Jolie surprise reçue dans la boîte aux lettres, quelques jours avant l’Ouest Hurlant : le dernier roman de Morgane Stankiewiez, Les amitiés fantômes, paru aux éditions Goater. Un très grand merci pour cet envoi 🙂 Je savais qu’on était très loin, avec ce roman, de ce que j’ai l’habitude de lire. Mais je ne refuse jamais les textes de Morgane, tant je sais qu’elle est une autrice caméléon et qu’elle sait marquer les esprits. Mon préféré à ce jour reste Meredith, même si j’ai adoré ses nouvelles Incouchement dans Monstresse(s) et Ereshkigal dans l’anthologie Diluées. Je me suis donc plongée dans ce roman assez rapidement après le festival, surtout après le retour ému de Yuyine.
4e de couverture
La meilleure amie de Nora, Ivy, décède subitement. En pleine dépression, Nora est invitée à faire le tri dans les affaires de son amie. Elle y redécouvre une liste de dix choses à faire avant la mort, rédigée au lycée et jamais menée à bout.
Sur un coup de tête, elle décide de réaliser les défis de cette liste, ce qui fait revenir son amie d’entre les morts, le temps d’une soirée, d’un repas, d’un instant volé à l’éternité.
Nora sait toutefois que ces moments sont comptés. Parviendra-t-elle à faire le deuil de sa sœur de cœur, avant que celle-ci disparaisse à jamais ?
Le roman d’un amour
Les amitiés fantômes est un roman qui décrit une relation amicale féminine qui prend toute sa force… lorsqu’elle se rompt. La premier chapitre est particulièrement saisissant, et dès ces premiers mots et ce style, on reconnait la patte de l’autrice. Qui sait qu’il n’y a pas besoin d’étaler les mots pour qu’ils aient du poids et du sens. On ouvre donc le roman en se prenant un énorme coup dans la figure. C’est quelque chose de brutal, d’épuré, sans artifice.
Puis cette amitié va se déployer. Au gré de retours dans le passé et de scènes « inventées/hallucinées/rêvées », on est le témoin de ce duo qui fonctionne, s’entend et se connait bien depuis longtemps. Morgane Stankiewiez décrit là une forme d’amour merveilleuse, au détriment des autres qui ne tiennent pas la route. On reconstitue alors ce que cette amitié a été dans le passé, ce qu’elle serait maintenant et ce qu’elle représente, une fois rompue physiquement, pour celle qui reste.
Entre blanche et fantastique
Vous l’aurez remarqué, j’ai classé ce roman en littérature contemporaine, et non en SFFF. Cela m’a été confirmé par Morgane elle-même au festival. Et de fait, on est bien dans un récit qui se déroule dans notre monde contemporain, avec des personnages qui y vivent pleinement.
L’autrice nous fait parcourir, aux côtés de Nora, le chemin du deuil et ses différentes étapes, de la colère, au déni en passant par la dépression… Et tout cela dans tous les sens, car chacun réagit à sa manière… D’ailleurs, non, ce n’est pas le chemin du deuil en général dont il est question ici. C’est le chemin de Nora, plutôt. Un parmi tant d’autres, mais confronté effectivement à ce qu’on pense que le deuil doit être. Alors peu à peu, Morgane libère son personnage de ces contraintes sociétales pour lui faire pleinement ressentir, vivre et expérimenter ses émotions, ses envies. Alors je dirais plutôt, même, que Les amitiés fantômes est le récit d’une renaissance, une fois le personnage libéré de ses chaînes et de ses interdits. Une renaissance dans la douleur.
