On se retrouve ce dimanche pour un nouvel incipit. Pour ces premières lignes #31, j’ai choisi L’hôtel de verre d’Emily St John Mandel. A l’heure où ce billet paraît, je l’aurai sans doute déjà terminé. Mais au moment où j’écris ces lignes, je n’ai pas encore mis mon nez dedans. Je sais juste que ce sera ma prochaine lecture. (Jeu : trouver QUAND j’ai écrit cet article). Je n’ai encore jamais lu cette autrice. Il faut dire que j’ai commencé avec la série TV adaptée de Station Eleven et ça a été un gros gros flop. Cela ne m’a pas donné envie de lire l’autrice. Mais les copains Stéphane et Le maki en sont très friands, donc je m’y attelle. Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis, pas vrai ?
4e de couverture
Sur l’ïle de Vancouver, se dresse un hôtel aux murs de verre, seulement accessible par la mer. Il est fréquenté par une clientèle exclusive qui veut rompre avec « la civilisation connectée ». Là, pas de wifi, pas de portable, on est au bout du monde.
Paul, aspirant compositeur et sa sœur Vincent, vidéaste amateure, travaillent tous les deux à l’hôtel Caiette. Un soir, alors qu’on attend l’arrivée du milliardaire new-yorkais Jonathan Alkaitis, le gérant découvre avec horreur un tag gravé sur l’une des parois transparentes: « Et si vous avaliez du verre brisé? » Qui est l’auteur de ce graffiti menaçant? Est-il destiné à quelqu’un?
Dans ce havre de luxe, des gens se croisent, des destins se font et se défont. À l’hôtel Caiette, mais aussi à Vancouver et à New York, des vies vont prendre un tour imprévu et souvent dramatique. Comme un papillon au Brésil peut causer une tempête au Texas, un verre au bar de l’hôtel Caiette peut ruiner une existence…
Premières lignes #31
I
VINCENT DANS L’OCÉAN
Décembre 2018
1
Commençons par la fin : je dégringole du pont du navire dans les ténèbres tempétueuses, le souffle coupé par l’effroi de la chute, ma caméra s’envolant sous la pluie…
2
Envolez-moi. Des mots griffonnés sur une vitre quand j’avais treize ans. Je me suis reculée, laissant tomber le marqueur, et je me rappelle encore l’exubérance de cet instant, cette sensation dans ma poitrine, semblable à un reflet de lumière sur du verre brisé…
3
Suis-je remontée à la surface ? Le froid est paralysant, il n’y a rien d’autre que le froid…
4
Souvenir étrange : à l’âge de treize ans, sur le rivage de Caiette, je tiens entre mes mains ma caméra vidéo toute neuve, contact frais et encore peu familier. Je filme les vagues par séquences de cinq minutes et, tout en filmant, j’entends ma propre voix murmurer : « Je veux rentrer chez moi, je veux rentrer chez moi » … mais où est-ce, chez moi, sinon ici ?
5
Où suis-je ? Ni dans l’océan ni en dehors, je ne sens plus le froid, plus rien, j’ai conscience d’une frontière mais j’ignore de quel côté je me trouve, et je peux apparemment circuler d’un souvenir à l’autre comme si je passais d’une pièce à la suivante…
6
« Bienvenue à bord », m’a dit le troisième lieutenant la première fois que j’ai embarqué sur le Neptune Cumberland. Quand je l’ai regardé, quelque chose m’a frappée et j’ai pensé : Toi…
7
Je n’ai plus le temps…
8
Je veux voir mon frère. Je l’entends qui me parle, et mes souvenirs de lui sont perturbants. Je me concentre très fort et, subitement, je me retrouve dans une rue étroite, dans le noir, sous la pluie, dans une ville étrangère. Un homme est affalé dans une embrasure de porte, sur le trottoir d’en face, et bien que je n’aie pas revu mon frère depuis dix ans, je sais que c’est lui. Paul lève la tête et j’ai le temps de remarquer sa mine affreuse, son aspect décharné, il me voit mais à cet instant la ruelle s’évanouit…
Quelques réflexions
Un incipit qui propose de commencer par la fin, voilà qui est original ! Et ce n’est pas une fin très joyeuse. Cette première… strophe ? Oui, il y a peut-être quelque chose de musical et poétique, ici… Donc cette première strophe, en quelques mots, dessine une situation peu réjouissante.
D’abord, une écriture de la fulgurance, des souvenirs épars, surgissant de manière violente. C’est ce qui me vient en effet à l’esprit après lecture de cet étrange incipit à la forme singulière. Je ne vois pas forcément de lien entre ces différentes… quoi ? pensées ? souvenirs ? visions ?, jetés sur le papier à la va-vite. Comme si la narratrice avait besoin de les conserver dès qu’ils affleuraient.
