Première lecture dans le cadre du ABC Challenge de l’imaginaire 2021. J’attendais ce conte des marais écarlates depuis longtemps, il figurait dans ma wish-list depuis le printemps. Une couverture magnifique, une créature des marécages étrange et ensorceleuse… Ca me tentait bien. Finalement, ça a été une déception, et j’ai même été passablement agacée parfois. La beauté des dessins ne fait pas tout…
Synopsis
Grenoye, jeune garçon naïf, vit à Nosgrey, capitale du royaume de Flyne Nord, avec sa mère, plongée dans une mélancolie profonde. Il subvient seul à ses besoins. Un jour, en allant cueillir ses champignons, il s’égare près des marais. Il rencontre alors une créature mystérieuse, effrayante, sauvage. Une vouivre. Hanté par cette femme serpent, il va tenter de reprendre le cours normal de sa vie… jusqu’à ce qu’il la retrouve de nouveau, à la cour du roi. Pour la protéger de la menace qui pèse sur elle, il va tout remettre en question.
Un cadre fantasy
Cet album reprend plusieurs des codes qui ont inspiré les auteurs du genre. En premier lieu, Layla. Conte des marais écarlates est un conte, et on y retrouve la narration au passé, les figures traditionnelles (le roi, les sorcières maléfiques), un aspect merveilleux également (la langue inconnue de la vouivre, la malédiction qui pèse sur Grenoye, les papillons créés par enchantement dans la scène de la danse de la vouivre…).
Par ailleurs, l’album s’inspire d’un bestiaire folklorique et mythologique (la vouivre, serpent ailé ou dragon bipède, qui porte une escarboucle sur le front). Clin d’œil intéressant, Grenoye évoque des « chimères » quand il parle des marais et de ce qu’il y cherchait (encore un monstre hybride, mythologique, moitié dragon/moitié lion). L’album se place également dans un environnement médiévalisant (château fort surplombant une vallée, entouré de son village, travaux manuels, rues en terre battue, vêtements des hommes du peuple…), cadre habituel aussi de récit de fantasy.
Enfin, l’illustration de couverture m’a fait penser au tableau Ophelia de John Everett Millais (1851-1852), revisité. On retrouve dans Layla des soucis esthétiques équivalents à ceux des préraphaélites (nature représentée en couleurs vives, précision du détail naturaliste, symbolisme de la représentation…). Or cette période victorienne est considérée comme le berceau de la fantasy.
Un scénario peu étoffé…
C’est le défaut principal de cette bande dessinée. Le scénario n’est pas très poussé (un jeune homme naïf qui tombe sous le charme d’une créature mi-femme mi-monstre, qu’il va vouloir protéger quand elle sera en danger).
La structure de Layla. Conte des marais écarlates
Le récit commence par une narration de Grenoye, qui se souvient de sa rencontre avec la vouivre. Ces premières pages narratives, pauvres en dialogues, sont agréables à lire et à contempler. Elles permettent également de rentrer dans l’univers.
Le conte s’inspire également du roman fantastique La Vouivre de Marcel Aymé (1943). Il raconte l’histoire d’un travailleur des champs qui s’approche trop près de l’étang, et y aperçoit la Vouivre qui se baigne nue. Il est obsédé par la jeune femme, plutôt que par l’escarboucle qu’elle porte. Si l’album s’inspire de ce roman pour poser les bases de son récit, en revanche, celui-ci se poursuit par une multitude de scènes classiques, déjà vues (et qu’on sent arriver longtemps à l’avance) : la scène de première vue (avec la vouivre, Grenoye étant comme ensorcelé par la beauté de la créature), Nosgrey scindée en deux (évidemment les riches en haut, et les pauvres dans les bas-fonds), l’injustice que vit Grenoye à la mort de sa mère, la violence des bas-fonds vs la cour qui s’amuse, le souhait de vengeance de la fille du roi, ses rêves de grandeur…
Enfin, et c’est ce que j’ai trouvé dommage, la résolution du récit est brouillonne, et mélange plusieurs strates de récits (l’histoire de la fille de la vouivre, la grossesse de la reine…). Ce n’est pas très clair, et par rapport à la situation initiale bien exposée, j’ai trouvé la fin de cet album très précipitée, me laissant sur ma faim. En revanche, la fin du récit est inattendue. Elle crée un effet de surprise bienvenu et une construction narrative en boucle assez intéressante, qui donne envie de revenir au début de l’album. Elle laisse aussi place à l’imagination du lecteur. Toutefois, je me suis interrogée du coup sur l’identité du narrateur (Grenoye), et le moment où ce récit est effectué et la fin de celui-ci ne m’a pas permis d’y trouver une cohérence.
