Discordia est le premier roman de Livia Tournois. J’ai eu l’occasion de lire ce livre dans le cadre d’un service de presse proposé par l’autrice, que je souhaite remercier ici pour m’avoir sollicitée. Discordia est un roman prometteur, avec une identité forte ; perfectible dans son intrigue et son texte, mais présentant des aspects originaux et intéressants et de beaux passages descriptifs.
Synopsis
» Erine doute toujours de tout.
Elle doute d’elle-même. Elle doute de ses choix. Elle doute de ses projets d’avenir.
Alors, comment ne pas douter lorsqu’un mystérieux joggeur lui affirme qu’ils sont deux divinités antiques, tout droit dégringolées de l’Olympe ?
Nouvelle secte ? Drogue en vogue ? Réseau de criminel ?
Alors qu’Henri prétend avoir un important message à lui délivrer, elle n’est pas près de se laisser convaincre. Néanmoins, Érine est bien décidée à comprendre ce qui se cache derrière ces élucubrations, juste au cas où il y aurait une part de vérité… »
Discordia revisite la mythologie grecque
L’arrivée du surnaturel dans Discordia
Le début du texte est très actuel et ancré dans un monde réel. On suit Erine, jeune femme au passé psychologique un peu perturbé, et qui a du mal avec les relations sociales. Plutôt solitaire, accumulant les galères, elle est assez attachante. Le surnaturel ne semble pas exister dans ce monde. Il arrive pourtant assez vite, en la figure du joggeur, mais Erine va rationnaliser un bon moment avant d’accepter la véracité des paroles d’Henri.
Finalement, Erine va se rendre compte peu à peu que sa réalité est fausse, qu’elle a vécu des vies antérieures sous les traits d’Eris, la déesse de la discorde (sans s’en souvenir), et que des dieux grecs se promènent dans la rue, en jean baskets, à la suite d’un Pacte scellé dans les temps anciens.
Cette survenue du surnaturel est assez brutale, révélée dans un dialogue au gré d’une rencontre fortuite en chemin. J’aurais aimé une intrusion du divin un peu plus progressive pour pouvoir apprécier pleinement ce changement.
Transposition de la mythologie grecque dans un cadre contemporain
Cette incursion de la mythologie grecque dans le monde actuel donne lieu à des transpositions intéressantes, tant dans l’onomastique (Erine/Eris, Henri/Hermès, Lévy/Lélaps etc.) que dans des petits détails rigolos (les baskets ailées de Henri/Hermès). On a également des lieux qui sont revisités (forêt de Brocéliande, le Styx etc.) et actualisés (égouts de Paris).
Enfin, l’autrice prend soin à développer de beaux passages descriptifs et très réalistes d’une époque antique, avec un vocabulaire très riche et des notes explicatives permettant de saisir l’enjeu des passages. Le texte donne également lieu à des récits de mythologie, ce qui nous permet de réviser nos classiques par la même occasion. Les nombreuses marques d’humour qui ponctuent le texte revisitent dans le même temps ces récits. Cela crée une sorte de « mythologie vue par », en l’occurrence Hermès ici, et c’est parfois assez cocasse (« ce n’est pas demain la veille que je vais claquer la bise à Tonton », Hermès parlant de Hadès).
Le récit se dote donc d’une couleur et de tonalités bien ancrées, accentuées par une très belle première de couverture parfaitement dans le thème (la pomme de la discorde, la bordure décorative). On est complètement dans l’ambiance.
Une intrigue perfectible
Des personnages peu étoffés
J’ai eu du mal à rentrer dans l’histoire, d’abord à cause d’Erine. Son comportement lors des premiers chapitres m’a échappé. Elle se fait agresser, sait que tout le monde la croit folle, panique (à raison), refuse obstinément de croire ce que raconte Henri mais accepte quand même de le suivre pour l’écouter. Cela m’a semblé assez invraisemblable, un peu facile, et du coup je n’ai pas adhéré. Je n’ai pas réussi à « y croire », et ainsi rentrer pleinement dans le roman. J’ai aussi trouvé dommage que sa personnalité divine ne ressorte pas plus que ça. C’est la déesse de la discorde, mais c’est finalement Aphrodite qui cause le plus de bazar dans cette histoire. J’ai trouvé Erine bien trop sage et trop raisonnable…
Le passé psychologique fragile d’Erine et son agression récente, avec les élucubrations d’Henri auraient pu donner à un passage assez intéressant « sur le fil », entre réalité et folie, pendant lequel Erine aurait hésité, ne sachant que croire, tiraillée par ses perceptions faussées. Ca aurait donné plus d’épaisseur à ce personnage, aurait créé une espèce d’ambiguïté que je n’ai pas retrouvée ici. Je suis un peu déçue du coup de ne pas avoir perçu davantage de coloration fantastique dans ce roman.
De la même façon, j’ai trouvé les autres personnages un peu creux, se faisant trop facilement à la situation ((Henri qui passe de la figure du psychopathe au pote sympa et marrant, Horace le frère qui se fait finalement très vite à sa nouvelle condition…). J’aurais plus adhéré aux personnages si j’avais pu ressentir leurs perceptions, leurs hésitations, leurs pensées, le doute ou la peur s’immiscer en eux. Il manque un état transitoire, pendant lequel la métamorphose du point de vue, des pensées… s’opère, et qui permet de comprendre le personnage et de le suivre.
