Adrien Mangold – Seconde humanité

Ce titre-là avait attiré mon attention aux dernières Imaginales. Je l’avais laissé dans un petit coin de ma tête, et puis je me le suis procuré à Ouest Hurlant, dédicacé par son auteur. Seconde humanité est un roman SF d’Adrien Mangold, paru aux éditions HSN. Une histoire de pandémie mondiale en pleine pandémie mondiale : loin de me faire peur, ce type de clins d’œil m’intéresse, pour faire des parallèles entre imaginaire et réalité… Encore plus quand, comme ici, le roman est paru avant la crise du covid (2018).

Synopsis

César Séfria voit son destin bouleversé par une infime erreur. De son laboratoire s’échappe un virus qui provoque une pandémie en voie de décimer une grande partie des rescapés du Grand Bleu, catastrophe écologique planétaire. L’antidote échappe aux plus grands cerveaux, et la situation presse.

À court d’idées, il se réfugie dans la lecture d’un manuscrit qui transcrit les derniers moments de cette apocalypse et suit quatre destins croisés, duos improbables, qui se battent pour sauver la Terre de la montée critique des océans et de son asphyxie.

Un premier roman aux très bonnes idées

Seconde humanité, trois plans temporels

C’est la première chose qui frappe dans ce roman : la multitude de plans temporels, éclatant l’intrigue avec une petite sensation de vertige bienvenue.

En effet, le roman s’ouvre dans le futur, avec une narration proche du style journalistique. Une sorte de niveau extradiégétique qui offre un recul sur le récit auquel il se réfère, comme pour le commenter. On ignore qui est à l’origine de ces courts focus historiques sur les débuts d’Octavia, la pandémie qui est apparue 1000 ans auparavant. Et c’est cette épidémie qui est le récit principal du roman.

Je dis principal car le roman offre une construction enchâssée, avec un récit secondaire emboîté dans le premier. Ce récit enchâssé est un manuscrit qui arrive entre les mains de César, racontant comment 100 ans plus tôt quelques personnes ont contribué à la fin de l’Apocalypse qui a suivi la montée brutale des eaux, le Grand Bleu (rien à voir avec Besson, ne cherchez pas).

On a donc une construction complexe, intéressante et dynamique, qui de suite donne énormément d’ampleur au roman. Rupture de linéarité, points de vue temporels plus intéressants que de simples flash-back… Vraiment pas mal.

Une écriture caméléon

La plume d’Adrien Mangold m’a également séduite. Du moins, en partie. Mais quand même beaucoup. C’est flou, je sais. Mais attendez, je vous explique.

J’ai adoré le premier tiers du roman. Jusqu’au récit emboîté, en fait. J’ai trouvé l’écriture percutante, presque clinique. Il se passe des choses très brutales, inhumaines, douloureuses, très rapidement. N’espérez pas vous tourner les pouces jusqu’à la page 50, car vous allez vous en prendre plein la figure. C’est percutant dans le sens où le narrateur est César, et qu’il écrit au présent. Alors même si je suis toujours aussi peu convaincue par la narration au présent d’un roman d’aventures (ou du moins, où il se passe des choses, contrairement à un récit contemplatif), j’ai trouvé que ça marchait bien. Car il y a une distance terrible entre le narrateur et ce qu’il raconte. Comme s’il racontait une scène qui se déroule devant ses yeux sans qu’il en soit partie prenante. Il se détache de lui-même d’une façon assez tranchante, et c’est violent. Ce qu’il raconte en ressort encore plus acéré. J’ai été scotchée par ce premier tiers.

En revanche, je me suis perdue dans le manuscrit. J’ai moins aimé l’alternance des focus sur les différents personnages, et il se passe beaucoup de choses; le rythme s’accélère. On est davantage dans l’action. Cependant, j’ai trouvé ça assez chouette, parce que le style s’adapte : en effet, le narrateur n’est plus le même. Narration à la troisième personne, visiblement omnisciente, beaucoup moins passionnée et personnelle (à mon goût).

Bref, des différences de style qui ne m’ont pas toujours plu, mais j’ai malgré tout apprécié qu’elles soient là, et qu’elles collent si bien à ce qui est raconté, comment et par qui. Là encore, très bien joué. Ecriture caméléon, dans le sens « qui s’adapte au récit, aux personnages, au contexte », donc.

Avec des bémols

Mais oui, j’ai des bémols. Des cailloux dans la chaussure. Rien de bien grave, mais vous savez, c’est le genre de trucs qui est embêtant quand on marche.

Quelques trucs bizarres

Vous le savez sûrement si vous me suivez sur Instagram, mais j’ai pas mal papoté avec l’auteur, pendant et surtout après ma lecture. Parce qu’il y avait des choses qui me paraissaient bizarres. Qu’il en soit ici grandement remercié ! Pour sa patience, ses retours et avis… Si je dois bien trouver un truc positif aux réseaux sociaux, c’est bien ça 🙂 Bref, ces échanges ont permis de lever quelques doutes, mais d’autres persistent.

