Avis flash #19 – mai 2024

Deux novellas et deux romans pour ce numéro d’avis flash #19, avec au menu :
Les étoiles ne fileront plus, d’Élodie Serrano
Au cœur des méchas, de Denis Colombi,

L’hôtel de verre, d’Emily St John Mandel,
Les quinze premières vies d’Harry August, de Claire North

Élodie Serrano – Les étoiles ne fileront plus

Une autrice que je n’avais encore jamais lue. J’avais repéré sa novella il y a peu de temps, et je me la suis procurée à Ouest Hurlant. Une novella qui m’a plu et que j’ai lue d’une traite. Les étoiles ne fileront plus est en fait un recueil qui contient cette novella, puis une nouvelle qui est une sorte d’épilogue à la novella et un court essai. Celui-ci, si j’ai bien compris, est en fait le sujet de la thèse de l’autrice, qui est vétérinaire. Novella et nouvelle se déroulent dans le même univers que le roman précédemment paru chez Plume Blanche, Les baleines célestes.

Résumé

Camille Grandbois a deux passions : l’astronomie et la cryptozoologie. Deux disciplines qui la mettent sur la piste de la première espèce extraterrestre découverte par l’homme : les baleines célestes. Or, ces créatures, aussi belles soient-elles, se révèlent destructrices et deviennent vite gênante aux yeux d’une humanité en pleine colonisation galactique.

Camille devient le porte étendard de la cause des baleines. Mais est-il seulement possible de les protéger de l’être humain ?

Avis flash

Ce n’est pas la plume qui m’a charmée dans cette novella. En effet, j’ai trouvé le ton, le registre et le vocabulaire assez courants, ce qui permet toutefois de rentrer très facilement dans le texte, sans difficulté. J’ai beaucoup aimé les personnages, notamment celui de Camille, chercheuse. L’autrice, par le biais de ce personnage, nous permet d’entrer dans le monde fascinant de la recherche. Elle aborde en effet plusieurs aspects : la question des subventions, celle de la publication, la manière dont on élabore une méthodologie d’enquête sur le terrain… C’est passionnant, cela tient la route, et on sent l’expérience de l’autrice derrière, qui sait de quoi elle parle.

D’autre part, j’ai beaucoup aimé cette créature de la baleine céleste. J’ai aimé l’approcher et la découvrir au gré des recherches et des avancées de celles-ci. On la comprend de mieux en mieux au fil des pages. D’ailleurs, lecteur se fait ainsi lui-même explorateur, scientifique et chercheur. C’est vraiment très bien mené. Cela amène aussi de très belles pages, qui m’ont fascinée. C’est là que j’ai trouvé que la plume d’Élodie Serrano se libérait davantage pour offrir de l’émotion.

Évidemment, l’amertume n’est jamais loin. Ainsi, le dernier tiers de la novella est particulièrement percutant. Parce qu’il évoque un quotidien que l’on connait bien (les espèces en voie de disparition et la manière de les protéger vs les intérêts socio-économiques des différentes entités autour : pays, états, villes etc.) . Ici, la baleine céleste est déjà menacée à peine sa découverte faite. On devine la fin et le sort réservé à ces créatures assez rapidement. Mais cela va de pair avec un constat là encore très amer que l’on se fait tout au long du récit. En effet, comment pourrait-il en être autrement, de toute façon ?

J’ai particulièrement aimé la construction du récit, avec des extraits de revues et d’interviews postérieurs au récit. Ceci permet d’avoir le recul, la lucidité et une hauteur de vue sur l’histoire qui se déroule. D’ailleurs, j’ai trouvé le final très très réussi, et là c’était une vraie surprise. La nouvelle À l’épreuve du temps constitue une sorte d’épilogue très bien intégré dans l’histoire. Elle apporte une ouverture qui poursuit la réflexion menée dans la novella. Enfin, l’essai de l’autrice est très intéressant, avec une bibliographie très fournie.

