Jean Hegland – Dans la forêt

Doucement mais sûrement, je poursuis mes lectures dans le cadre du Pumpkin Autumn Challenge. La semaine dernière, j’ai lu Dans la forêt, de Jean Hegland, en LC avec mon amie Véronique Parrenin. Un petit rythme d’une cinquantaine de pages par jour, bien confortable pour moi en cette période très chargée encore. Malgré tout, j’ai fini par accélérer et dépasser mon quota de pages quotidien tant j’ai apprécié ce roman. Un texte qui m’a beaucoup parlé, touchée et convaincue.

4e de couverture

Rien n’est plus comme avant : le monde tel qu’on le connaît semble avoir vacillé, plus d’électricité ni d’essence, les trains et les avions ne circulent plus. Des rumeurs courent, les gens fuient. Nell et Eva, dix-sept et dix-huit ans, vivent depuis toujours dans leur maison familiale, au cœur de la forêt. Quand la civilisation s’effondre et que leurs parents disparaissent, elles demeurent seules, bien décidées à survivre. Il leur reste, toujours vivantes, leurs passions de la danse et de la lecture, mais face à l’inconnu, il va falloir apprendre à grandir autrement, à se battre et à faire confiance à la forêt qui les entoure, emplie d’inépuisables richesses.

Considéré comme un véritable choc littéraire aux États-Unis, ce roman sensuel et puissant met en scène deux jeunes femmes qui entraînent le lecteur vers une vie nouvelle.

Adaptations de l’œuvre

Le roman a été écrit en 1996. Il a d’abord fait l’objet d’une adaptation au cinéma, avec le film du même nom de Patricia Rozema (avec Elliot Page et Evan Rachel Wood). Je l’ai trouvé très fidèle, tant dans le déroulé que dans l’ambiance. Il vaut le détour.

Et puis Callysse m’a parlé de l’adaptation en BD, par Lomig (chez Sarbacane). Pas lue celle-ci en revanche, mais je l’évoque quand même si jamais vous avez aimé le roman et que vous souhaitez poursuivre l’immersion. Ou découvrir l’un ou l’autre format avant de vous plonger dans le roman.

Un post-apo réaliste

Dépeignant notre monde contemporain…

Dans la forêt est un post-apo particulier. Dans ce texte, nulle apocalypse tonitruante. Pas de catastrophe nucléaire, pas de guerre mondiale, pas de terrorisme, et pas de catastrophe naturelle non plus.

Non, Dans la forêt est raconte la lente et presque invisible ruine de la civilisation et du monde actuel. Invisible, car il n’y a quasiment jamais de grosse catastrophe à l’échelle planétaire qui marque une nouvelle ère, séparant le monde d’avant et le monde d’après. C’est une décrépitude qui est racontée par la narratrice qui se rend en fait compte que cette longue agonie avait déjà commencé il y a longtemps. Un monde où tout se dérégule, doucement mais sûrement.

Il y a un peu tout ce qui fait notre quotidien aujourd’hui, en fait. Un climat qui fait un peu n’importe quoi, mais jamais assez fortement pour marquer suffisamment les gens et les inciter à agir autrement. Des politiques complètement déconnectés, amenant leurs pays dans le marasme économique, culturel et social. Des sociétés divisées qui ne se comprennent plus, et ne peuvent plus vraiment vivre ensemble ni même cohabiter, générant des tensions et des violences quotidiennes. Et des services publics abandonnés et qui ne sont plus d’aucune utilité. Enfin, plus globalement, une perte de sens totale, qui grippe la machine.
La narratrice raconte alors que les signes étaient là, chaque jour. Mais elle dit aussi qu’on a fini par s’y habituer, par fatalisme. Aux mauvaises nouvelles, aux événements scandaleux, aux catastrophes qui sont rentrées dans le quotidien. Aux virus qui apparaissent ici et là. On s’est adapté, jusqu’à ce que ça ne fonctionne plus.

Vous l’aurez compris, Dans la forêt raconte la déchéance et la fin de nos civilisations et de notre monde contemporain, auxquelles on assiste tranquillement sans bouger. Ce qui explique pourquoi j’ai intégré ce récit dans deux catégories : imaginaire car post-apo mais aussi littérature contemporaine. En effet, de mon point de vue, on peut aussi lire ce roman sans ce prisme. Je ne vois pas vraiment ce pas de côté caractéristique des littératures de l’imaginaire, dans ce roman. À mon sens, on est dans le réel, dans le présent, dans notre quotidien bien connu.