Donc ici, nulle terre SFFF, même si l’esprit humain, par préservation et protection, invente et construit des mirages auxquels se raccrocher, le temps d’aller mieux. Par moments, certains y verront une touche de fantastique. Comme la présence d’un fantôme. Mais si le roman se tient sur ce fil, ce n’est pas forcément pour jouer avec : plus, à mon sens, pour nier son existence. Parce qu’on s’en fiche, parce que la littérature c’est comme la vie : un mélange. Une manière de dire que même dans notre monde physique et terre à terre, des choses ne s’expliquent pas, et qu’il n’y a pas de rationalité ni d’explication à tout. Et que cela ne mérite pas d’étiquette. Et de toute façon, le sujet n’est pas là.
Un roman authentique
Les amitiés fantômes est un roman qui suit des personnages jeunes (la petite trentaine). On est dans une relation intime, de confiance. Ce faisant, le registre est très courant. D’autre part, le choix a été fait d’en faire un texte très dynamique, vivant, oral. Le récit s’efface très souvent face aux dialogues très nombreux. Forcément, ce n’est pas ma tasse de thé, et j’ai eu beaucoup de mal à accrocher. C’est assez paradoxal, car ce sont précisément ces choix (très cohérents et à mon avis les meilleurs pour ce texte et la situation) qui rendent les émotions des personnages authentiques, les paroles comme les ressentis et les absences. Mais c’est aussi ce qui m’a retenue très à distance du texte, n’ayant pas trouvé ce qui me plait habituellement dans un roman. Je préfère le récit, l’absence de dialogues et la lenteur, surtout pour traiter le deuil.
D’autre part, le roman va très vite, trop même, selon moi. Le résumé en dit long, puisque le roman attaque le cœur du résumé assez tard. Assez long au démarrage et puis 4e vitesse ensuite. Le parcours de Nora ne fait qu’enchaîner, selon moi, les points de la liste. Sans vraiment poser les choses, s’attarder, s’appesantir, réfléchir à la portée des choses. C’est sûrement voulu, mais pour moi ça manque de profondeur. Et ça ne m’offre pas le temps nécessaire pour bien saisir ce qui se trame, ni les ressentir.
C’est donc là un ressenti totalement personnel, mais je ne suis pas parvenue à éprouver beaucoup d’émotions dans ce texte. J’avoue ainsi ne pas avoir lâché une seule larme ni ressenti le moindre picotement nulle part. J’ai en revanche aimé quelques pages en particulier. C’est notamment le cas de passages très sensuelles et libérés des contraintes, où je retrouvais un peu de la fougue de Morgane dans sa plume. Finalement, c’est assez rigolo de constater que les pages qui m’ont le plus plu sont celles qui sont finalement pleines de vie et qui débordent de partout…
En pratique
Morgane Stankiewiez, Les amitiés fantômes
Éditions Goater, 2024, collection Relapse
Couverture : Katell Noël
Vous l’avez compris je pense à travers ma chronique. Les amitiés fantômes est un roman de qualité et qui traite de choses difficiles avec une voix originale et juste. Mais celle-ci ne m’a pas profondément touchée. Du fait d’une incompatibilité de forme d’abord, même si cela paraît franchement vain vu le sujet ici. Et puis le roman m’a semblé aller assez vite. Peut-être trop pour moi, qui n’ai jamais vraiment eu le temps de peser, comprendre et pleinement saisir l’ampleur de ce qui se déroulait. Comme d’habitude, il fallait bien un retour moins dithyrambique, et comme d’habitude ça tombe encore sur moi ! Que celui-ci ne vous empêche pas de vous plonger dans ce roman, court mais puissant, qui je l’espère saura vous émouvoir !
Un roman qui te convainc à moitié donc. Ca a l’air assez intéressant, après la thématique, pas sûr de vouloir tenter pour l’instant.
Oui, c’est vraiment le style qui ne m’a pas séduite, mais c’est une question d’affinités, ça n’enlève rien à la qualité du roman. Mais effectivement, ce n’est pas très riant comme sujet, donc à éviter quand on n’a pas trop le moral. Remarque, on pourrait aussi se dire que ça redonne goût à la vie, comme pour Nora, ce roman pouvant être lu non pas comme le chemin du deuil mais celui du retour à la vie…