Denis Colombi, Au cœur des méchas

Résumé

   Quand on ne peut plus faire l’économie des combats titanesques face aux assauts répétés de la menace extraterrestre, ne reste qu’une solution pour sauver l’humanité : l’amputer d’une fraction de sa population en l’envoyant travailler au cœur des Méchas. Mais pour combien de temps, encore ?‍

Avis flash

J’ai lu beaucoup de chroniques qui commençaient par « si vous avez aimé Pacific Rim ou Goldorak, vous allez adorer ». Mais je n’ai vu ni l’un ni l’autre et je ne connais vraiment pas du tout. J’ai donc commencé ma lecture de la novella un peu à l’aveugle. Sûrement aurais-je davantage apprécié ce texte si j’avais vu certaines scènes de Goldorak, puisque la novella semble s’en être pas mal inspirée.

Les Titanides sont des extraterrestres qui attaquent notre monde. En face, les Méchas sont des robots géants pilotés par des humains d’abord, tellement augmentés ensuite qu’on parle de mutants. Ces derniers sont assistés par toute une foule de technicien.nes et de mécanos à l’intérieur du Mécha.
La narratrice raconte, pendant qu’elle assiste à une baston, ce qu’elle a vécu en tant que mécanicienne, et tout ce que cela implique. C’est ainsi un dialogue fictif tout au long du récit, entre elle et un narrataire fictif, ici le lectorat. Elle nous emmène au cœur des méchas, pendant qu’on est au cœur de l’action et d’une histoire dont on ignore le passé. C’est désarçonnant pour qui aime bien savoir où iel met les pieds, mais ce n’est pas ça qui compte, ici.

Au cœur des Méchas est un texte particulièrement efficace. Finalement, ici, on ne saura jamais quand on est, comment sont arrivés ces extraterrestres ni ce qu’ils veulent (même si on s’en doute). Et ce n’est pas ça l’important. Cette fois, on s’intéresse aux petites histoires, celles des individus inconnus et cachés qui font marcher ces robots géants. J’ai beaucoup aimé la manière dont la mécanicienne évolue au fur et à mesure de son récit. D’abord très enthousiaste, elle évoque ensuite plusieurs fois sa perplexité face à certains événements, pour terminer sur une colère sourde qui lui donne des idées de vengeance. On a donc un texte qui va crescendo dans le discours, en parallèle de la course à l’augmentation sans limites des pilotes.

Recouvrant toutes les fonctions d’un narrateur, la mécanicienne rend son récit vivant en racontant de manière non linéaire, alternant passé et présent avec le recul de celui qui analyse son propre discours et ses actes passés. Ce décalage amène alors une prise de conscience sur son rôle passé et sa propre humanité face à celle des machines. Les machines sont-elles ces colosses robotiques, ou bien les petites mains à l’intérieur qui sont complètement invisibilisées et qui fonctionnent comme de bons petits soldats ? Un texte percutant, efficace et précis, qui manque simplement, selon moi, d’une force émotive.

Emily St John Mandel, L’hôtel de verre

Enfin, ma rencontre avec Emily St John Mandel. J’avais bu ses paroles à Utopiales dernières, et je n’étais pas restée insensible aux retours très enthousiastes de mes camarades Le Maki et Le nocher. J’avais d’ailleurs partagé les premières lignes de ce texte il y a quelque temps. Alors, qu’en est-il ?

Résumé

Sur l’île de Vancouver, au bout du monde, l’hôtel de verre est fréquenté par une clientèle riche, qui veut rompre avec « la civilisation connectée ». Paul et sa sœur Vincent y travaillent. Un soir, alors qu’on attend l’arrivée d’un milliardaire, le gérant découvre avec horreur un tag gravé sur l’une des parois transparentes: « Et si vous avaliez du verre brisé ? »

À l’hôtel Caiette, mais aussi à Vancouver et à New York, des vies vont prendre un tour imprévu et souvent dramatique. Comme un papillon au Brésil peut causer une tempête au Texas, un verre au bar de l’hôtel Caiette peut ruiner une existence…

Avis flash

Ben, pfff. Disons les choses d’emblée, comme ça c’est fait : c’était une lecture sympathique, mais franchement pas ébouriffante. Agréable à lire, mais sans plus.

L’hôtel de verre se lit tout seul. Après la difficulté de La couleur du froid, pouvoir me reposer sur un bouquin tranquillou c’était fort bienvenu. Parfait pour m’endormir le soir, aussi. Ça n’a pas été le coup de foudre espéré mais je n’ai pas détesté ma lecture ni eu envie d’abandonner.

