Hasard de calendrier : j’ai fini la duologie de La machine de Katia Lanero Zamora au moment où ActuSF officialisait sur les réseaux sa mise en liquidation. J’ai lu ces deux tomes en numérique, alors je me suis précipitée pour acheter les deux exemplaires en papier, avant qu’il ne soit trop tard. Parce que malgré quelques réserves sur certains choix effectués, ce roman m’a captivée, et j’ai lu la duologie en à peine 6 jours. La chronique présente porte sur l’ensemble de la saga, à savoir le tome 1 : Terre de sang et de sueur, et le tome 2 : Les fils du feu. J’ai lu le premier volume dans le cadre du Cocorico challenge, catégorie Chevalier d’Eon (historique).
4e de couverture du tome 1
Nés dans le confort de la famille noble des Cabayol, Vian et Andrès sont deux frères inséparables. Mais dans un pays où la révolution gronde et où les anciens royalistes fourbissent leurs armes pour renverser la toute jeune République, ils vont devoir choisir leur camp…
Un roman familial captivant
Dans la lignée d’une tradition littéraire
La machine m’a rappelé de très très bons souvenirs de lecture plus jeune. J’y ai retrouvé le souffle de ces sagas fleuve, celles d’Henri Troyat ou Régine Deforges. J’avais adoré adolescente Les semailles et les moissons, Tant que la terre durera, La lumière des justes et évidemment La bicyclette bleue.
C’est le genre de bouquins qui vous plongent dans une réalité complètement différente, immersive. Avec un arrière-plan historique. Et des personnages auxquels on s’attache car on les voit grandir, évoluer, se planter, résister, souffrir, aimer… Des romans épiques, captivants, qui se lisent très facilement. Une écriture fluide, simple à lire, sans être ni extraordinaire ni médiocre; mais avec une belle langue, abordable.
La machine est la relève de ce type de romans du XXe siècle selon moi. J’y ai retrouvé ce même souffle, cette même envie d’y plonger pendant plusieurs heures, ce côté page turner, des personnages qui portent le roman sur leurs épaules et nous embarquent à leur côté, à la vie à la mort. J’ai également aimé cette écriture similaire, pas waouh mais entraînante, facile d’accès, plutôt riche en vocabulaire. Accessible, dynamique, et colorée de mots espagnols ici et là.
Bref, j’ai passé un chouette moment de lecture, car il m’a rappelé d’excellents souvenirs. Et m’a convaincue que je peux encore passer des heures le nez dans un bouquin sans me préoccuper une seule seconde de ce qu’il se passe à côté de moi. Et me passionner pour une histoire et des personnages, sans avoir dans la tête mon attirail d’outils d’analyse et mon crayon dans la main.
Une machine narrative
La machine, c’est donc un roman familial sur fond historique (on reviendra sur ce point plus bas). Deux frères que tout sépare, dès l’enfance : l’éducation, la sensibilité, les envies, les valeurs, les goûts, la vision de la vie et de l’avenir. Et pourtant, leur lien est indéfectible, beau, unique. Il est au cœur de ce roman, comme une bouée. J’ai beaucoup aimé ces deux personnages, et cette fraternité qui évolue au fil des pages. Autour d’eux gravitent tout un paquet de personnages, famille, amis, connaissances politiques, alliés… qui font de La machine… une grosse machine narrative avec plusieurs trames narratives.
En effet, il y a deux trames principales : une au passé (retraçant l’enfance des deux frères) et une au présent (les deux frères étant devenus adultes). Chaque trame reste linéaire et chronologique, mais les effets d’enchaînements reliant les deux sont remarquables (ça rendrait super bien au cinéma). Quant à la trame présente, elle se divise en plusieurs fils, deux principaux (chacun suivant un frère), ce qui permet aussi à l’autrice de développer les personnages gravitant autour de ce noyau. Ce faisant, aucun personnage ne fait décor, ni simple figurant.
Aucune complexité au demeurant, le roman n’est pas labyrinthique du tout.