De ce fait, si vous n’avez pas lu le roman, j’attire votre attention sur ce point. Il peut être assez anxiogène. Si notre monde actuel génère chez vous de la panique, je vous déconseille sa lecture. Car vous lirez ce que nous vivrons très certainement dans quelques décennies.

… et développant une théorie sur « l’après » intéressante

Dans la forêt se positionne donc après tous ces éléments qui sont racontés a posteriori par la narratrice, Nell, afin qu’on comprenne comment elle et sa sœur Eva en sont arrivées là. Dans un maison au fond des bois, seules. Il y a d’autres raisons à cela, que je vous laisserai découvrir.

Le roman est assez lent. Ne vous attendez pas à de grands chamboulements : il n’y en a pas. Les sœurs étant isolées du reste du monde, on ne saura que très peu, voire pas du tout, ce qu’il advient de lui. Le récit se concentre exclusivement sur le quotidien des deux sœurs.

Quand elles comprennent que le retour à l’avant est impossible, elles choisissent d’apprivoiser leur environnement. Avec les peurs que cela provoque. La peur d’un futur inconnu, où l’on manquerait de tout. Des autres, devenus étrangers, violents, dans un monde où c’est chacun pour soi. De cette nature inconnue et dangereuse, aussi. De leur proximité continue, enfin.

C’est alors que l’autrice choisit des chemins intéressants. J’ai lu pas mal de post-apo où les individus cherchent à se regrouper, et à recréer. Ici, non. Les deux sœurs s’isolent davantage, préférant de loin les ours aux Hommes (ça m’a vraiment fait sourire, je rappelle que le roman a été écrit en 1996…), et s’habituant à la forêt qui devient leur maison. C’est un retour à l’état de nature que nous raconte Dans la forêt. Je n’en dirai pas plus, sachez cependant que j’ai été convaincue par ces choix narratifs, avec toutefois une perplexité sur le final très ouvert. Cela dit, il est dans la continuité du propos de l’autrice.

Sororité, sensualité et nature

Deux sœurs contre le reste du monde

On passe d’abord pas mal de temps dans les souvenirs de la narratrice, quand elle avait encore un semblant de vie sociale dans la ville la plus proche. Cela génère des pages de toute beauté, touchantes par l’authenticité des sentiments exprimés. Des pages qui m’ont évoqué mes propres souvenirs d’adolescente très gauche dans ses rapports avec les autres et qui fantasmait beaucoup, au lieu de constater la triste réalité de relations finalement inexistantes. Ce n’est donc pas sans pincement au cœur que j’ai lu ces pages qui ont beaucoup résonné en moi. Je n’ai jamais bien su si les remords étaient plus légers que les regrets; ça dépend des moments, en ce qui me concerne. Mais pendant ma lecture, ces derniers ont pesé beaucoup plus lourd. Le parcours amoureux de Nell m’a donc beaucoup beaucoup parlé.

Et puis peu à peu, on revient dans le quotidien de ces deux sœurs. Des étrangères, aux rêves très différents. Harvard pour l’une, la danse pour l’autre. Quand l’une se réfugie dans L’Encyclopédie, l’autre danse jusqu’à user ses chaussons. Se tenant toutes deux prêtes au cas où la vie repartirait. On lit d’abord une cohabitation. Elles ne font pas corps, vraiment. Elles partagent un espace de vie.

Toutefois, les épreuves qu’elles vont subir et cette espèce de huis clos dans lequel elles sont enfermées vont les rapprocher indéniablement, jusqu’à une scène en particulier que j’ai trouvée magnifique. Si la plume accompagne à merveille le texte et le rythme, langoureuse et sensuelle, elle atteint dans certaines scènes une vraie beauté pure.
C’est assez rigolo, parce que j’ai pour habitude de ne pas me préoccuper des auteurices quand je lis un livre. Je me renseigne après, pour ne pas influencer ma lecture. Et donc je pensais que le roman était écrit par un auteur, qui se prénommait Jean (comme Jean qui rit). Je me suis dit plusieurs fois que vraiment, l’auteur avait su parler avec délicatesse, sensualité et justesse du corps féminin. Bon, quand Véronique m’a dit que l’auteur était une autrice, j’ai mieux compris (mais j’ai été un peu déçue ^^).

