J’avais beaucoup aimé ma lecture des deux premiers tomes de l’Odyssée de l’espace d’Arthur C. Clarke, 2001 et 2010. J’ai donc emprunté à la bibliothèque pour l’été Les fontaines du paradis, qui avait été conseillé par Apophis dans son billet sur la hard SF. Je l’ai lu pendant mes vacances à la montagne. C’était assez marrant de m’imaginer un ascenseur spatial quand j’étais en randonnée autour du mont Cervin, et de comprendre pourquoi les moines de Taprobane n’étaient pas très chaud à l’idée… !
Synopsis
« Lorsque Vannevar Morgan arrive à Taprobane un jour de l’an 2142, cet ingénieur de génie — à qui la Terre doit déjà le Pont qui unit l’Europe à l’Afrique — est tout entier tendu vers un nouveau projet.
Il veut construire un immense Transporteur Spatial qui, grâce à un réseau de cristal de diamant, reliera la Terre à l’Espace, sera comme un escalier menant aux étoiles. Ce sera le début de la civilisation interplanétaire.
Un obstacle demeure. Il n’y a pour le Transporteur qu’un seul site d’implantation possible : le sommet de la Montagne Sacrée de Taprobane. Et là, dans un monastère, des moines prient depuis un temps immémorial…
L’ingénieur et le vénérable gardien du lieu s’affrontent. Le dynamisme de la science contre la foi inébranlable, la technologie conquérante contre la sagesse sans armes… »
Un roman de hard SF très abordable
Les fontaines du paradis c’est plutôt un roman d’ingénieur. Il raconte le projet fou de construction d’un ascenseur spatial sur plusieurs milliers de km. C’est tout l’enjeu du roman, exploré dans toutes ses facettes : politiques, éthiques et religieuses, et surtout scientifiques et techniques.
300 pages et plusieurs années interrompues par quelques ellipses, pour voir se dresser la construction immense qui supportera l’ascenseur. Et évidemment, quelques impromptus et contretemps viennent ponctuer le récit, interrogeant la faisabilité, la portée et les conséquences de cette invention. Contrairement à pas mal de bouquins de SF où les technologies avancées en jeu sont déjà effectives, ici tout est à faire. Et on va se heurter à des problèmes. On va donc parler mécanique, techniques, sciences… Comme une sorte de mode d’emploi. J’ai adoré ce double concept : celui de l’ascenseur et aussi celui d’une SF qui se construit.
Mais avec Arthur C. Clarke, ce n’est pas aussi casse-tête qu’un mode d’emploi basique. Vous comprendrez mieux comment monter un ascenseur spatial que votre étagère Billy. J’avais déjà remarqué ça avec 2001. L’auteur sait faire passer la pilule. Il explique, se fait pédagogue, sans que ce soit non plus un cours de physique imbitable. Nulle difficulté dans ce texte, vous pouvez tout à fait l’aborder sans avoir fait d’études scientifiques. Ainsi, vous apprendrez très facilement tout sur le concept d’ascenseur spatial, qui n’est pas nouveau à l’époque (Clarke s’est inspiré de travaux déjà existants sur le sujet, et avait aussi rédigé un papier là-dessus; pour rappel, l’auteur était également écrivain scientifique, inventeur et explorateur sous-marin).
Un talent de conteur
Comme je le disais plus haut, tout ceci pourrait paraître assez aride, mais Arthur C. Clarke est un conteur de talent, qui n’oublie jamais qu’il écrit du roman.
La structure du roman
Même s’il ne se passe pas non plus 50 millions de choses à la seconde, Les fontaines du paradis est un roman passionnant et captivant. L’intrigue (la construction, donc) s’étire sur plusieurs années, et est très facile à suivre, composée d’une trame principale avec quelques petits retours dans le passé.
On pourrait se dire qu’au bout de 200 pages il y en a marre de ce fichu ascenseur, mais non. Car la curiosité l’emporte, et la manière dont la hard SF et le côté romanesque se mélangent est habile. En effet, on reste toujours dans un roman, même si celui-ci s’imbrique avec un historique avéré (il est par exemple fait mention du Russe Yuri Artsutanov, qui a relancé le concept de l’ascenseur spatial en 1960 en proposant notamment l’idée d’un câble suspendu).
De ce fait, on a dans ce roman tous les attirails traditionnels du roman : des personnages dont on suit le destin, des péripéties, du suspense, quelques petits cliffhangers à la fin des chapitres, du rythme… Mais des personnes pourraient trouver que c’est mou du genou, car la tension dramatique n’est pas non plus hyper développée.
