Christopher Bouix – Alfie – #PLIB2023

7ème lecture des 25 finalistes du PLIB2023, Alfie est un roman assez court de Christopher Bouix, paru aux éditions du Diable vauvert. Je voyais passer pas mal de chroniques très enthousiastes sur ce titre, je voulais donc y jeter un œil. Et j’ai fichtrement bien fait, parce que non seulement c’est à la fois bien ficelé, rigolo et surprenant, mais en plus je l’ai lu en moins de 3h, incapable de m’arrêter tant c’est prenant. J’avais peur de lire quelque chose d’assez similaire à tout un tas de titres qui traitent du même sujet, notamment The 8 list que j’ai lu il y a peu de temps, mais non : Alfie réserve de belles surprises.

Synopsis

« Alfie est une lA de domotique dernière génération. Il filme tout, note tout, observe tout. Implanté depuis peu dans le foyer d’une famille moyenne, il aide au quotidien et propose sa gamme de service à haute valeur ajoutée tout en essayant de comprendre cette étrange espèce : les humains.
Mais un soir, tout bascule.

Que signifient ces mensonges, ces traces de lutte, cette disparition ?
Alfie est dubitatif. Est-ce lui qui délire ?
Ou un meurtre a-t-il été commis dans cette famille sans histoires ? »

Alfie : une IA narratrice

« Noël : Fête cérémonielle consistant à disposer des objets de mauvais goût un peu partout, à prendre du poids, puis à s’en plaindre.
Rituel humain incompréhensible
« .

D’abord, parlons de ce point de vue. Parce qu’il donne au roman toute sa saveur : c’est l’IA qui raconte. Alfie, nouvellement débarqué dans une famille lambda et fraîchement initialisé. C’est un croisement entre Alexia, la bonne et l’ami de la famille, doté de la mémoire de toutes nos données personnelles récoltées dans les applications connectées.

Alfie est une IA. Son récit est donc assez brut de décoffrage : le style d’écriture est rapide, léger, direct; très informatique, en somme. La lecture est donc très rapide, les pages défilent à une vitesse grand V. Ce regard extérieur artificiel donne lieu à des choses très drôles et savoureuses, face à des comportements humains qu’il ne comprend pas. Certaines vannes sont très bien trouvées, pointant l’absurde de nos raisonnements, de nos actes, de notre façon de voir les choses, d’évoluer et d’interagir en société. Son regard n’est jamais surpris, empathique, compatissant, colérique, moqueur. Ce sont les questionnements très basiques et déshumanisés de l’IA face à une situation qui créent l’incongruité de celle-ci.

« Qu’est-ce qui fait la particularité du cerveau humain? D’après ce que j’ai pu observer, il s’agit sans doute d’une capacité inouïe à résoudre des problèmes simples en leur appliquant des solutions alambiquées, à dépenser de l’énergie pour des résultats aléatoires, à trouver amusantes des choses absurdes, et importantes des choses accessoires, à ne jamais vraiment dire ce que l’on pense et à toujours cacher ce que l’on ressent. Du point de vue algorithmique, cela ne fait aucun doute : l’humanité est un échec« .

Une intrigue bien ficelée et surprenante

Le roman est court, pourtant il s’en passe des choses. C’est l’autre force d’Alfie à mon sens. En effet, le roman aurait pu se borner à confronter les humains face à cette IA et porter un regard cynique/moqueur/réflexif. Mais Alfie est une histoire bien plus passionnante.

Car la famille de Monsieur et Madame tout le monde n’est pas si clean que ça. Il y a des cadavres dans le placard, des non-dits. Des cachotteries. Des froideurs dans les échanges. Le terreau idéal pour un dérapage magistral, point de départ de tout bon polar. Alors le roman prend une direction assez inattendue et nous fait entrer dans une sorte de thriller. Autant dire que les pages défilent encore plus vite, dans l’espoir de connaître le pourquoi du comment des événements qui se déroulent. Le découpage en nombreux chapitres datés au jour et à l’heure accroit l’impression d’emballement et d’accélération des événements.

Alfie offre d’autre part une clef de lecture dans ses pages, proposant une intertextualité intéressante. Loin de trouver cette clef spoilante, je l’ai au contraire trouvée assez géniale. Car elle parvient à démonter toutes nos attentes qui y seraient liées et nous perdre davantage. Une belle manière de réutiliser des références à très bon escient pour nous égarer autrement, et remettre en question les positions de narrateur et de lecteur d’une autre façon.

Barthes et Cie

Autre angle d’attaque fort passionnant du roman : sa réflexion sur le langage et le poids des mots. Leur interprétation, leur sens. C’est là aussi quelque chose d’assez original dans la manière d’opposer IA et humanité. Alfie n’est pas un récit hyper technologique ici. On est dans de l’anticipation, car les technologies déployées dans le roman existent déjà. On pourrait y voir une sorte de futur proche de notre société actuelle hyper connectée.