Par exemple, dans le premier tiers, c’est la course contre la montre. C’est que la pandémie est bouleversifiante : vous crevez en 72h avec la chair à vif, c’est pas joli. Bref, César doit se remuer le popotin pour aller au laboratoire et trouver un antidote. Malgré cela, il a le temps de faire le guide touristique pendant un bon moment et de nous expliquer l’architecture de la ville. Hum, César, MAGNE-TOI UN PEU !!

J’avoue avoir eu aussi un peu de mal à saisir également le pourquoi du manuscrit, pourquoi maintenant et pas plus tôt, et pourquoi ce choix de narration dans le manuscrit… Bref, sans doute des questions pas forcément opportunes mais vous me connaissez, j’aime bien comprendre qui parle, quand, à qui, pour quoi, et là, j’ai eu du mal à me raccrocher aux branches.

Enfin, je ne sais pas si on peut appeler ça incohérences scientifiques, mais quand même, une montée des eaux telle que la majorité des terres finit sous la flotte, ça me paraît difficile à justifier. Sans compter qu’on ne sait pas vraiment comment on en est arrivé là (même si ce n’est pas le sujet).

Un manque de cadre

Alors là, je sais que mes propos vont être en totale contradiction avec ce que je mentionnais plus tôt à propos du narrateur qui joue le guide touristique. Mais… j’ai parfois manqué de cadre. J’ai vraiment eu du mal à me figurer dans mon esprit les lieux. J’imagine que l’auteur voulait peut-être laisser travailler notre imagination. Malgré tout, la couverture qui claque laisse présager un monde très différent du nôtre, et j’aurais aimé, plus souvent, en avoir une idée plus précise.

Notamment quand on parle des villes sous-marines. Attendez, quand même, des villes sous-marines ! N’avez-vous pas envie, vous, d’avoir quelques précisions sur ce à quoi elles ressemblent ? Moi, si.

Un emboîtement bancal

L’emboîtement d’un récit dans un autre est un procédé intéressant, toutefois je n’ai pas été complètement convaincue ici.

Pourquoi ?

D’abord parce qu’il crée une rupture de rythme énorme. Il prend la moitié du bouquin, et il faut s’adapter à de nouveaux personnages, comprendre qui ils sont, ce qu’ils font, ce qu’ils veulent. Il m’a fallu pas mal de temps pour tout saisir. Et quand c’était fait, bam, c’était fini. D’autre part, son style m’a moins séduite.

D’autre part, j’aurais aimé que cet emboîtement offre une réelle mise en abyme avec son aspect vertigineux provoqué par la réflexion infinie. Pour cela, il aurait fallu par exemple que le narrateur s’y retrouve, or ce n’est pas le cas. Certes, un personnage semble commun aux deux récits, mais en fait, le manuscrit n’est qu’un témoignage d’une époque passée. Il manque le côté reflet miroir. Un emboîtement ne crée pas systématiquement de mise en abyme.

D’autre part, l’intérêt d’une mise en abyme réside dans l‘interrogation de ce qui définit sa propre nature, de ce qui la génère. Prenez Les ménines de Velasquez par exemple. Là, la mise en abyme est totale. En effet, on voit un miroir refléter ce qui est en train de se peindre mais on a aussi une réflexion et un témoignage sur le travail du peintre à l’œuvre. La mise en abyme s’interroge donc sur elle-même, sur les conditions de sa création et sur le matériau qui l’a fait naître. Dans La mer sans étoiles, c’est une réflexion sur le livre, les mots, et l’imaginaire qui est proposée.

Bref, tout ça pour dire que l’emboîtement créé ici est certes fort opportun sur le plan narratif, mais il manque selon moi de profondeur et ne permet pas en l’état d’offrir ce vertige entre les deux récits – emboîtant/emboîté.

Relecture

Et oui, je sais que je suis TRES pénible à ce sujet, mais quand même : une relecture supplémentaire n’aurait pas été de trop. La relecture c’est la cerise sur le gâteau, le petit verre de blanc avec le saucisson, l’amande douce dans le shampoing, la flanelle dans les draps… C’est ce qui fait que c’est parfait. Alors une ou deux coquilles, ça passe, mais zapper des fautes qui font un peu grincer des dents, ça ne valorise pas le livre. Ce n’est pas dramatique, mais c’est dommage !

Un roman visionnaire ?

Malgré mes quelques réserves, il y a un propos sous-jacent qui m’a plu.

Ecologie et cie

On y parle d’abord écologie, avec la brusque montée des eaux. Alors certes, cela pose des questions de crédibilité comme je l’ai mentionné plus haut, mais peut-être que dans le fond, on s’en fout un peu en fait, car que le principal n’est pas là. On pourrait voir cela comme une fable (mais en moins drôle) sur l’adaptation et la survie de l’humanité face à une situation apocalyptique. L’ampleur de celle-ci n’importe pas vraiment, finalement, comparée aux vraies questions qui demeurent : et maintenant, on fait comment ?