Une plume simple mais captivante
L’écriture de Clarke est par ailleurs assez unique et reconnaissable. L’auteur a une plume enveloppante, poétique mais simple, directe sans être précipitée. Avec lui, pas besoin de 50 000 métaphores, mais le bon mot exact à la bonne place, et de la simplicité joliment enrobée. De manière imagée, je trouve que sa prose est comme la crème fraîche dans les épinards. Ca donne non seulement un petit goût bien sympathique mais aussi une texture plus consistante, crémeuse. Ca passe mieux, avec un petit peu de crème. « C’est bon, c’est fin et ça se mange sans fin ». Hé bien là, c’est pareil.
Je ne peux pas dire que j’ai lu énormément de hard SF encore, mais de ma petite expérience, Clarke est l’auteur qui a su le mieux me captiver avec un texte aussi savoureux que pointu.
Des questionnements éthiques et religieux
Duel technique/religion
Ce que j’aime aussi beaucoup avec cet auteur, c’est le lien souvent très étroit qu’il fait avec l’exploration d’un univers tellement grand et inconnu qu’il nous dépasse, et des considérations empreintes d’une certaine religiosité.
C’était déjà le cas avec L’odyssée de l’espace, mais c’est encore plus flagrant ici puisque ce projet d’ascenseur spatial doit idéalement se monter à Taprobane, là où résident depuis des siècles des moines. Un dialogue sciences-religion dont on pourrait se dire qu’il enfonce des portes ouvertes, mais Clarke nous surprend. Car ces moines sont parfaitement au fait des sciences récentes, entourés de spécialistes et amateurs eux-mêmes d’astronomie et d’astrophysique. La dichotomie entre les deux est donc beaucoup moins marquée, évidente, et débouche sur des questionnements particulièrement passionnants : les limites de la science, la portée et les conséquences des innovations, la poids de la culture et des croyances humaines face aux techniques, le passé face à l’oubli des siècles qui passent…
Un pont entre passé, présent et avenir
J’aime d’ailleurs la manière dont le titre du roman fait lui-même un pont entre ce projet scientifique et le passé de Taprobane (l’île de Ceylan dans les textes grecs anciens). Le titre vient d’une citation du franciscain Jean de Marignol : « De Taprobane au Paradis, il y a quarante lieues, et là peut s’entendre le murmure des fontaines du Paradis ».
Le début du roman alterne plusieurs chapitres dédiés à différents personnages, situés dans le passé et dans le présent. Ces différents récits se font alors écho. J’ai aimé ce concept de pont, non seulement entre la Terre et l’espace mais aussi entre le passé et le présent (et l’avenir, dont il est question dans le roman). Cet ascenseur spatial est une sorte de tour de Babel, comme les fontaines du paradis. Autre point de vue qui relie le roman à toute une culture religieuse et antique.
Un roman avec une importante densité en définitive : plutôt court mais incroyablement rempli de surprises et de réflexions captivantes.
En pratique
Arthur C. Clarke, Les fontaines du paradis
Folio SF, 2012 // 1ère version française : Albin Michel, 1980
Couverture : Alain Brion
VO : The fountains of paradise, 1979
Traduction : Georges H.Gallet
Prix Nebula du meilleur roman, en 1979, prix Hugo du meilleur roman, en 1980
Essai transformé avec ce roman d’Arthur C. Clarke. J’avais beaucoup aimé L’odyssée de l’espace, Les fontaines du paradis m’ont plu également. j’y ai retrouvé la plume simple mais poétique de Clarke, sa précision technique et sa capacité à me captiver. J’ai également apprécié retrouver tous les questionnements éthiques, religieux et métaphysiques que j’avais déjà rencontrés dans 2001 et 2010. Alors certes, ce n’est pas très original de le dire, mais Clarke est devenu pour moi une valeur sûre. Il va falloir que j’explore davantage sa production pour dénicher d’autres belles œuvres de ce type, s’il y en a d’autres.
Merci pour la reco. Je pense que je vais me laisser tenter. De la hard SF abordable, ça me va bien.
Oui n’est-ce-pas ? ^^ C’est assez rare, et puis que ce soit captivant et romanesque avant d’être technique/encyclopédique aussi. Je n’ai pas encore lu bcp de hard SF mais les qques titres que j’ai lus m’ont donné l’impression que c’était un dosage difficile à faire, peu y arrivent. Contente que mon retour t’ait donné envie, j’espère que ça te plaira autant qu’à moi !
Autant L’odyssée ne m’intéressait pas autant ton avis enthousiaste sur Les fontaines du paradis me donne envie de la lire.
L’Odyssée c’est vrai qu’il faut se farcir un double pavé, et c’est très métaphysique par moments. Les fontaines c’est un roman plus terre à terre mais captivant, je pense qu’il est plus adapté au grand public (sans connotation péjorative).