Guillaume Chamanadjian – Trois lucioles

Trésor n° 3 de Ouest Hurlant 🙂 Trois Lucioles est le second roman de la trilogie Capitale du Sud, signée Guillaume Chamanadjian. Cet opus vient après Le sang de la cité, dont je vous avais parlé il y a quelques temps et qui figurait dans ma sélection finale du PLIB. Le roman n’a pas été retenu, mais il a obtenu deux prix aux Imaginales (roman francophone et prix des bibliothécaires) et c’est fort mérité ! Bref, j’étais impatiente de connaître la suite des aventures de Nox, et je vous remmène à Gemina le temps d’une chronique… en attendant de vous y plonger corps et âme à votre tour ? 🙂

Synopsis

« Nox, l’ancien commis d’épicerie, est désormais seul maître à bord de l’échoppe Saint-Vivant. Il a pris ses distances avec la maison de la Caouane qui, enfant, l’avait recueilli.

Mais, alors que l’hiver touche à sa fin, les problèmes refont surface. Tout ce que la Cité compte d’opposants au Duc Servaint s’est mis en tête que le Duc devait mourir, et que la main qui le frapperait serait celle de Nox.

Mais consentira-t-il à tuer l’homme qui l’a élevé ? De sa décision dépendra le destin de Gemina ».

Une saga palpitante

Des couvertures très graphiques, signées Elena Vieillard, qui accompagnent la saga et racontent une histoire à elles toutes seules. J’adore ce concept, avec ce duo de couleurs très complémentaires et vives : ça met parfaitement en valeur la série, qui s’assombrit considérablement dans Trois lucioles.

Autre point : la présence d’un résumé succinct au début du roman, pour resituer un peu les événements, le cadre et les personnages. De la même façon, le premier chapitre du prochain volume de Capitale du Nord, Mort aux geaix ! est offert à la fin de Trois Lucioles. On est donc vraiment dans la continuité et l’imbrication des deux trilogies.

Place à l’action

J’ai préféré Le sang de la cité pour son écriture pareille à une promenade, comme un vagabondage dans les rues en suivant les parfums des mets de Gemina. J’adore les récits plus contemplatifs, un peu paresseux, qui s’étirent.

Dans ce second tome, cet aspect-là est moins présent. Il n’est pas absent (le titre est là pour le rappeler), mais un peu plus effacé. Et pour cause : on est dans un tome central d’une trilogie, on n’a plus trop le temps pour ça. Les choses pressent, le danger guette. Si le récit était plus posé et insouciant du Sang de la cité, ici on est davantage dans l’action et l’aventure.

Malgré tout, j’ai trouvé ce second tome très bon.
Parce que d’une part, il évite l’ennui que je rencontre souvent dans un tome central de trilogie. En général, j’adore le 1er qui est une présentation du cadre et de l’élément perturbateur, et le 3ème qui fait crac boum baston et fin. Souvent, entre les deux, je ressens un creux. Là, Guillaume Chamanadjian continue de construire son intrigue comme un jeu d’échecs, à l’image du jeu de la Tour de Garde : avec ruse, prudence et calcul. Les événements se suivent sans se précipiter, on commence à apercevoir toute l’étendue de l’intrigue par le biais d’indices parcimonieusement posés ici et là.
D’autre part, j’ai adoré retrouver cette tension qui continue de grimper tout au long du récit, concluant le roman avec encore un grand feu d’artifice. Le lecteur est maintenu en haleine pendant tout le roman.

Anti héros et anti ville

Ce tome m’a aussi surprise par son approche du personnage et du cadre, complètement déconstruits. Nox s’affirme; selon moi, on n’est plus dans le roman d’apprentissage ici. D’ailleurs, il hésite. Beaucoup, longtemps. Le lecteur attend qu’il se remue, les autres personnages aussi, mais lui attend, recule, se plante, et est même régulièrement pris pour une buse… En voilà un protagoniste singulier ! D’autant plus intéressant qu’il est le narrateur…! Malgré ça, je l’ai trouvé sympathique, ce Nox. Son recul de conteur le rend touchant. Un personnage réaliste, vraisemblable, dans lequel on peut se retrouver, et qui permet au lecteur de se projeter facilement dans cet univers.

