5e lecture pour le Pumpkin Autumn Challenge, qui pour l’instant n’est pas couronné de succès. Après Eversion, Le pays sans lune et la mise de côté du Silence de la cité, je ne peux pas dire que ce soit vraiment l’éclate. Je comptais donc pas mal sur Parcourir la terre disparue d’Erin Swan pour renverser la vapeur. J’en avais lu des retours assez séduisants et l’aspect morcelé et déconstruit du texte avait tout pour me séduire. Si cela a été le cas une bonne partie du roman, j’ai malgré tout refermé celui-ci assez mitigée…
4e de couverture
« En 1873, Samson, chasseur de bisons fraîchement immigré, parcourt les Grandes Plaines, plein d’optimisme devant son nouveau pays.
En 1975, Bea, adolescente enceinte et mutique, arpente le même paysage, et finit par atterrir dans une institution où un psychiatre s’efforce de déchiffrer ses dessins.
En 2027, après une série de tornades dévastatrices, un ingénieur abandonne son existence routinière pour concevoir une ville flottante sur le site de ce qui fut La Nouvelle-Orléans, où il fonde avec sa fille poétesse une communauté de rêveurs et de vagabonds.
En 2073, la Terre est entièrement noyée, et la jeune Moon n’a entendu à son propos que des histoires. Vivant sur Mars, elle s’interroge sur l’avenir de son espèce.
Parcourir la Terre disparue est l’histoire d’une famille, de celles et ceux qui, génération après génération, héritent d’un même rêve. Avec la même pugnacité et le même espoir, ils tentent de survivre sur une Terre qui se couvre lentement d’eau. Une aventure pleine de résilience et d’espérance. »
Un roman prometteur…
Mélange des genres
J’aime bien les romans qui se tiennent sur le fil, entre les genres. En général, ces romans brouillent les frontières et s’amusent des codes de chaque genre, pour les déboulonner, les tordre ou se les réapproprier.
Ici, Erin Swan propose un roman de ce style. Parcourir la terre disparue est à la fois un roman de littérature générale, puis d’anticipation avec une vision dystopique. J’aimerais dire qu’il flirte aussi avec la SF mais ce n’est pas vraiment le cas de mon point de vue. Toujours est-il que nous avons là un mélange assez intéressant.
Parcourir la terre disparue commence en 1873, et s’étire jusque 2073. Au gré de plusieurs personnages à différentes époques, nous parcourons en effet la planète Terre durant ses dernières décennies. Le regard est brut, rude, sans polissage. Le style accompagne ces différents parcours de vie qui se caractérisent par la dureté, les difficultés éprouvées par tous les personnages, dont le principal but est la survie. J’avais partagé dernièrement les premières lignes de ce roman, qui donnent un aperçu assez saisissant de ce que ce roman offre comme ambiance.
Derniers jours de la Terre, donc, qui se retrouve peu peu engloutie par les eaux qui montent. Le lecteur, qui se promène sur une durée de deux siècles, prend ainsi conscience de cette fin inéluctable. On y retrouve d’ailleurs, dans les scènes contemporaines, des éléments que l’on connait bien, notamment l’urgence climatique et l’inaction gouvernementale. Certains chapitres sont clairement dans l’anticipation dystopique; leur mélange avec des scènes antérieures et contemporaines leur confère alors une crédibilité certaine.
Une reconstruction romanesque intéressante et originale
Parcourir la terre disparue est un roman morcelé et atypique. Déjà du fait l’étendue de son récit, qui s’étale sur deux siècles. La multitude de personnages n’aide pas non plus à se repérer dans ce roman, surtout que l’onomastique nous joue des tours dans le roman. Difficile également de comprendre le découpage très inégal des chapitres, certains très courts et certains ressemblant presque à des petits romans encastrés. Enfin, les narrations et les voix changent en fonction des personnages et des époques.
Ce roman pas forcément facile d’accès déconstruit donc totalement sa base pour offrir une autre expérience de lecture. Ici, point d’intrigue, aucune linéarité, ni de schémas propres au genre romanesque. L’autrice nous propose plutôt un parcours. Cela va bien avec le titre du roman :
Parcourir, verbe transitif. Se déplacer en suivant une direction plus ou moins déterminée, aller dans une, plusieurs, toutes les parties de. Parcourir les rues d’une ville, les océans, la province, un pays, le monde; parcourir (un lieu) d’un bout à l’autre, en tous sens, dans toute sa longueur, lentement, rapidement, à pied, à cheval, en voiture.
Le roman donne exactement cette impression. En effet, on a d’abord l’impression de papillonner partout, mais au bout du compte, on a une connaissance du lieu, de l’espace et des personnages très précise. Parcourir la terre disparue est un patchwork en train de se faire, et qui s’apprécie terminé.
Et puis il y a un autre fil rouge dans ce roman, celui de la filiation. Qui rattache chaque personnage aux autres. Le roman se lit aussi comme une histoire familiale. Et si ce fil nous paraît parfois flou, pour les personnages il est extrêmement solide, tant il est partout : dans leurs rêves, leurs choix et leurs actions.
Mais inégal dans sa réalisation
Une première partie captivante
La première partie du roman est très réussie. L’incipit très marquant nous confronte directement à la dureté du propos. Paradoxalement, l’âpreté de cette prose m’a hypnotisée tout de suite. J’ai aimé aussi l’impression d’avoir à chaque fois une nouvelle un peu indépendante, avec une histoire propre. En plus, certains récits de vie sont assez bouleversants.