Toujours est-il que j’ai adoré cette relation, cette écriture chaleureuse, sensuelle et langoureuse, qui fait corps avec son environnement et épouse à la perfection la structure du texte. Un texte sans à-coups, mais profond, puissant et juste.

La figure de la sorcière

J’ai trouvé aussi que l’autrice revisitait et remettait à l’honneur la figure de la sorcière. On a deux jeunes femmes pleines de vie, qui découvrent la vie à travers leurs corps pleins d’ardeur et de puissance, mais aussi la mort, qu’elles côtoient. Ces deux jeunes femmes sont isolées, vivant dans une maison au fond des bois.

Peu à peu, elles apprennent. Les plantes, les fleurs, les arbres. Le rythme des saisons. L’art d’entretenir un potager, avec l’aide d’un vieil ouvrage. C’est vraiment le réapprentissage de savoir-faire et de recettes de grands-mères, de savoirs ancestraux qui ont perduré pendant des siècles, transmis de générations en générations. Elles apprennent à tout faire toutes seules, et deviennent auto-suffisantes. Plus besoin de la civilisation, ni des autres. Même dans les situations les plus extrêmes et risquées. Car finalement, l’instinct reprend le dessus.

Nell et Eva sont un peu pour moi les figures modernes et renouvelées de ces femmes qu’on a appelées sorcières. Ces femmes indépendantes et libres, qui n’avaient pas besoin des hommes pour vivre, et qui connaissaient les lois de la Nature, possédaient des savoirs immenses. Qui se détournaient, même, de la société. J’y ai beaucoup réfléchi depuis la fin de ma lecture, surtout au regard du final du roman. Une façon de dire que quand tout semble perdu, on peut quand même s’en sortir, à condition de revenir à l’essentiel, dans les deux sens du terme : ce qui est indispensable (et même si cela m’a laissée perplexe, je trouve le point de vue de l’autrice là-dessus assez remarquable) et ce qui propre à un être.
On n’aurait pas parié sur elles, dans notre société actuelle. Et pourtant, ce sont elles qui semblent avoir le plus de chances de survie. Nul autre individu n’aurait ces capacités. C’est d’ailleurs comme cela que j’interprète ce qu’il advient des autres personnages, que l’on perd de vue d’ailleurs.

Pour moi, Dans la forêt est une revanche et un juste retour des anciennes choses évidentes.

En pratique

Jean Hegland, Dans la forêt
Éditions Gallmeister, 2017
VO : Into the forest, 1996
Traduction : Josette Chicheportiche
Couverture : ?
Autres avis : L’ourse bibliophile a été pleinement conquise, et elle me donne presque envie de lire enfin Station Eleven 🙂 ; Yuyine aussi a été conquise.

 

Conquise par Dans la forêt, qui m’a beaucoup plu. J’ai adoré le rythme du texte, le cadre dans lequel il évolue, la relation de ces deux sœurs et surtout ce qu’elles représentent, ce qu’elles sont. Il est assez rare que je m’identifie à un personnage, et j’ai apprécié ça même si cela m’a remémoré certaines choses pas forcément plaisantes. Pour moi, ce texte est une totale réussite, sans fausse note, justement écrit à tous les niveaux. Je suis ravie, parce que ma rencontre avec les éditions Gallmeister était un échec total (rappelez-vous, c’était avec Wayward Pines). Bref, ravie de ce coup de foudre, ça faisait un peu longtemps et ça fait du bien.

 

2 commentaires sur “Jean Hegland – Dans la forêt

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  1. Je suis totalement d’accord sur ce que tu dis sur cette double catégorisation entre imaginaire et contemporain. C’est un roman que j’ai mis entre les mains de beaucoup de monde, notamment des personnes qui auraient été réfractaires à un récit véritablement marqué SF.
    Je comprends si bien ce que tu dis des relations sociales et du balancement entre remords et regrets.
    Et ta réflexion sur les sorcières est vraiment juste et pertinente.
    Encore une fois, ta chronique est parfaite. Ça y est, j’ai envie de replonger dans ce roman tellement sensuel et intense.

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