propulsé par WordPress | Thème : Baskerville 2 par Anders Noren.

Retour en haut ↑