A cette question d’écologie répond celle d’urbanisme, qui est liée. Comment vivre avec 10% des terres émergées ? Comment se prémunir de la montée des eaux ? Là, l’auteur apporte des réponses intéressantes que j’aurais aimé voir davantage développées (les fameuses villes sous-marines notamment). La question du mur est d’ailleurs très pertinente ! Et ironique… L’Homme se réfugie toujours derrière ses murs.

Quoi ? L’humanité

Par ailleurs, le cœur du roman n’est pas tant SF qu’humain, profondément. On y suit des personnages qui s’adaptent tant bien que mal, cherchent à trouver du sens à leur vie, ou simplement à la sauver. Seconde humanité présente plusieurs comportements humains face à la catastrophe, très différents. Peut-on vraiment blâmer les uns et les autres ? Et nous, comment agirions-nous ? Ce roman nous pose dans une situation délicate où il n’y a pas vraiment de gentil, ni de justice juste et équitable et où il faut faire en sorte de s’en sortir au mieux.

Enfin, le titre du roman est Seconde humanité, mais le roman se demande en fait… si cette humanité peut avoir une 3ème chance. La fin assez ouverte laisse penser que l’auteur n’a pas tout dit dans cet opus, d’ailleurs Prototypes se déroule 1000 ans après. Peut-être nous dira t-il si troisième chance il peut y avoir, et nous dévoilera t-il l’identité du narrateur extradiégétique à l’origine des focus intercalés dans le roman ? A suivre, donc !

En pratique

Adrien Mangold, Seconde humanité

Editions HSN, 2018

Couverture : François-Xavier Pavion

Autres avis : Lutin82, qui pointe également des incohérences scientifiques mais qui a apprécié sa lecture; Yuyine, qui a adoré ce titre et est à l’origine du #lisezadrienmangold; coup de cœur aussi pour FungiLumini

 

Seconde humanité est un roman d’Adrien Mangold. Dense, riche en réflexions ouvertes, à la construction originale et complexe. C’était une lecture particulière, un peu dans le même style que Quitter les monts d’automne : j’ai beaucoup mouliné après avoir fini. Je suis revenue lire certains passages, je me suis interrogée sur ci, sur ça… Bref, c’est un roman qui ne laisse pas indemne, qui a beaucoup à proposer malgré quelques réserves que j’ai pu formuler. Je me lancerai volontiers dans Prototypes pour poursuivre l’aventure dans l’univers de Grand Bleu.

4 thoughts on “Adrien Mangold – Seconde humanité

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  1. Je l’ai dans ma pile à lire, mais j’ai entendu beaucoup de personnes mentionner les (grosses) incohérences scientifiques et du coup je l’ai jamais sorti, car c’est quelque chose sur lequel je suis assez exigeante… Le manque de cadre m’embête aussi un peu, c’est quelque chose qui passe mal avec moi. Mais je le lirai quand même de toute façon donc on verra, ça sera peut-être une bonne surprise !

    1. Effectivement, si on veut du réalisme scientifique, ça risque de coincer. Mais franchement, l’intérêt du bouquin n’est pas là, et je me dis aussi que rien n’oblige à avoir ce réalisme. On peut tout à fait avoir un raisonnement qui tient la route à partir d’une situation peu solide scientifiquement, surtout dans ce cas précis. Que la terre soit foutue car noyée ou pour une autre raison plus réaliste, là n’est pas tant la question, qui est plutôt : et maintenant, comment on fait, comment on essaie de vivre ensemble, et comment on s’adapte ? Ces questions sont valables quelle que soit la raison et la cause de l’apocalypse vécue.

      Quant au manque de cadre, c’est vraiment personnel, pour le coup, j’ai lu des chroniques qui avaient adoré le niveau de détails ^^ Donc là, à chacun de se faire son idée selon ses attentes 🙂

      Ce roman n’est pas parfait, selon moi, mais il gagne vraiment à être découvert, car il possède de très très bons atouts, et puis c’est très prometteur pour un premier bouquin 🙂

      Je guetterai ton retour quand tu le liras 🙂

  2. Je te rejoins aussi sur ces défauts même si je suis passée outre tant l’émotion m’a prise avec ce roman. Je trouve le pari très audacieux de ces narrations enchâssées pour un premier roman et j’ai hâte de voir ce que l’auteur nous réserve dans ses prochaines oeuvres!

    1. Oui c’est audacieux et même si je trouve qu’il y a des défauts, j’ai passé un bon moment et j’ai aimé la découverte de ce titre, d’autant que je trouve le tout assez bien mené. Prometteur aussi, oui ! D’ailleurs, je sens que tu vas te procurer son nouveau titre très bientôt, je me trompe ? 😉

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