Mis bout à bout, malgré l’aspect décousu et l’absence d’action à proprement parler, ces récits tissent une histoire captivante, qui nous pousse à nous interroger sur la manière dont on ferait face. Intéressant de noter la différence de buts et de vision de la vie entre Samson en 1873 et Moon deux cents ans plus tard… Le roman nous interroge ainsi sur ce qui caractérise une famille, jusqu’où l’on peut aller pour elle. Ce qu’on peut sacrifier pour elle, comme ce que l’on lui doit.
J’ai aimé le rythme assez lent et suivre ces différents personnages, recomposer petit à petit le puzzle qu’est ce roman. Cette première partie ne manque pas de force ni de bonnes idées bien ficelées. Mais voilà, on ne pouvait pas rester indéfiniment dans l’impression de scène initiale; à un moment, il fallait bien que ça décolle un peu et prendre des risques pour ne pas tourner en rond.
Et puis là, badaboum patatras.
Alors bon, rappelons que c’est un premier roman, et que prendre autant de risques est un pari que peu d’auteurices aujourd’hui osent. En plus, c’était bien réussi pendant la première moitié. Mais malheureusement, j’estime que la seconde partie est beaucoup moins réussie.
D’abord, parce que le rythme s’accélère. Les révélations se précipitent et le récit s’emballe. L’idée étant de comprendre où est Moon et comment elle en est arrivée là, on doit se dépêcher parce qu’il ne reste plus beaucoup de pages. Sa quête de racines se révèle alors hyper rapide : j’ai d’ailleurs trouvé le procédé des chroniques testimoniales assez facile.
Ensuite, je n’ai pas apprécié du tout le changement de tonalité. Autant j’aime le mélange des genres, autant je n’aime pas du tout avoir un roman crédible dans ses 2/3 se finir de manière complètement farfelue. Or Parcourir la terre disparue tombe dans cet écueil. Rien dans le récit concernant Pénélope n’est tangible; ce qui lui arrive manque totalement de crédibilité tant rien n’est scientifiquement ni technologiquement fondé. J’ai trouvé assez dommage une telle rupture dans le roman, qui jusque là immergeait son lecteur dans un futur assez convaincant et probable. C’en était même assez glaçant parfois.
Et au-delà de la rupture maladroite, il y a selon moi un problème plus important. En effet, certains éléments ressemblent davantage à un délire horrifique complètement saugrenu. Ce qui arrive à Pénélope et ses comparses, l’origine des deux oncles, ce qu’il se passe dans ce module… Du WTF total. A partir de là, les réflexions amorcées pendant la 1e moitié se diluent complètement et on perd en pertinence. Dommage, parce qu’il y avait de l’idée, avec des clins d’œil assez sympa (notamment sur le prénom de Pénélope).
En pratique
Erin Swan, Parcourir la terre disparue
Editions Gallmeister, 2023
VO : Walk the Vanished Earth (2022)
Traduction : Juliane Nivelt
Couverture : Aurélie Bert
Autres avis : Avis similaire pour Le Maki, pas convaincu non plus par la seconde partie; Le nocher des livres a été plus séduit par ce roman.
Parcourir la terre disparue ne manque pas d’intérêts. Sa première moitié est passionnante, captivante et même assez bouleversante dans sa peinture de scènes de vie. La thématique de la filiation est fort intéressante, apportant un fil rouge pertinent et une juste dose d’émotions. En revanche, j’ai complètement décroché ensuite, tant le roman m’a semblé partir en cacahuète dans le style, les idées et l’approche. Un roman assez inégal donc dans son exécution, mais qui gagne malgré tout à être découvert pour la beauté de sa première moitié. Erin Swan propose un premier texte certes imparfait mais prometteur.
J’aime aussi les romans qui sont à la croisée des genres et quand un auteur ose offrir une expérience de lecture différente, mais le revirement dans la seconde partie ne semble pas des plus convaincants, voire des plus frustrants… Je reste intriguée mais je ne tenterai que si une version audio finit par sortir, étant plus clémente avec ce format.
oui ça ne tient malheureusement pas dans la durée, et c’est bien dommage; comme si l’autrice ne savait plus quoi faire après, et cette tentative de SF loupée est bien dommage. En audio ça doit s’y prêter particulièrement bien, certains personnages sont angoissants, quand d’autres, par leur élocution et leurs silences, doivent être mieux adaptés à l’oral qu’à l’écrit, même si les mots et les blancs traduisent bien leur façon de s’exprimer… A voir ! Enfin, à entendre héhé.
Je suis moins dur que toi sur la deuxième partie, même si je l’ai trouvée inégale. Et si j’ai moins aimé la partie concernant Moon. Un peu trop étrange. D’un autre côté, je lis de la Weird comme du Jeff Noon ou du Jeff Vandermeer, alors…
Très très étrange; pas sûre d’avoir entièrement saisi ce que l’autrice voulait dire et où elle voulait vraiment en venir.
Oui mais avec la weird c’est le parti pris, et c’est tout un bouquin qui est comme ça, ça choque moins qu’ici, je trouve; parce que dans ce bouquin, la rupture est assez nette. Malgré tout, très très contente de la découverte car cette première partie était vraiment magnifique.