D’autre part, on explore davantage dans Trois lucioles la périphérie de la ville. L’entre-deux murs, le Nihilo, bref la ville en négatif. Dans ces espaces, le temps s’écoule différemment : plus rapidement dans le Nihilo, qui permet de faire des ponts entre différents lieux de Gemina, et plus lentement dans l’entre-deux Murs. Ces différents espaces offrent un élargissement des lieux de l’intrigue, dépassant le huis-clos. En miroir, l’intrigue prend aussi de l’ampleur, débordant des remparts de Gemina. Enfin, cette relativité du temps donne une variété de rythmes au récit, mais j’ai un peu piqué du nez pendant le passage plus plan-plan dans l’entre-deux murs.

Un tome ancré dans le réel

Et ce déplacement en dehors des murs de la Cité est bien vu, car il permet à Guillaume Chamanadjian d’aborder des thématiques très actuelles. En effet, aux portes de Gemina la grande, la belle, la fière… se presse une multitude de réfugiés provenant de territoires méconnus des citadins. Des portes qui restent closes, des citadins protégés et dans leur bulle, qui découvrent qu’ils ne sont pas seuls dans le monde… On a évidemment là un clin d’œil très appuyé à ce que l’on vit de nos jours.

Evidemment, il est question d’immigration, mais aussi d’urbanisme, ou comment l’aménagement de l’espace crée de l’exclusion et de la hiérarchie sociale. J’ai trouvé le tout assez bien traité, excepté le long discours d’un personnage dans une scène finale, que j’ai trouvée maladroite car pas très vraisemblable et facile.

Néanmoins, on est toujours dans cette fantasy plus réaliste, aux personnages assez fins. Le lecteur peut facilement entrer dans le récit, se figurer les lieux, et saisir les enjeux du roman par ses liens resserrés avec le réel. En cela, Trois lucioles illustre à merveille la conférence que j’ai suivie aux Imaginales, sur la porosité des genres (dont je vous ferai un retour samedi matin lors de la Pause Café). Ce tome offre ce pas de côté pour appréhender autrement notre réel tout en brouillant les frontières de genre.

Mais du coup, j’attends beaucoup du dernier volume de cette trilogie ! J’aimerais vraiment par exemple que les liens avec Dehaven se resserrent davantage. Et j’espère le final ne proposera pas de choses invraisemblables ou des facilités scénaristiques, tout en offrant quelque chose de décoiffant (oui je suis exigeante).

En pratique

Guillaume Chamanadjian, Capitale du Sud, tome 2 Trois lucioles

Editions des Forges de Vulcain, 2022

Couverture : Elena Vieillard. J’en profite pour signaler que l’illustratrice a remporté le prix Wojtek Siudmak (catégorie Graphisme) du Grand Prix de l’Imaginaire 2022, pour son travail sur les couvertures de Tour de garde.

Autres avis : Des belles retrouvailles pour Le nocher des Livres, convaincu et séduit par ce second tome; réussite aussi pour Tigger Lilly.

Avec trois lucioles, Guillaume Chamanadjian transforme l’essai après Sang de la cité. Ce second volume, loin de s’essouffler, continue d’accroître la tension dans Gemina. Le final évidemment tout aussi explosif que la fin du premier volume laisse présager un dernier volume grandiose, du moins je l’espère ! Un tome bien équilibré, avec une intrigue qui prend de l’ampleur et un personnage vraisemblable et attachant… Dur dur d’attendre un an, maintenant !

7 commentaires sur “Guillaume Chamanadjian – Trois lucioles

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  1. Je viens d’emprunter le premier tome Capitale du Nord. J’attends de voir si ma bibliothèque de village poursuit les sagas avant de me lancer dans ce tome 2. J’ai hâte de voir les 6 tomes publiés pour pouvoir recomposer l’illustration finale composée par les 6 couvertures 🙂

    1. Oui, c’est vrai que les couvertures sont belles et accompagnent à merveille les romans. On ressent la tension qui y règne, la différence d’ambiance entre les deux villes… C’est très fort !

  2. J’ai hâte de le lire ! (mais pour l’instant j’écluse déjà ma PAL, qui a pris un peu avec les Imaginales ^^ »)

    1. Tu as le temps d’écluser, rien ne presse, le prochain tome est pour l’année prochaine. Plus tu tardes à le lire, moins l’attente pour le suivant sera longue 😉

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