La narration
Je me suis par ailleurs perdue dans l’intrigue. Je n’ai pas saisi la totalité des enjeux et des ressorts de l’histoire. L’intrigue va vite, très vite et je me suis égarée en cours de route. J’ai fini par me laisser porter, par les décors, l‘ambiance, mais sans plus trop comprendre de quoi il était question dans le fond. Je pense que c’est sûrement à cause de ça que je suis passée à côté d’Eris et n’ai pas saisi l’importance de son personnage dans l’intrigue. Peut-être quelques passages narratifs m’auraient permis de mieux saisir les enjeux de l’histoire, plutôt que par le biais d’Henri. La narration au point de vue externe s’y prêterait bien et pourrait contextualiser davantage l’histoire, de comprendre ses causes et ses conséquences actuelles.
Finalement, deux jours après avoir fini le livre, je peine à résumer l’histoire et à me souvenir de toutes ses ficelles. L’histoire n’est pas restée gravée dans ma mémoire. C’est dommage, car l’idée d’aller dans le futur pour remédier à un pacte scellé dans le passé aurait pu me plaire, mais je n’ai pas réussi à voyager du tout. Je suis passée à côté.
Quelques corrections à entreprendre…
D’abord, les dialogues très oraux m’ont rebutée. C’est peut-être voulu, par souci de réalisme puisque l’histoire se déroule aujourd’hui. Et c’est d’ailleurs cohérent. Mais il en résulte des échanges assez pauvres.
J’ai surtout été gênée par la manière dont ces dialogues sont construits. Les ressorts de l’intrigue sont apportés par Henri, c’est lui qui raconte l’histoire et ses enjeux. Il commence souvent ses interventions par « écoute ». D’autres formules pas très heureuses (« Alors, lançons-nous », « il faut que tu finisses par comprendre que », « je te passe les détails mais », « Je ne suis plus d’humeur à te donner des détails, sache seulement que », « tu te doutes bien que », « bref » …) donnent à ses répliques un côté assez artificiel. Paradoxalement, ces échanges entre personnages manquent alors de naturel.
D’autre part, des coquilles orthographiques demeurent, et quelques lourdeurs inutiles pourraient être supprimées (par exemple « elle se collait devant la télé et comatait devant le récit de meurtres sordides, relatés par Pierre Bellemare, célèbre présentateur aujourd’hui disparu » : est-ce vraiment nécessaire de le préciser ? ).
En revanche, les scènes descriptives sont très visuelles et très bien décrites (le marché médiéval, les scènes antiques). J’ai eu la sensation que la plume de l’autrice était plus adaptée à la narration. Elle est fluide, agréable, passionnante. J’aurais aimé moins de dialogues dans cette histoire, et davantage de passages narratifs, pour cadrer l’histoire et étoffer les personnages. Ainsi, je pense que j’aurais davantage apprécié ce roman.
Conclusion
Discordia est un premier roman prometteur. J’y ai trouvé des imperfections, et des corrections à mon avis sont encore à faire. D’autre part, mais c’est totalement subjectif, je suis passée à côté de l’histoire. Je n’ai pas réussi à accrocher. Cependant, l’idée de la transposition mythologique dans un cadre contemporain est intéressante et originale. Livia Tournois semble passionnée par l’histoire antique et ces mythes et cela se ressent dans les passages descriptifs et narratifs, agréables à lire.
Je ne suis pas déjà pas franchement friande de mélange entre SFFF et mythologie donc je vais passer mon chemin sur celui-ci mais c’est une découverte qui est tout de même prometteuse sur les futurs projets de l’autrice.
Oui, c’est une autrice à suivre !
Bonjour,
Merci pour ces retours constructifs. Tout d’abord, effectivement le roman peut, et doit, être amélioré. Je l’ai terminé au cours du Wordcamp proposé par la plateforme Fyctia où je l’ai écris, et n’ai disposé que de quarante cinq jours pour cela, me laissant peu de temps pour laisser reposer le texte. Pour ce qui est des coquilles, c’est la limite de l’auto-édition, ne pouvant pour le moment pas investir dans un service de correction professionnelle, et n’ayant pas la possibilité de retoucher au texte du e-book. Je suis navrée si cette lecture ne t’a pas marquée et espère proposer un résultat plus abouti dans l’avenir.
Livia Tournois.
Bonjour Livia,
Avec le contexte d’écriture de ton livre, en effet je comprends mieux certaines choses. Mais dans ce cas, il ne peut que s’améliorer, s’enrichir et s’étoffer, ce qui est positif 🙂 Plutôt que la lecture, je dirais que c’est l’histoire qui ne m’a pas marquée, car en revanche il y des passages d’une réelle beauté que j’ai trouvés très bien écrits, riches, et très visuels.
Dans tous les cas, comme je le disais ci-dessous, ton travail et tes projets futurs seront à suivre !