De l’émotion exponentielle
J’avoue que le premier tome, s’il m’a plu globalement, ne m’a pas surprise non plus. Ca se lit vite et bien, c’est prenant, mais ça reste facile, prévisible. On voit vite ce qu’il va advenir des personnages, on se doute des difficultés qu’il vont vivre. Si j’ai beaucoup aimé le tandem qu’il forment, les deux frères Vian et Andrès m’ont malgré tout semblé chacun dans son rôle, récitant sa petite partition sans fausse note. Je veux dire par là que j’ai trouvé dans ce premier tome un peu de facilité dans les tensions. Des révoltes d’opprimés contre des nantis : déjà-vu, déjà-lu, pas de surprise, pas vraiment de nuance ni de finesse. Vous me direz, « ben oui mais en fait c’était vraiment comme ça ». Ah, oui, mais… là c’est un débat qu’on aura plus bas 🙂
En attendant, si le premier tome ne m’a pas bousculée, le second tome est beaucoup plus risqué. Et donc, selon moi, plus réussi. Plus fort, plus épique, plus terrible. L’autrice ne nous épargne plus rien. Si vous êtes déjà au bout de vos peines à la fin du tome 1, je préfère vous prévenir : le tome 2 est un carnage. C’est la guerre, c’est moche, ça pue, c’est crade, c’est injuste, il n’y a pas de sens à tout ça, et les gens meurent. Salement. Voilà. Bref, ce tome 2 est très très fort d’un point de vue émotionnel, et s’ils ont été durs à avaler, j’ai adoré les choix que l’autrice a faits. On sort de là lessivé et le cœur en miettes, comme si on avait vécu nous aussi cette guerre. C’est une grande réussite.
La guerre espagnole version imaginaire
Je vous disais plus haut que ce roman était un roman familial sur fond historique. La machine est pourtant un roman classé en imaginaire. Alors quelle est donc cette affaire-là ?
Imaginaire ou pas ?
La machine évoque très nettement la guerre civile espagnole de 1936 à 1939. En revanche, l’autrice a choisi de s’extraire de la réalité historique pour proposer un univers complètement différent et imaginaire. Une transposition qui j’imagine lui permet de s’extirper d’une réalité historique peut-être trop contraignante. Ou bien d’éviter d’avoir à faire d’énormes recherches pour coller à la véracité historique. Dans tous les cas, que le roman colle à l’Histoire ou pas, on s’en fout un peu. Parce que finalement, on parvient sans peine à comprendre à quels événements elle fait référence, et l’absence de véracité historique ne gêne pas pour suivre le fil des événements, qui ne manquent d’ailleurs pas de vraisemblance. L’adaptation est plutôt réussie.
Je dis plutôt, car je regrette deux choses. D’abord, que le 1er tome soit assez manichéen. Les gentils oppressés et les méchants oppresseurs, bof… S’affranchir de la réalité historique offrait justement la possibilité de faire quelque chose de moins évident. Heureusement, la nuance vient dans le second volume.
D’autre part, que l’autrice n’ait pas choisi d’aller plus loin dans le détail de cet univers. Dont elle ne fait presque rien, finalement. Un nom de province par ici, une ville et un fleuve par là, un vague empire là-bas et puis voilà. De ce fait, je trouve que ce qui se déroule dans le roman manque de perspective. En effet, on a le nez dans le guidon tout du long, l’intrigue étant assez resserrée géographiquement. On n’a pas vraiment idée de ce que représente le combat des machinistes à l’échelle du pays en question. Ni à l’extérieur de ses frontières.
Mais avec la lecture du tome 2 je me suis rendu compte que c’était peut-être voulu, car les personnages souffrent aussi de ce recentrement perpétuel, qui devient d’ailleurs un enjeu fort dans leur lutte. Finalement, il se crée alors dans le roman une sorte d’identification aux personnages car nous en savons aussi peu qu’eux : l’autrice nous intègre complètement dans l’intrigue. Alors lorsqu’on parvient à comprendre tout ce qui est en jeu… on regrette presque de ne pas être resté dans l’ignorance. Si ce sont là les motivations de l’autrice, je dois reconnaître que c’est très très bien fait.