Emily St John Mandel a une manière d’écrire, de décrire et d’évoquer des instants épars, fugaces, bien à elle. On croise, durant la première partie, tous ces différents personnages lambda, à la vie somme toute banale. L’autrice en fait quelque chose d’assez beau, doux-amer, mélancolique… D’autre part, la première partie est un vrai puzzle dont on se demande quelle pièce va avec une autre, où tout cela nous mène etc. Petit à petit, l’autrice tisse un réseau de relations, de personnages et de moments de vie qui se croisent, se défont, se recroisent… C’est assez plaisant. J’ai beaucoup aimé la plume de l’autrice, très vaporeuse, à l’image de ces lieux au bout du monde…, un peu mystérieux, aussi. Beaucoup aimé également la tonalité un peu fantastique mais pas trop, toujours sur le fil entre imaginaire et blanche.

L’ennui, c’est que la deuxième partie devient beaucoup plus classique, centrée sur la chute d’un magnat financier (une transposition en imaginaire d’un personnage réel). Ce n’est pas dépourvu d’intérêt mais… Disons que si la première partie vide l’intégralité des pièces sur la table (ce que j’adore), la deuxième se recentre davantage sur une des zones du puzzle avec des pièces déjà triées (et ça c’est beaucoup moins amusant, de mon point de vue). Et surtout, je regrette vraiment un final franchement pas inoubliable de mon point de vue. Disons que je m’attendais à une tempête et j’ai eu une petite brise. De ce fait, je ne suis pas certaine d’en retenir grand-chose.

Mais que les supporters et supportrices de l’autrice se rassurent : je lirai volontiers son roman suivant, La mer de la tranquillité. En revanche, vu comment je me suis grave ennuyée en visionnant Station Eleven (au point d’abandonner la série), clairement celui-là je ne suis pas certaine d’avoir envie de m’y frotter.

Claire North, Les quinze premières vies d’Harry August

Dernier retour pour cet avis flash #19 : ce roman de Claire North. Je suis très très fan de ses novellas, La maison des jeux ou encore Sweet harmony. D’ailleurs, à ce sujet, vous pourrez m’entendre raconter plein de choses sur ce bouquin dans le prochain épisode du podcast Les grimoires de l’imaginaire, qui sort demain. J’espère n’avoir pas raconté trop d’âneries (première fois que je fais un enregistrement pour un podcast, on croit que c’est tout bête mais en fait : non). Bref, j’attendais de voir ce que ça allait donner, la verve piquante et ironique de Claire North en grand format. Les premières lignes m’avaient bien plu.

Résumé

Harry August se retrouve sur son lit de mort. Une fois de plus. Chaque fois qu’Harry décède, il naît de nouveau, au lieu et à la date exacts auxquels il est venu au monde la première fois, avec tous les souvenirs de ses précédentes vies.

À la fin de sa onzième vie, une petite fille apparaît à son chevet, lui annonçant que la fin du monde arrive plus vite que prévu. Harry va alors essayer de sauver un passé qu’il ne peut changer, et un futur qu’il ne peut accepter.

Avis flash

Résultat des courses : moui, bon, d’accord, mais bof. JE SAIS, je râle tout le temps et vous allez ENCORE croire que j’aime jamais rien. Que je vous explique.

J’ai bien accroché au début. J’ai lu d’une traite, quasiment, le premier tiers. On explore d’abord les premières vies de Harry. Rappelez-vous : le roman commence à la veille de sa 11e mort. On parcourt dans un premier temps tout ce que le personnage a vécu précédemment. Chacune est un peu différente de l’ancienne, et c’est pas mal. Surtout, l’autrice mène un récit dans un désordre apparent (mais en fait, ça a du sens), ce qui ajoute un peu de rythme et de dynamisme. À l’image du temps, les liens se font entre les différentes vies du personnage. Ce premier tiers permet aussi de comprendre comment le temps est manipulé par ces personnages qui renaissent sans cesse, et ce que cela implique (si vous avez vu Le retour dans le futur II vous voyez de quoi je parle).