Cette numérotation, ce presque collage bout à bout de fragments épars de ces je-ne-sais-quoi et cette narration au présent d’énonciation me donnent ainsi un sentiment d’urgence. Sentiment corroboré par le morceau 7 : « Je n’ai plus le temps » mais aussi par la fugacité, là encore, de ce qui est vu/aperçu : « à cet instant la ruelle s’évanouit ». Cet empressement vécu se transpose alors dans la forme et le style de la narration : phrases courtes, paragraphes courts, présent, répétitions saccadées des « je ».
Dans tous les cas, me voilà moi aussi plongée dans quelque chose de froid et d’hostile, sans savoir bien pourquoi, ni où je me trouve exactement. En cela, je ressens à la lecture la même chose que la narratrice égarée, par mimétisme. Je perçois déjà du fantastique, à ce stade. Perceptions brouillées, interrogations sur la nature des choses, angoisse. Et difficile à ce stade, malgré la mention de la Caiette, de raccrocher cet incipit au résumé et à reprendre pied.
Bref, excellent incipit, donc, puisqu’il a suscité ma curiosité et que j’ai désormais hâte de me plonger, moi aussi, dans ce, heu, je-ne-sais-toujours-pas-quoi.
Un rendez-vous bloguesque partagé
Ce rendez-vous créé par Aurélia du blog Ma lecturothèque est suivi par pas mal de blogueurs et blogueuses : Lady Butterfly & Co, Cœur d’encre, Ladiescolocblog, À vos crimes, Ju lit les mots, Voyages de K, Les paravers de Millina, 4e de couverture, Les livres de Rose, Mots et pelotes, Miss Biblio Addict !!, La magie des livres, Elo Dit, Le nocher des livres, Light and smell.
N’hésitez pas à me dire si vous participez aussi à ce rendez-vous dominical, je pourrai ainsi actualiser la liste.
L’avez-vous lu ? Celui-ci ou d’autres romans d’Emily St John Mandel ? Que pensez-vous de ces premières lignes #31 ? Vous intriguent-elles, vous repoussent-elles ou vous séduisent-elles ? On reparlera de ce roman très bientôt, dans tous les cas ! Je vous souhaite un très bon dimanche !
On ne peut pas reprocher à Emily St John Mandel de ne pas savoir écrire, ni structurer ses récits. C’est du travail d’orfèvre. Après, on peut ne pas aimer ce dont elle parle.
Moi, en tout cas, j’aime. Merci pour m’avoir remis ces lignes en mémoire.
Je me souviens que tu avais bcp aimé la lire, en effet !
Contente que ces premières lignes t’aient rappelé de bons instants de lecture !
J’avais adoré Station Eleven, ça avait été une lecture incroyable, mais je n’ai jamais lu d’autres livres de cette autrice. Ces premières lignes me laissent penser qu’il faudrait que je franchisse le pas… Je lirai ta chronique avec curiosité.
Si Station Eleven t’a plu, tu devrais aussi apprécier celui-là, même si en lisant les retours des uns et des autres, SE reste le must, visiblement !
C’est très accrocheur !
Oui je trouve aussi !
Et ces premières lignes aurons tous leur sens un peu plus tard… c’est pour moi le meilleur roman de l’autrice avec ces personnages tourmentés. Après il faut aimer les récits déstructurés, les narrations éclatées… mais à la fin tout se comprend, tout est limpide et comme el dit Le nocher des Livres, Emily St John Mandel sait écrire et structurer ces récits.
Mais je ne suis qu’un fan inconditionnel de l’autrice.
Et merci pour le lien 😉
J’aime assez les choses destructurées, donc je suis joueuse et partante.
j’avais cru comprendre, en effet, que tu l’appréciais beaucoup 😉
Lu (en anglais), après avoir lu Station Eleven
Je ne sais pas ce que vaut la série, mais j’accroche beaucoup à ses bouquins. J’adore sa manière de relier petit à petit les lignes narratives éparses entre elles jusqu’à disposer du panorama entier final.
Note que si tu apprécies ce premier livre, tu mets le doigt dans un engrenage puisque tous ses livres sont liés, bien qu’étant dans des genres différents 🙂
Oui c’est ce que j’ai cru comprendre en effet ^^ C’est mon année « doigt dans l’engrenage », donc c’est parfait 🙂
Roulements de tambours… vais-je aimer ? Réponse dans peu de temps !