Une fresque historique
Et donc La machine, imaginaire ou pas, est un roman qui évoque des combats eux bien réels. Esclavage moderne, répartition des biens et des richesses de la Terre, conditions de travail. Education, rapports Hommes/femmes, position des femmes, homosexualité. Complots, jeux de pouvoir, position de l’armée, propagande, réalité des combats en tranchées, pillages. Fêtes populaires, corrida. Le roman aborde énormément de choses, sur tous les plans, économique, social, culture, politique. Et le fait plutôt bien, avec plus de nuances et de vraisemblance dans le second tome que dans le premier selon moi.
Et vu les thèmes, ça ne peut pas bien se passer. Donc certaines scènes sont difficiles. C’est la guerre, hein. Des corps mutilés, des chairs brûlées, des tortures diverses, des mentions de viols, vous allez en voir. Mieux vaut le savoir avant de se lancer. La violence n’est pas exagérée, aucun voyeurisme ici, aucune scène inutile, mal écrite, ni sujette à interprétation. Mais voilà, c’est dur. A noter qu’une scène liée à la pratique de la corrida est particulièrement difficile, tant sur le plan physique que moral. Enfin, on est dans les années 30, donc les valeurs et codes moraux ne sont pas les mêmes qu’aujourd’hui. La société est extrêmement violente, embrigadée, sexiste et homophobe et le discours officiel violent. Les personnages ressentent alors une pression sociale et morale extrêmement forte et cela se ressent très vivement.
Vous n’allez donc pas juste souffrir pour les personnages, non. Vous allez aussi vous offusquer, hurler parfois, brandir le poing souvent avec les camarades machinistes, puis apprendre la résignation, le pragmatisme, et en prendre quand même plein la figure… Que voilà un bouquin vibrant, plein d’âme et de cœur, qui rugit férocement quand on l’ouvre.
En pratique
Katia Lanero Zamora, La machine
Actu SF, 2021 (tome 1) et 2023 (tome 2)
Couverture : Zariel
Autres avis : je ne mets là que des retours sur les tomes 1, comme ça vous ne serez pas spoilés sur la suite.
Sachez que cette saga a été une très bonne lecture voire un coup de cœur pour Amanda, Yuyine, l’Ours, Ombre Bones. En revanche, Le Maki formules quelques réserves que je partage, mais il a néanmoins comme moi passé un bon moment de lecture avec le 1er tome.
La machine est une duologie de Katia Lanero Zamora, qui gagne en puissance et en force dramatique tout au long de ses pages. L’adaptation d’un cadre historique dans un univers imaginaire est un parti pris risqué mais qui fonctionne très bien, malgré la finesse de l’imaginaire développé ici. Tout repose sur le lien entre les personnages et la peinture de cette époque qui est incroyablement vraisemblable. L’autrice nous offre un de ces romans qui savent captiver dès les premières lignes, et tisse ici une intrigue dramatique redoutablement efficace et dont la tension s’accroit sans cesse. Beaucoup d’émotions dans cette duologie réussie, qui m’a fait vivre un bien beau moment de lecture, malgré toute la douleur ressentie au fil des pages.
J’avais bien aimé la première partie mais je n’ai pas lu la seconde (pourtant c’était prévu !). Trop de livres, pas assez de temps, il faut faire des choix…
Oui j’ai vu ça, je cherchais sur ton blog la chronique du 2 mais je me suis dit que tu n’avais pas eu le temps – et comme tu n’avais pas non plus été ébloui par le 1er…
Je pense que le second volume te convaincrait davantage, parce que les choses se déroulent de manière moins évidente, et puis c’est beaucoup plus vif, vivant et fort. Mais bon, c’est sûr qu’à un moment on peut pas tout lire non plus et oui, il faut faire des choix !