L’axe choisi pour traiter cette dualité IA/humains n’est pas technologique, mais sémiotique. Il interroge le poids du langage, la production de sens donnée aux mots et la manière dont le langage construit une relation. C’est déjà intéressant entre humains, mais avec le regard de l’IA extérieur ça prend d’autant plus de sens. Les blancs de conversations, double-sens, langage gestuel aussi : tout est revu sous le spectre d’un regard informatique. Des épigraphes relient directement le roman au premier essai de Roland Barthes qui pose les jalons de sa pensée linguistique (Le degré zéro de l’écriture). D’ailleurs, certains passages du roman reprennent le lexique et les termes de Barthes dans son essai :

« Le langage, je commence à le comprendre, n’est jamais anodin. Il révèle toujours, même lorsqu’il s’efforce d’être neutre, les plis profonds de la personnalité humaine. Il n’y a pas de degré zéro du langage, un degré qui serait impersonnel et séparé des effets ou de la nature de l’individu qui s’exprime, un langage des choses. Cela ne peut pas exister ».

Une super lecture, mais…

Mais quand même, des petits cailloux dans la chaussure.

D’abord, c’est court. D’un côté, tant mieux, parce que les vannes finissent par être répétitives à la longue. Mais d’un autre côté, je ne dirais pas qu’on survole mais ça va assez vite, et j’ai trouvé la fin vraiment abrupte.

Un peu déçue aussi par la peinture très stéréotypée des personnages. La mère de famille débordée qui se prend la charge mentale, le mari un peu à côté de ses pompes qui fait sa crise de la quarantaine, leur aînée véritable stéréotype de l’ado boutonneuse et stupide qui parle comme un charretier, et la cadette aussi naïve et mignonnette qu’une gamine de 10 ans. On se croirait dans un dessin animé. Tiens, ça m’a fait penser aux Razmoket. Le caractère de chaque personnage est presque une caricature, et du coup la réflexion sur le langage m’a semblé biaisée tant la manière de parler de chacun est exagérément accentuée. C’est particulièrement flagrant avec Zoé.

Enfin, l’intrigue est passionnante et j’ai été surprise de me planter sur l’intégralité des événements. Mais je regrette quand même que la fin retombe dans quelque chose de déjà vu et lu dans bon nombre de polars. Et c’est un peu dommage parce qu’on renoue avec une intrigue très humaine aux ressorts tout aussi humains… J’imagine alors que la « morale » de l’histoire pourrait être que l’humain est tellement imprévisible et indéfinissable dans son ensemble, dans son identité même d’humain, qu’il met en échec tous les algorithmes et IA. On en serait presque attristé, pour le coup…

En pratique

Christopher Bouix, Alfie

Au diable Vauvert, 2022

Couverture : ?

#PLIB2023 #ISBN9791030705614

Autres avis : Une petite pépite pour Le Maki; « tragi-comédie d’anticipation réjouissante, intelligente et prenante » pour le blog Sur mes brizées ; un roman drôle, con et intelligent pour Le chien critique. Lecture agréable qui a permis à Le nocher des livres de cogiter encore un peu sur les IA.

Alfie est un roman d’anticipation de Christopher Bouix, qui met en scène une IA au sein d’une famille lambda. Le roman nous emmène dans une société hyper connectée, qui pourrait être la nôtre dans quelques temps; en tout cas, l’environnement du récit nous est très familier. Au-delà d’une vision cynique de cette société et de nos modes de vie, Alfie est un roman haletant, un bouquin dont on fait défiler les pages à la vitesse grand V, suivant cette IA qui tente de comprendre dans quel merdier elle a mis les pieds. C’est vrai ce que dit Le chien : c’est con, mais très drôle, et fichtrement intelligent, tant le fossé qui sépare ces humains étranges et l’IA donne lieu à des réflexions pertinentes sur le langage et sa portée. Malgré quelques petits cailloux, pas bien méchants… J’ai grave kiffé ma lecture. C’était ouf, j’te jure.

12 commentaires sur “Christopher Bouix – Alfie – #PLIB2023

Ajouter un commentaire

  1. Peut-être un poil trop « contemporain » pour vraiment me séduire, j’ai souvent du mal à imagines ses futurs.
    Mais pourquoi pas, un peu plus tard, car j’aime les thématiques IA.

    1. je comprends tout à fait ton ressenti, j’ai souvent du mal avec les récits contemporains, qui ne me font pas souvent rêver. Mais j’aime quand ça me fait sourire. C’était le cas ici. J’espère que si tu le lis un jour, tu apprécieras Alfie et ses remarques qui prêtent à sourire 🙂

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Fièrement propulsé par WordPress | Thème : Baskerville 2 par Anders Noren.

Retour en haut ↑