Donc un début prometteur, assez rythmé, même si à la longue, Un jour sans fin ça va bien, quand même. Une fois, d’accord, deux fois, humpf, et alors cinq fois, casse-bonbons. Le côté répétitif m’a lassée. Il ne se passe pas grand-chose, et j’ai la sensation de m’enliser.
Et au moment où je commence à me dire que là faudrait que ça se bouge un peu, vient un deuxième tiers MORTEL. Sans mauvais jeu de mots. Je perds le côté percutant, ironique, foudroyant et direct de la plume de l’autrice, et je m’embourbe dans un récit qui, malgré la rupture de la linéarité, m’ennuie prodigieusement. Honnêtement, entre ses 4e/5e et sa 11e vie, je ne pourrais pas vous parler en détails de ce qu’il a fabriqué, à part que c’était loooooooooong.

Il m’a fallu attendre le retour à la case départ pour être de nouveau titillée par la curiosité. Quand l’autrice revient à la scène introductive, je me dis que là, ça y est, ça va se remuer un peu. Et là, enfin, j’apprécie pleinement ma lecture. Je ne retrouve pas la plume incisive et directe de l’autrice, en revanche je retrouve son talent pour construire/déconstruire un récit. De nouveau elle me captive et m’offre un final passionnant et bluffant. Ce dernier tiers est mené tambour battant, avec finesse et ruse, à l’image du personnage principal. C’est aussi haletant qu’un bon thriller, et j’ai adoré aussi lire les répercussions des actes de chacun sur ce fil qu’est le temps, en découvrir les ramifications. Comme dans une uchronie. Sauf qu’ici, on la voit en plus naître, et ça c’était vraiment chouette. Juste assez déçue que ça arrive si tardivement…

Avez-vous déjà lu l’un de ces textes ? Qu’en avez-vous pensé ? Si vous ne les avez pas encore lus, l’un d’entre eux vous tente-t-il ? Comme vous pouvez le constater, 4 avis assez courts cette semaine, pour des textes qui auraient certainement mérité davantage. Malheureusement, je lutte contre le temps en ce moment, et c’est aussi pour cette raison qu’il n’y aura pas de premières lignes dimanche – je serai aux Imaginales et n’ai pas le temps de programmer un billet d’ici là. On se retrouve donc la semaine prochaine pour une chronique au format habituel ! Belle semaine 🙂

7 commentaires sur “Avis flash #19 – mai 2024

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  1. C’est marrant parce que autant j’ai un avis très proche pour le Emily St. John Mandel – c’est ok mais sans plus – autant j’ai adoré le Claire North. Ça ne me donne donc aucune indication sur mon appréciation potentielle des deux autres. 😄

    1. C’est incroyables les différences de perception et de ressentis ! Si j’ai apprécié le dernier tiers du Claire North, j’ai quand même eu la sensation de lire une autre plume que dans ses novellas, c’est assez fou.
      Alors effectivement, je serais bien en peine de te conseiller sur les deux autres, je ne sais pas du tout ce que tu en penserais ! Mais comme ce sont aussi deux novellas, tu ne perds pas grand-chose à y jeter un œil ^^ J’ai cependant eu plus d’émotions avec les baleines célestes du texte d’Elodie Serrano.

  2. Mince le résumé de L’hôtel de verre me plaisait bien mais tu ne sembles pas vraiment emballée par ta lecture, ni plus ni moins quoi. 🤭 Par contre il faudrait vraiment que je me lance dans un récit de Claire North, mais je miserai plus sur Sweet Harmony ou La maison des jeux alors 🙂 Merci pour ces avis flash Zoé !

    1. Oui voilà, ni plus ni moins, en effet. Ça ne m’a pas foudroyée en tout cas.
      Quant à Claire North, oui je te conseillerais plus volontiers ses novellas ! 🙂

  3. Je ne sais pas si tu vas continuer à suivre mes avis… Emily St John Mandel et Claire North sont mes deux autrices phares !!! et tu n’es pas très enthousiastes… 😉

    1. Mais j’aime beaucoup Claire North. Je la préfère juste en format court. Et je vais poursuivre St John Mandel, avec La mer de la tranquillité.
      Donc oui je vais continuer de suivre tes avis, ça me fait sortir un peu de mes habitudes. Et au pire, on sera d’avis différents, mais… ça ne changera pas de d’habitude 😀

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