Des personnages stéréotypés
Le gros point faible de cet album réside surtout dans le traitement des personnages, complètement stéréotypés, surtout les personnages féminins.
La vouivre, pour commencer. Elle porte des traits humains et féminins; elle est la figure traditionnelle de l’envoûteuse, de la femme fatale. La scène de la danse le révèle bien (Les cheveux longs détachés, les yeux perçants, le corps parfait, tout en courbes, avec une poitrine à la Lolo Ferrari, et à moitié nue). Elle est d’ailleurs toujours nue, cette vouivre. On va me dire que c’est normal, c’est une créature des marais. Soit.
La reine. On dirait un mélange de Cersei et Daenerys. Folasse, vengeresse, méchante, glaciale. Le stéréotype de la pétasse, frustrée dans son enfance et qui prend sa revanche. Et comme Cersei, elle finit les cheveux courts. La moitié du temps nue, reluquée par des brutasses qui bavent devant sa beauté glaciale (dont elle joue). Le cliché complet.
La fille de la vouivre, une vieille bique toute moche. Toujours nue.
La seule finalement qui parvient à conserver ses habits est la femme de Grenoye, le stéréotype de la gentille petite épouse, que son mari parvient à dépuceler quand elle prend les traits de la vouivre.
Bref, j’ai trouvé ces personnages féminins bien plats, habituels, déjà vus… et leur représentation franchement agaçante.
Mais des dessins magnifiques
La mise en images
C’est la principale qualité de cet album : son illustration. Les vignettes sont assez grandes, de taille variée, s’adaptant au rythme du récit. Il y a une belle cohérence entre le récit et le dessin. Par exemple, il y a de très nombreux gros plans de visages, permettant de capter les expressions des personnages. J’ai beaucoup aimé aussi l’effet miroir entre la mère (jamais représentée, sauf sa main qui tombe du lit, à côté d’une bouteille) et la femme de Grenoye (qui dans une vignette est représentée de la même façon, avec les commérages des 7 sorcières en arrière plan qui se répètent).
D’autre part, il y a de très belles peintures naturalistes de paysages (les marais, Nosgrey, le cimetière…) avec foule de détails (les feuilles des arbres, les sculptures du cimetière, l’architecture des maisons de Nosgrey, la salle du banquet…).
Le traitement des couleurs
Les couleurs sont également travaillées avec minutie. Par exemple, le vert et le rouge prédominent (forte symbolique, les couleurs de la forêt et du marais écarlate). La couleur rouge est reprise tout au long de l’album, par touches répétées (les yeux de la vouivre, le médaillon écarlate, les étendards de la cour du roi, les sifflements du serpent, le sang). Couleur de violence, elle accompagne des scènes très vives, mouvementées dans des plans larges (l’étendue des marais, notamment).
A noter, très peu de bleu et de couleurs pastels, sauf dans les quelques moments heureux et sereins du livre (Grenoye avec sa femme et son fils dans les prés, véritable locus amoenus avec des petits papillons, des couleurs très apaisantes, un lac, une herbe douce…). Hormis cette courte bulle de paix, les couleurs de l’album sont franches et très contrastées (le rouge du sang, le blanc glacial porté par la reine…).
Ainsi, si l’histoire en elle-même présente des aspects qui ne m’ont pas plu ou qui selon moi manquent de consistance, le dessin reste beau, travaillé, et agréable à regarder.
Une première lecture dans le cadre du concours ABC Challenge de l’imaginaire 2021 mitigée donc. Layla. Conte des marais écarlates de Jérémy&Mika est une bande dessinée aux belles illustrations, intéressantes et qui épousent bien le récit. En revanche, j’ai trouvé dans celui-ci des incohérences, et des aspects qui ne m’ont pas plu du tout. Cela ne m’a pas donné envie de relire l’album. Et vous, l’avez-vous lue ? Qu’en avez-vous pensé ? Partagez-vous mon ressenti ou avez-vous apprécié cet album ?